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"Physiquement et moralement, Yvan Colonna ne lâchait rien" : le député François Pupponi raconte leur dernière rencontre à la prison d'Arles


Pierre-Manuel Pescetti le Mercredi 23 Mars 2022 à 16:52

Le 17 février dernier, près de deux semaines avant la violente agression qui a coûté la vie à Yvan Colonna, le député du Val d'Oise François Pupponi l'avait rencontré dans la prison d'Arles.
Le parlementaire a confié à CNI ses impressions et quelques éléments de la discussion qu'il a pu avoir avec le détenu corse.



François Pupponi, à gauche, lors de son intervention pendant l'audition des cadres de l'administration pénitentiaire, le 16 mars 2022.
François Pupponi, à gauche, lors de son intervention pendant l'audition des cadres de l'administration pénitentiaire, le 16 mars 2022.


 - Vous aviez rencontré Yvan Colonna à la prison d’Arles le 17 février. Pourquoi une telle visite ?

 - Nous avions pris l’initiative à l’Assemblée Nationale, à la demande des députés corses, de dire officiellement qu’il fallait que la loi sur le rapprochement soit appliquée. Nous voulions aussi dire de vive voix aux prisonniers du commando Erignac [ndlr : Yvan Colonna, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi] que nous soutenions leur démarche de rapprochement à Borgo. C’est une démarche collective. L’ensemble des groupes de l’Assemblée Nationale avait exprimé publiquement le fait que les trois hommes du commando devaient revenir en Corse conformément au droit au retour et au rapprochement.

 - Quelle fut votre première impression lors de cette rencontre avec Yvan Colonna ?

 - Avec mon collègue Bruno Questel, [ndlr : Député LREM de l’Eure] nous l’avons rencontré dans une petite salle dans laquelle on peut boire un café et pas au parloir. Nous avons pu discuter librement tous les trois. Je l’ai trouvé très affuté physiquement. Cela m’a impressionné. Nous nous sommes rappelé quelques souvenirs, notamment de football car à l’époque nous avions joué contre. Lui à Carghjese et moi en Alta Rocca. Nous avons parlé de la situation en Corse. Et je l’ai trouvé très affuté intellectuellement. Il était au fait de tout ce qui se passait sur l’île.

Puis nous avions discuté de sa propre situation. Nous lui avions expliqué que le rapprochement avait plus ou moins été annoncé par le premier ministre Jean Castex au président de l’Exécutif corse Gilles Simeoni quelques temps avant et qu’il devait être programmé pour après les élections selon le gouvernement.

 - Un homme très affuté physiquement et intellectuellement mais avez-vous trouvé Yvan Colonna usé par le poids de presque 20 ans de prison, affaibli psychologiquement ?

 - Non et c’était très impressionnant. Je ne l’ai trouvé ni affaibli, ni angoissé, ni stressé. Bien sûr il était affecté par le fait de ne plus voir sa famille mais quand nous abordions des sujets politiques ou celui d’un éventuel rapprochement, voire d’une libération, il n’était pas du tout dans le ressenti et dans l’amertume. Physiquement et moralement il ne lâchait rien.

 - Quelque chose de particulier vous a marqué lors de vos discussions ?

 - Il ne croyait plus en la Justice. Il était tout à fait conscient qu’il avait été condamné pour avoir tué le préfet Claude Erignac et était persuadé que « l’État n’allait jamais le lâcher ».

 - Lors de l’audition des cadres de l’administration pénitentiaire à l’Assemblée Nationale le 16 mars, vous parliez d’Yvan Colonna comme d’un homme résigné qui avait abandonné l’idée de demander son rapprochement car « cela ne servait à rien » …

 - Il avait fait sa peine de sûreté et était juridiquement éligible à un aménagement de peine. Pour cela, il devait passer plusieurs semaines devant une commission d’évaluation appelée la CNE (Centre National d’Évaluation). Yvan Colonna nous a dit : « je suis convoqué mais je ne veux pas y aller parce que ça ne sert à rien ». Il était convaincu que cela ne changerait rien en s’appuyant sur le cas d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri. Quelques semaines avant, ils étaient passés devant la CNE. Elle avait dit qu’ils étaient éligibles à un aménagement de peine mais les tribunaux l’ont refusé en deuxième instance.

C’est d’autant plus terrible que la semaine dernière nous avons auditionné monsieur Laurent Ridel [ndlr : le directeur de l’administration pénitentiaire française] à l’Assemblée Nationale. Il nous a dit que si Yvan Colonna avait accepté la CNE, il n’aurait pas été à la prison d’Arles le jour de l’assassinat, le 2 mars.

 - Dans la confession de votre visite, Yvan Colonna vous a-t-il confié être en danger en prison ?

 - Sincèrement non. Il n’a pas exprimé le moindre sentiment de danger et ce n’est pas l’impression qu’il m’a laissé. Ce qui n’est pas pareil de dire qu’il pensait qu’il allait mourir en prison. Il était convaincu qu’il allait faire sa peine complète, à savoir la perpétuité. Nous avions aussi parlé avec Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Tous étaient convaincus qu’ils avaient un risque majeur de mourir en prison de maladie ou de vieillesse. Quand nous sommes allés voir Alain Ferrandi, il nous a dit quelque chose de terrible : « s’ils veulent que nous mourrions en prison qu’ils nous le disent au moins nous pourrons nous y préparer psychologiquement et abandonner tout espoir ».

 - Personne n’ignore vos racines insulaires. Est-ce la raison d’une telle implication de votre part dans le dossier du rapprochement des membres du commando Erignac ?

 - C’est évident. Je pense connaître le sujet et ressentir les choses. Mes origines et ma proximité avec la Corse font que je considère pouvoir faire passer des messages de la Corse vers Paris sans m’immiscer dans la politique locale.

C’est aussi une des caractéristiques de ma fonction de député. Quand la République n’applique pas ses propres lois, c’est mon rôle de le dire.