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Pollution de l’air : La création d’une Zone ECA Méditerranée, un enjeu de santé publique


Nicole Mari le Dimanche 3 Mars 2019 à 21:23

Chaque année, la pollution de l’air par les navires cause 1730 décès, rien que sur le pourtour méditerranéen, et coûte entre 8 et 14 milliards d’euros. Le gouvernement français propose le passage de la Méditerranée en Zone ECA qui plafonne le taux de soufre dans les carburants marins à 0,1 %, une norme en vigueur depuis 2015 en mer Baltique, mer du Nord, Manche et Amérique du Nord. Les ports corses étant concernés, l’Assemblée de Corse s’était déjà emparée de cette question. Lors de la dernière session, Romain Colonna, conseiller territorial du groupe Femu a Corsica, a, de nouveau, par une question orale, interpellé l’Exécutif sur la nécessité de s’impliquer dans les négociations en cours. Il explique, à Corse Net Infos, que c’est un enjeu majeur de santé publique.



Dans le port d'Ajaccio. Photo Michel Luccioni.
Dans le port d'Ajaccio. Photo Michel Luccioni.
- Quelle est la nouvelle problématique sur la pollution maritime des navires ?
- Le 18 janvier dernier, sous l’égide de deux ministères, celui de la Transition écologique et solidaire et celui chargé des Transports, a été présentée à Marseille une étude intitulée ECAMED et ayant pour objet d’évaluer les impacts d’un passage de la Méditerranée en zone ECA (Emissions control area). Elle a été réalisée par des acteurs publics et privés au rang desquels l’INERIS (Institut national de l’environnement industriel et des risques), le CITEPA (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique), le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) et le Plan Bleu.
 
- Qu’est-ce que la zone ECA ?
- C’est une zone qui, dans le cadre du secteur maritime et de la pollution atmosphérique des navires, réduit à 0,1 % l’émission de dioxydes de soufre. Aujourd’hui, les normes en vigueur autorisent les bateaux à rejeter 3,5 % d’oxydes de soufre. A partir du 1er janvier 2020, l’OMI (Organisation maritime internationale) abaisse cette norme à 0,5 %. Cette nouvelle norme s’appliquera à tout le monde. La zone ECA va encore plus loin et fait descendre cette norme à 0,1%, soit une émission de dioxydes de soufre extrêmement faible. Elle est, donc, encore plus restrictive et encore moins polluante, et fait passer le taux légal d’émissions de 3,5 % à 0,1 %.
 
- Quelle zone serait concernée ?
- La zone ECA concernerait la Méditerranée et doit, donc, être portée par l’ensemble des pays riverains, des îles et des régions maritimes, et communément déposé auprès de l’OMI. La France a pris une initiative en ce sens. Je rappelle que l’Assemblée de Corse avait, de même, déposé un rapport sur le sujet en 2017 et qu’en octobre 2018, elle a voté à l’unanimité deux motions sur la pollution de l’air, allant aussi dans ce sens. La première, que j’ai eu l’honneur de défendre, concernait la lutte contre la pollution aux particules fines et ultrafines, notamment celle liée aux activités portuaires, dans le cadre des nouvelles normes édictées par l’OMI au 1er janvier 2020. La seconde demandait, notamment au gouvernement français et à l’Union européenne, d’accélérer le processus pour le classement de la Méditerranée en zone SECA (Sulphur Emission Control Area ou zone d’émission contrôlée de soufre) et NECA (NOx Emission Control Area ou zone de contrôle des émissions d’oxydes d’azote).
 
- Vous parlez d’impact. Quel est-il ?
- C’est un impact, d’abord, en termes de santé publique. La zone ECA éviterait de nombreux décès liés à la pollution atmosphérique. Selon l’étude du ministère de la Transition écologique, la pollution atmosphérique des navires induit, pour l’ensemble de l’Europe, une mortalité prématurée évaluée à 50 000 cas par an et un coût associé de 58 milliards d’euros. Rien que sur le bassin méditerranéen, 1730 décès seraient, ainsi, évités chaque année avec un gain sanitaire monétarisé de l’ordre de 8 à 14 milliards d’euros par an. Ce sont des chiffres concrets et considérables ! L’étude montre également une forte baisse du taux de concentration du dioxyde d’azote sur le pourtour méditerranéen. Elle prend des exemples insulaires, notamment les villes portuaires d’Aiacciu et de Bastia.
 
- Quelle est la situation dans ces deux villes corses ?
- Globalement, la Méditerranée est polluée parce que la pollution atmosphérique y est forte. Les deux ports d’Aiacciu et de Bastia n’y échappent pas. L’étude dit clairement que le passage en zone ECA entrainerait une baisse significative de la pollution avec des intensités différentes selon les villes, selon que vous soyez à Barcelone ou à Gênes où le trafic portuaire industriel est plus important. La réduction pourrait atteindre -4,8 µg/m³ pour Aiacciu et -3,4 µg/m³ pour Bastia. Le bénéfice est certain pour l’ensemble de la Méditerranée.
 
- Le gouvernement français a-t-il établi un calendrier d’action ?
- Oui. Dans le cadre de la présentation de l’étude, nous apprenons que le gouvernement français compte mettre en place le calendrier suivant : 2019, les travaux préparatoires pour la mise en place d’une Zone ECA en Méditerranée ; 2020, le dépôt conjoint avec les parties prenantes du dossier à l’OMI ; 2021, l’adoption de la mesure ; 2022, son entrée en vigueur. Ce serait une véritable révolution en termes de pratiques, d’écologie, de comportement, aussi en termes industriels… Nous devons absolument, en Corse, l’anticiper, l’accompagner et participer aux discussions autour de la table des négociations. La Collectivité de Corse, dans son ensemble, à travers les deux motions dont j’ai parlé, est particulièrement attentive à tous les sujets liés à la pollution atmosphérique. Il s’agit là d’un enjeu majeur de santé publique.
 
- Qu’avez-vous demandé exactement à l’Exécutif ?
- Suite à la présentation des résultats de l’étude ECAMED à Marseille sous l’égide des deux ministères précités, j’ai demandé au Conseil exécutif s’il avait participé à cette présentation et aux travaux préparatoires. J’ai, ensuite, demandé si nous pouvions considérer tous ensemble qu’il serait opportun d’avoir une présentation in situ, à la Collectivité de Corse, des résultats de cette étude. Enfin, puisque le gouvernement annonce une année de travaux préparatoires en 2019 pour ce passage de la Méditerranée en Zone ECA, de quelle manière nous pourrions y être étroitement associés ?
 
- Quelle a été sa réponse ?
- L’Exécutif, par la voie de Jean Biancucci, président de l’Agence de l’urbanisme, m’a répondu que ses services avaient assisté à la présentation de l’étude. Suite à ma question orale, il pensait judicieux que l’on puisse envisager une présentation in situ des principaux résultats, notamment dans le cadre de la prochaine réunion du CEAC, Conseil de l’énergie, de l’air et du climat, et d’ouvrir un débat sur ce sujet en Corse. Ce premier élément de réponse est satisfaisant d’autant plus que l’Exécutif s’est engagé à participer à la consultation des pays de la CRPM (Conférence des régions périphériques et maritimes) à travers la Commission des îles présidée – ça tombe bien ! - par le président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, et à faire du lobbying auprès de ses partenaires pour porter la question de manière collective. Enfin, il va se mettre en relation directe avec le gouvernement pour participer aux travaux préparatoires.
 
- Pensez-vous obtenir satisfaction ?
- Il est impensable que le gouvernement envisage la mise en place d’une zone ECA en Méditerranée sans que l’une des principales îles au cœur de la Méditerranée ne soit associée aux travaux préparatoires ! D’autant que le passage en Zone ECA suppose la prise en compte de tous les intérêts au niveau de la transition énergétique. Il ne peut pas se décréter juste comme ça sans qu’il y ait, en amont, tout un certain nombre de travaux, de réunions, d’explications, de prise en compte d’enjeux financiers. Tout cela doit être discuté, débattu et validé.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Romain Colonna, conseiller territorial du groupe Femu a Corsica. Photo Michel Luccioni.
Romain Colonna, conseiller territorial du groupe Femu a Corsica. Photo Michel Luccioni.