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Hausse des prix : avec l'inflation, le bio fait moins de recette en Corse ?


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Samedi 12 Novembre 2022 à 19:27

Il y a quelques mois, l'Agence française pour le Développement et la Promotion de l'Agriculture Biologique publiait les données du secteur pour l’année 2021 : pour la première fois, le chiffre d’affaire accusait une baisse par rapport à l’année précédente. Une évolution négative de -1,3 %, dont certains avaient identifiés les signes avant-coureurs dès 2019.
A l’heure où l’inflation fait bondir les prix de l’alimentation – avec, en France, une hausse, en données annuelles, de 5,7 % à fin juin, et même 6,2 % pour les produits frais – les perspectives semblent donc bien sombres pour le secteur bio.
Qu’en est-il en Corse et comment se portent les producteurs qui ont fait le choix du biologique ?



Une exploitation agricole BIO en Corse
Une exploitation agricole BIO en Corse
« Nous ne sommes bien sûr pas épargnés par la hausse des prix », explique Cecce Geronimi, l’un des créateurs du GAEC Pratali – une exploitation de maraîchage bio et d’oléiculture en AOP –, qui est également trésorier de l’Organisation des maraîchers corses. Tous les intrants sont touchés : que ce soient les plants, les emballages ou les engrais... La hausse est parfois énorme et se chiffre en dizaines de pourcent d’augmentation : les cagettes, notamment, ont pris 50 % ! 
« En bio, nous n’avons pas de spécificité pour la hausse du prix des intrants », estime Cecce Geronimi. La filière a peut-être même un léger avantage, en ce qui concerne les engrais : « Nous en utilisons, mais ce sont des engrais naturels. Par contre, pour le non bio, le processus de fabrication est différent. De ce fait, pour eux, le prix des engrais a été multiplié par deux ou trois ! Ça a explosé ! »
 
Le poids de la hausse des carburants
La hausse du carburant, elle, impacte indistinctement les producteurs et les distributeurs, que ce soit directement, pour ceux qui font leurs propres livraisons, ou indirectement : les prestataires auxquels ils font appel répercutent en effet l’augmentation dans leurs tarifs. Plus globalement, le prix du port a augmenté. Mais il y a également le GNR, ce gasoil non routier qui sert de carburant aux tracteurs : « De mémoire, il y a deux ans, il était environ à 90 centimes le litre. Cette année, on a atteint 1,70 euros ! Tout cela impacte de manière extrêmement importante notre coût de revient », précise Cecce Geronimi. 
D’autant que cela s’ajoute à une première série de hausses de prix qui avait touché les producteurs dès 2020, avec la crise du COVID : « Mais à l’époque, cela concernait d’avantage le prix des matières premières – le bois, l’acier –, impactant des investissements plus structurels ». Cette fois encore, l’agriculture biologique n’était pas plus touchée que l’agriculture conventionnelle. Alors, où est le problème ?


La difficulté à répercuter les hausses
Il réside en fait dans la capacité des producteurs à répercuter ou non dans leurs prix l’inflation subie, pour conserver leur niveau de marge – et donc, en particulier, leur capacité à investir. 
En Corse, si les maraîchers non bio semblent, globalement, avoir réussi à répercuter, au moins en partie, cette hausse dans leurs prix de vente, du côté des producteurs bio, la situation est contrastée. « Certains ont des difficultés. D’autres ont fait une belle saison… ». Comment expliquer un tel écart ? Le facteur principal pourrait bien être le mode de distribution choisi. 
« En Corse, il faut voir la typologie des exploitations bio. Y prédominent les petites exploitations qui ne dépassent pas 1,5 ou 2 hectares. Elles font de la vente directe, ce qui leur a permis d’être moins impactées par les conséquences de l’inflation. Mais dès que vous commencez à développer votre activité sur un marché hyperconcurrentiel… 
En ce qui nous concerne, nous faisons à la fois de la vente directe – dans nos magasins de Bastia et Follelli, ainsi que par les paniers que nous livrons à domicile – de la vente à des restaurateurs et de la vente à des revendeurs. Cet été, nous nous en sommes très bien sortis en vente directe. Pour les paniers livrés, nous avons expliqué à nos clients la nécessité de tenir compte de la hausse du coût de l’essence. Avec les restaurateurs, nous avons mis en place un système de prix dégressifs.
Mais ç’a été plus complexe pour la vente indirecte en magasin, avec une baisse de volume de 20 à 25 %, alors même que nous n’avions pas augmenté les prix comme nous l’avions prévu. Parfois même, nos prix étaient inférieurs à ceux de l’an passé ! 
Le retour des gens avec qui on travaille, c’est qu’il y a une baisse de la fréquentation sur le bio. C’est difficile à analyser. J’ai l’impression qu’il y a un facteur psychologique qui joue…  ».  


Un facteur psychologique ?
Tout se passe comme si le consommateur, anxieux de ce que sera l’avenir, ou peut-être déjà dans la gêne, se détournait des produits bio qu’il imagine beaucoup plus chers, sans même prendre le temps de comparer les prix… Une idée reçue qui ne correspond pourtant pas forcément à la réalité. « Il va nous falloir trouver des leviers. D’autant que tout cela se combine aux effets du changement climatique qui augmente encore le risque pour les maraîchers. Les éleveurs aussi sont touchés, avec la nécessité de faire venir des aliments pour le bétail, alors même que leur prix a explosé : beaucoup abandonnent aujourd’hui… car ça devient trop compliqué ! » 
 
Des solutions ?
Le GAEC Pratali, pour sa part, a déjà des pistes : « Au cours d’une réunion de toute l’équipe, nous avons décidé d’assumer notre part dans cette crise, pour permettre aux gens qui éprouvent des difficultés de continuer à manger bio : nous allons poursuivre cet hiver nos promotions régulières sur des produits majeurs. Nous allons aussi renforcer tout ce qui est vente directe : notre point de vente de Bastia va déménager rue Napoléon, avec le développement de plats à emporter. Et nous allons renforcer nos liens avec nos clients professionnels. En fait, le plus grand ennemi du chef d’entreprise, c’est l’avenir incertain... »

Une exploitation agricole BIO en Corse
Une exploitation agricole BIO en Corse