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Femu a Corsica lance un appel à la mobilisation sur le front économique et social


Nicole Mari le Jeudi 17 Janvier 2019 à 22:37

Pour sa première conférence de presse depuis sa création en décembre dernier à Corte, Femu a Corsica, le parti du président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse (CdC), Gilles Simeoni, a déroulé sa première feuille de route. Surfant sur la conférence sociale initiée par la CdC et sur le grand débat national, il propose toute une série de mesures concrètes à court et moyen terme pour résorber la fracture sociale qui touche l’île. Il cible cinq problématiques urgentes : le prix du carburant, le prix des marchandises et de l’alimentation, le foncier et le logement, les transports et la mobilité, la fiscalité et les retraites. Et appelle à la mobilisation générale pour obtenir un statut d’autonomie. Explications, pour Corse Net Infos, de Jean-Félix Acquaviva, secrétaire national du parti, député de la deuxième circonscription de Haute-Corse, membre du Groupe Libertés & Territoires à l’Assemblée nationale, et Président du Comité de massif.



Autour de Jean-Félix Acquaviva, secrétaire national du parti Femu a Corsica, des membres du bureau exécutif : Ghjulia Santolini, Francescu Martinetti, Antonia Luciani, et Marc-Antoine Campana.
Autour de Jean-Félix Acquaviva, secrétaire national du parti Femu a Corsica, des membres du bureau exécutif : Ghjulia Santolini, Francescu Martinetti, Antonia Luciani, et Marc-Antoine Campana.
- Pourquoi avez-vous décidé d'intervenir dans le débat social ?
- Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté dans le débat engagé par la conférence sociale qui est la seule initiée par une collectivité territoriale. Ailleurs, se tient le grand débat national. Le président de l'Exécutif de la CdC nous a posé l'obligation d'être les moteurs du dialogue, de l'échange et de la production de propositions. Prenons le mécanisme des prix des carburants qui aboutit à un différentiel de plus de 6 à 10 centimes en Corse. Quelque soit le débat technique et la vérité qui en ressortira, il apparaît d’ores et déjà que des constats ne font pas discussion. Les situations de rente d'acheminement, de stockage et de distribution du carburant font que s'il n'y a pas un garant de l'intérêt général comme la CdC avec la capacité législative et institutionnelle de réguler les prix à la pompe, notamment par les marges, nous aurons toujours ce même débat dans 30 ans ! On ne voit pas très bien comment on peut échapper à cette nécessité institutionnelle qui visera par décret à donner cette capacité à l’Assemblée de Corse.
 
- Mais réguler les prix du carburant, n’est-ce pas anticonstitutionnel ?
- Justement ! Il faudra faire le lien avec les traités européens, notamment du droit à la concurrence et de la dérégulation des prix, pour sécuriser cette capacité. C’est pour cela que ce décret aura besoin d’être consolidé dans un article de la réforme constitutionnelle et dans un statut d’autonomie. Seule l’inscription dans l’article 73 au minimum ou 74 permet de déroger à une politique égalitaire pour des motifs d’intérêt général liés à la spécificité reconnue des territoires, comme c’est le cas dans les territoires d’Outre-Mer. Dernièrement, une loi sur l’assainissement cadastral en Martinique déroge à la règle des 2/3 pour la sortie de l’indivision. La situation économique et sociale de la Corse au sens de la constitution des prix, du monopole et de l’insularité est quasi-identique à celle de l’Outre-Mer. Il faudra donner à la Corse les mêmes moyens de réguler les prix et inscrire cette possibilité dans l’article 74.
 
- Vous parlez « d’anticiper sur ce que doit être la Corse de demain ». Qu’entendez-vous par là ?
- Nous parlons de réactualiser le débat sur les systèmes énergétiques, sur les énergies renouvelables et les nouvelles sources d’énergie. Nous pensons que, parmi les sujets du mix énergétique, c’est le circuit court qui nous permettra de maîtriser la production et la distribution et d’agir sur les prix payés par les Corses. Il faudra, selon nous, inclure, au mix solaire-hydraulique-biomasse, une nouvelle ressource comme l’hydrogène qui semble être l’avenir d’un point de vue technico-économique et de la réduction radicale des émissions polluantes. Que ce soit dans le réseau terrestre de transports en commun, dans les transports maritimes ou les réseaux de chaleur, une ressource, si elle était produite et distribuée ici, nous rendrait, à 10 ou 15 ans, indépendants des fluctuations du marché pétrolier et des énergies fossiles, et génèrerait une baisse des prix. La crise structurelle, que nous vivons, nous invite à nous réinventer pour être prêts à répondre aux besoins économiques et sociaux du peuple corse.
 

Jean-Félix Acquaviva.
Jean-Félix Acquaviva.
- Deuxième priorité : le prix des denrées. Pourquoi la baisse du prix du fret ne se répercute-t-elle pas sur le panier de la ménagère ?
- Le débat sur les mécanismes des prix dans l’alimentation existe depuis des années. Jusqu’en 2015, parmi les arguments qui justifiaient la hausse des prix, il y avait le coût du transport maritime. Depuis trois ans, nous avons baissé en deux étapes le prix du fret : moins 53% le mètre linéaire à l’export pour les productions locales et moins 18% à l’import pour les produits de consommation courante. Cette baisse ne se retrouve pas répercutée dans le panier de la ménagère. Nous lançons un appel au président de l’Exécutif et à la majorité territoriale, mais aussi aux autres groupes politiques, aux corps constitués et aux acteurs du transport routier et de la grande distribution, pour organiser rapidement une table ronde sur la question. Le but est d’identifier les surcoûts logistiques, spécifiques… et la façon d’y remédier, puis d’avoir l’objectif commun de répercuter, sur le pouvoir d’achat et sur la compétitivité des entreprises, une grande partie de ces baisses à travers un partenariat, des conventions et un suivi, voire même le conditionnement des aides financières de la CdC aux entreprises.
 
- Est-ce suffisant ?
- Non ! Il faudra, aussi, en s’appuyant sur les territoires, les PETR et les intercommunalités, les communes, la CdC, l’ODARC et aussi le Comité de massif, renforcer les plans d’actions territorialisés en matière de réserve foncière, d’installation de jardins solidaires et de circuits courts pour les biens de consommation agricole de base. On parle évidemment du maraîchage, mais aussi du pain et du lait. L’objectif est d’agir sur les prix pour les faire baisser. Femu a Corsica fera des propositions d’organisation de systèmes territorialisés sous l’égide de Paul-Jo Caïtucoli (maire d' Arghjusta è Muricciu) notamment et à travers le projet de la Fundazione di u Riacquistu qu’on proposera par ailleurs. Nous voulons avancer concrètement pour ne pas refaire dans quelques années le même débat. En Europe, tous les grands modèles agricoles surdimensionnés s’effondrent. Le circuit court, la production locale est un modèle viable en termes d’environnement, mais aussi de coût, de prix et de justice sociale.

François Martinetti et Jean-Félix Acquaviva.
François Martinetti et Jean-Félix Acquaviva.
-Autre priorité : le foncier et le logement. Vous préconisez un droit de préemption financé par une taxe sur les résidences secondaires. Est-ce faisable ?
- Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de rareté foncière aigue, que ce soit pour l’accès à la propriété des résidents corses, la construction de logements sociaux ou à loyers modérés, ou l’installation d’activités économiques ou agricoles. Cette rareté est le produit de deux facteurs convergents. Le premier est l’indivision qui n’est pas réglée. Il faudra renforcer les moyens du GIRTEC pour essayer d’accélérer le titrage des biens. Le second est l’attractivité de la Corse d’un point de vue touristique, la résidentialisation et la spéculation, c’est-à-dire la pression sur les territoires disponibles. Le PADDUC a été une condition nécessaire, mais pas suffisante. Il n’hypothèque pas l’avenir, il permet de bloquer des terrains en espaces stratégiques agricoles pour produire, si tant est que l’on règle l’indivision sur ces terrains. Il permet de donner un sens au développement, mais pas d’agir sur la fracture sociale existante, sur les inégalités d’accès au foncier sur les zones constructibles ou en capacité de produire du logement ou de la résidence. Il faut, donc, des outils complémentaires. Il faut d’autres briques à la maison pour construire une nouvelle politique.
 
- Quelles autres briques ? Le statut de résident ?
- Oui ! C’est, pour nous, évident ! Mais vu le débat avec Paris, nous ne l’obtiendrons pas immédiatement ! Nous faisons, donc, deux propositions de compromis politique avec un support juridique dans le cadre de la réforme constitutionnelle, puis de la loi organique. La première est de donner à la CdC un droit de préemption permanent, général, sur tous les transferts de propriété entre vifs. Ce droit peut être utilisé pendant deux mois après la notification d’une vente. Il doit être motivé, cela veut dire qu’on ne peut pas l’utiliser n’importe comment, mais pour des raisons d’intérêt général lié à l’existence de tensions foncières, de manque de logement ou de terrains agricoles. Pour financer en partie ce droit, nous proposons de mettre en place une taxe sur les résidences secondaires dont le montant et le taux, plus ambitieux que ceux d’une taxe d’habitation, seront fixés par l’Assemblée de Corse. Elle s’appliquerait aux résidents fiscaux extérieurs à l’île. Ces propositions existent déjà à Saint Martin et Saint Barthélémy qui ont un statut d’autonomie et sont inscrits dans l’article 74.

Antonia Luciani et Marc-Antoine Campana.
Antonia Luciani et Marc-Antoine Campana.
- Vous dites que le PADDUC ne suffit pas. N’y-a-t-il pas quelque chose de plus immédiat à faire dans ce cadre-là ?
- Sans ces outils de régulation, le PADDUC ne suffira pas à endiguer la spéculation immobilière et la fracture sociale liée à ce phénomène. Pas plus que les politiques sociales actuelles de la CdC ou l’office foncier. Ces deux outils cumulés offrent une réponse de compromis politique par rapport à l’Etat qui permettrait d’atteindre un haut degré, jamais atteint jusqu’à aujourd’hui, de maîtrise de ce système sur le terrain. Même dans le cas où la CdC n’utiliserait pas le droit de préemption, le simple fait de pouvoir l’utiliser peut générer un phénomène d’autorégulation du marché par anticipation, ce qui empêcherait de passer par les fourches caudines de la préemption. Rien n’empêche non plus la CDC de renforcer ces dispositifs pour, avec les offices HLM, les communes et intercos…, re-flécher ces aides et mettre au point un plan d’action et d’investissement plus ambitieux en termes de logement social ou à loyer modéré, ou d’accession à la propriété. Cela peut être fait d’ores et déjà, mais ça ne suffira pas. Dans cette période charnière, il faut une réponse structurelle à un phénomène qui devient préoccupant et que la crise sociale ne fait que mettre en exergue de manière saillante.
 
- Vous lancez un appel à la mobilisation. Quelle forme prendrait-elle ?
- Le temps est venu d’agir dans le cadre du grand débat national et de la conférence sociale. Il y a, pour nous, deux niveaux de mobilisation. D’abord, nous positionner comme force de propositions dans le cadre du projet de société que nous sommes en train d’élaborer. Femu a Corsica proposera une série de rendez-vous thématiques ouverts. Le 18 février à Bastia, nous aurons l’honneur d’accueillir François-Michel Lambert, député des Bouches du Rhône et président de l’Institut de l’économie circulaire, pour mettre au point une feuille de route opérationnelle et très concrète sur le sujet. Ensuite, dans le cadre de la conférence sociale, créer une plateforme convergente de propositions. Il est temps que les forces politiques de la majorité ou autres, les forces sociales, syndicales et économiques créent les conditions d’une grande mobilisation populaire sur la question du statut fiscal et social en affinant son contenu, sur la question institutionnelle en lien avec le prix du carburant, le logement, le foncier, la capacité de la Corse à maîtriser un certain nombre de choix concrets… Nous sommes dans un bouleversement des temps à l’échelle française et européenne, à une époque charnière. Il ne faut pas manquer ce rendez-vous. C’est maintenant qu’il faut le faire. Cela se fera dans les semaines à-venir.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.