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Mylène Ogliastro, virologue et chercheuse : "en Corse, l'immunité collective est deux fois inférieure aux autres régions"


Livia Santana le Dimanche 31 Janvier 2021 à 17:01

La virologue et chercheuse à l'Inrae de Montpellier, Mylène Ogliastro, fait partie du conseil scientifique de Corse qui, le 18 janvier dernier, a émis des préconisations pour lutter contre la diffusion de l'épidémie de Covid-19 sur l'île. La vice-présidente de la Société française de virologie, originaire de Bastia réaffirme la nécessité de maintenir un passeport sanitaire pour les arrivées en Corse, mais aussi une vaccination des personnes vulnérables plus intensive et rapide, ainsi que des tests salivaires dans les établissements scolaires.



Mylène Ogliastro, virologue et chercheuse à l'Inrae de Montpellier.
Mylène Ogliastro, virologue et chercheuse à l'Inrae de Montpellier.
Combien de temps faudra-t-il pour que la situation se stabilise en Corse ? 
-  Lorsqu'on atteindra un niveau d’immunité estimé à environ 60%. C'est pour cela qu'il faut vacciner au plus vite afin de protéger rapidement les plus fragiles, environ 37 000 personnes ont plus de 75 ans auxquels il faut ajouter les personnes plus jeunes présentant des pathologies à risque. La priorisation est importante.

- Ce n'est pas assez rapide ? 
- C'est vrai que nous sommes dans un contexte de forte demande et de pénurie relative de l'offre aggravée par les annonces à la baisse de la société AstraZenecca. Concernant le retard de la société PFizer-BioNtech, il devrait être rapidement résorbé. Le laboratoire Sanofi qui est désormais autorisé à conditionner les doses, on l'espère, décoincera un peu la situation. Il est grand temps que le rythme des vaccinations s'accélère.

- Combien de temps faudra-t-il pour atteindre l’immunité sur l’île ?
- En Corse, la population a globalement été plus épargnée par les deux vagues, grâce notamment au respect des gestes barrières et à la protection des plus fragiles.  De ce fait, l'immunité y est environ deux fois inférieure à celle observée dans d'autres régions. Mais la contrepartie est que cela rend les Corses aussi plus vulnérables. La vaccination devrait permettre d'atteindre le niveau d'immunisation collective.

- Quels sont les dangers des nouveaux variants sur un territoire comme la Corse ?
- Le variant anglais présente une vingtaine de mutations. Son évolution très rapide et sa plus grande transmissibilité, le rendent très inquiétant. D'autant qu'il s'est déjà disséminé dans de nombreux pays dont la France. On estime qu'il est 40% plus contagieux, ce qui pourrait faire repasser les territoires au-dessus du seuil épidémique avec un risque fort de saturation des services de santé. La surveillance en Corse est particulièrement importante compte tenu du risque accru de transmission.
 
Le variant sud-africain présente, lui aussi, un cocktail d'une vingtaine de mutations. Il est apparu plus récemment et les voyages ont été rapidement mis sous restriction. Les données actuelles suggèrent qu'il est peu sorti d’Afrique du Sud jusqu'à présent. Idem pour le variant brésilien. Ces deux variants sont inquiétants car en plus de leur plus grande transmissibilité, ils partagent une mutation associée à une diminution de la reconnaissance par les anticorps et présentent donc un risque d'une baisse de l'efficacité des vaccins.  A ce jour ce n'est pas trop inquiétant mais il faut vraiment empêcher la circulation de ces virus afin qu'ils n'accumulent pas davantage de mutations. Les technologies vaccin "Arnm" ont cependant le grand interêt de pouvoir être ajustés rapidement à leur cible et donc peuvent être adaptés au variant circulant (en 6 semaines selon les entreprises). Il est important de surveiller l'évolution des virus circulants de manière à adapter les vaccins aux plus vite.

- Sur le continent 10% des contaminations le sont par un variant. Connaissons-nous la proportion en Corse ?
-A ma connaissance, un seul cas a été détecté lors des arrivées pendant les vacances de Noël. La personne a été testée à son arrivée et isolée. Pour l’heure, il n'y en a pas d’autres et tant mieux. Le variant anglais peut être détecté par simple test PCR. Ces tests sont en cours de validation pour détecter également les variants sud africain et brésilien. Il faut vraiment agir en amont avec les tests obligatoires, la détection rapide des cas et leur isolement. 
 
-  Le passeport sanitaire fait partie de vos recommandations. Il est maintenant en place depuis plus d'un mois, a-t-il prouvé son efficacité ?
- Oui, pour l’heure il fait ses preuves. Les personnes se rendant en Corse pour Noël sont pour la plupart arrivées avec un test négatif. Celles qui ne l'avaient pas fait ont été testées à leur arrivée. Cela a permis d'isoler une quinzaine de cas positifs à leur arrivée. Les tests ne sont pas des filtres absolus mais ils permettent de limiter le risque. Surtout dans un contexte de circulation importante du virus. Nos préconisations sont basées sur l'analyse scientifique de la situation mondiale et sur les faits. Mais les décisions sur la stratégie sanitaire revient aux politiques.
 
- Dans les préconisations, vous évoquez aussi les écoles...
-Certains pays européens comme l'Allemagne alertent depuis longtemps sur la transmission du virus chez les jeunes. Les analyses récentes en Angleterre montrent que les enfants entre 3 et 8 ans ne présentent pas beaucoup de symptômes et la transmission est moindre. Mais la tranche d'âge des adolescents (10-19 ans) a des niveaux d'infection et de transmission similaire aux adultes. La boucle de transmission école-famille semble alimenter les chaines d'infection. Une des solutions préventives serait de tester les milieux scolaires (collèges-lycées) de manière à avoir des données fiables sur ces niveaux de transmission. Les tests salivaires (PCR) fiables, rapides (40 min) et non invasifs pourraient permettre d'avoir enfin des données. La Corse pourrait être un territoire pilote aussi.
 
- Quelle serait la recommandation à retenir pour le territoire insulaire ?
- Actuellement, la plus vive serait de poursuivre et amplifier la vaccination de plus fragiles ainsi que de maintenir les contrôles des arrivées. C'est relativement facile car la mer est une barrière géographique naturelle dont nous devons profiter. Bien sur maintenir les gestes barrières est crucial. c'est difficile et pénible pour tout le monde mais la situation actuelle de circulation des variants est inquiétante. Il est aussi très  important de procéder à l’isolement des personnes malades tout en les accompagnant et en accompagnant les familles. C'est peut être aux services sociaux des mairies, des collectivités avec l'appui des services de l'état  de mettre en place des cellules de soutien dont elles auraient besoin pour cela.