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32ème Ghjurnate di Corti : Le débat des mises au point


Nicole Mari le Lundi 5 Août 2013 à 00:12

Aux Ghjurnate internaziunale di Corti, le débat sur l'évolution institutionnelle de la Corse, réunissant, à l’invitation de Corsica Libera, deux des acteurs des réformes en cours sur la langue, le PADDUC et le foncier ainsi que des élus de Corse Social Démocrate et de Femu a Corsica, a tenu ses promesses. Si tous les participants se sont accordés sur la nécessité d’une révision constitutionnelle, les divergences idéologiques ont refait surface sur la question du statut de résident, notamment par la voix de Maria Guidicelli. Pierre Ghionga a créé la surprise en prenant position en faveur du statut. Les Nationalistes, tous tendances confondues, ont demandé des actes.



32ème Ghjurnate di Corti : Le débat des mises au point
Le 1er débat, réunissant, pour la première fois, à l’invitation de Corsica Libera, des élus de gauche et de droite, fut l’événement des 31ème Ghjurnate internaziunale di Corti en 2012. Il fut le symbole du dialogue, de l’ouverture et des discussions jusque-là taboues. Ce 2nd débat, plus recentré sur les conseillers exécutifs rapporteurs des dossiers majeurs de la mandature tels que la langue, le foncier et la réforme institutionnelle, a été celui des mises au point et des prises de positions. Mise au point, d’abord, sur l’état des dossiers en cours et du travail effectué à l’Assemblée de Corse (CTC). Mise au point, ensuite, des mouvements nationalistes qui ont demandé à l’Exécutif territorial de prendre ses responsabilités et d’afficher ses positions sur les questions foncières et institutionnelles qui viendront en débat, à la CTC, les 26 et 27 septembre prochains. Mise au point, enfin, vis-à-vis de l’Etat qui, jusqu’à présent, fait la sourde oreille à toutes les propositions, délibérations et votes émanant des élus insulaires. En prime, une prise de position nette des deux conseillers exécutifs sur l’épineuse question du statut de résident.
 
Des porteurs de projets
L’objectif initial de Corsica Libera était d’inviter « des porteurs de projets, ceux qui animent le processus de réforme pour le compte de la CTC ». En l’absence de Pierre Chaubon, président de la Commission des compétences législatives et règlementaires, hospitalisé la veille, deux conseillers exécutifs étaient présents. Pierre Ghionga, en charge de la langue et de la culture corses, qui a fait adopté, à l’unanimité des votants, le 17 mai dernier, le statut de coofficialité, avait déjà participé au 1er débat en août 2012. Pour Maria Guidicelli, élue du Front de gauche, en charge de l’élaboration du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) qui sera débattu à l’automne, ce fut, par contre, une première. Comme pour Jean-Baptiste Luccioni, conseiller territorial et président du groupe Corse Social Démocrate, qui fut le 1er élu non nationaliste à se prononcer en faveur du statut de résident. Côté Nationalistes modérés, François Alfonsi, député européen, membre du PNC, reste fidèle aux Ghjurnate. Femu a Corsica avait mandaté deux conseillers territoriaux : Jean Biancucci et Michel Castellani, ce dernier était déjà présent l’an dernier.
 
La fin des débats
Le débat débute par une prise de parole de chaque participant qui se félicite du dialogue engagé entre tous les partis politiques. « Il est important d’échanger des idées qui ne sont pas les mêmes et d’arriver à une solution qui soit celle de tous les Corses », déclare Pierre Ghionga. « La démocratie participative de proximité est la seule garantie d’élaborer un projet équitable et acceptable par les Corses afin de ramener la paix dans notre île. C’est le sens de ma présence ici, au-delà de nos différences politiques indéniables », indique Maria Guidicelli. « L’enjeu est de discuter sans tabou pour construire l’avenir de la Corse. La démarche d’ouverture de Corsica Libera ouvre la voie à l’espoir », enchaîne Jean-Baptiste Luccioni. Michel Castellani confirme : « Le combat est difficile. La convergence est obligatoire, bien au-delà du mouvement national. L’occasion est unique. Nous n’avons pas le choix. Nous avons le devoir d’avancer ».
Pour François Sargentini, l’objectif est atteint : « Depuis la création de Corsica Libera, nous avons décidé d’asseoir le parti, de participer au débat et de l’ouvrir à l’ensemble des forces politiques et à la société corse. Aujourd’hui, la confrontation et le débat sont quotidiens ». Mais, ajoute-t-il : « Le temps du débat est clos, aujourd’hui, c’est le moment de la concrétisation, le moment où va se décider le futur de notre pays, le moment des engagements ».
 
Le temps des engagements
Des engagements que Pierre Ghionga prend concernant la langue corse. « Pour sauver la langue, il faut un statut de coofficialité, des moyens humains et financiers que nous nous engageons à mettre et une volonté populaire. Nous ferons un référendum pour demander l’avis des Corses et une révision constitutionnelle pour notre langue, notre terre et le transfert de la fiscalité ».
Des engagements que Maria Guidicelli entend décliner dans le futur PADDUC, « document normatif très fort, hors du droit commun, unique en France qui sera un dictionnaire juridique de comment développer la Corse avec une volonté forte d’encadrer, par des règlements, le développement insulaire ». Un plan basé sur l’identité corse et l’urgence sociale, sur le refus de l’économie résidentielle et le choix d’une économie productive. La conseillère exécutive s’engage à mettre en place une protection foncière des espaces agricoles et des espaces remarquables, d’encadrer l’urbanisation et d’instaurer des quotas et une taxation des résidences secondaires afin de juguler les mécanismes spéculatifs.
Des engagements que François Sargentini accepte de prendre au nom de son parti, mais pas seul. « Nous sommes prêts à prendre des engagements pour mettre notre pays sur la voie de la paix et du développement. Nous souhaitons que les autres, aussi, prennent ces engagements. Nous le disons clairement : tout le monde doit être à la hauteur des enjeux. Il est temps que le président de l’Exécutif, Paul Giacobbi, et les membres du Conseil exécutif affirment leurs positions et disent s’ils veulent ou non avancer ! ».
 
Le statut de résident
Prendre position, c’est ce que font les deux conseillers exécutifs, à la surprise générale, sur l’épineuse question du statut de résident qui suscite un virulent débat au sein de la Commission Chaubon. Maria Guidicelli commence par résumer la problématique de ce statut dont l’efficacité a été expertisée, comme prévu par la feuille de route validée par la CTC. « L’expertise propose de décliner ce statut, non comme une solution exclusive, mais comme une pierre d’un dispositif d’ensemble, en complémentarité avec d’autres mesures ». Deux options sont retenues : un statut de résident conditionnant l’accès à la propriété aux seules personnes attachées au territoire ou un statut non exclusif où les acquisitions foncières seraient subordonnées à des critères de centres d’intérêts moraux et matériels se situant dans l’île.
La conseillère exécutive livre une position personnelle très réservée sur ce dossier dont elle a la charge. « En tant qu’élue du Front de Gauche et humaniste, je considère que tout homme qui pose les pieds sur cette terre, parce qu’il s’engage dans une communauté de destin, doit pouvoir accéder aux droits fondamentaux, dont celui de se loger. Ma référence est un projet de vie, c’est-à-dire acquérir une résidence à titre principal, et non une antériorité de résidence ».
 
Un statut-quo mortifère
Pierre Ghionga, lui, n’y va pas par quatre chemins et se déclare personnellement en faveur du statut de résident. « Nous sommes contre le statut-quo actuel qui est mortifère pour l’île. Il faut avancer avec un consensus sur la langue, le foncier, la fiscalité et la réforme institutionnelle. Le statut de résident, j’y suis personnellement favorable ainsi qu’à un transfert de fiscalité qui ne se limite pas à la fiscalité patrimoniale ».
Jean-Baptiste Luccioni confirme son adhésion et celle de son parti, expliquant que son mandat de maire de Pietrosella lui a montré les limites des outils classiques d’aménagement du territoire pour lutter contre la spéculation immobilière. « A charge à nous, élus de la CTC, de construire ce statut sans pratiquer l’exclusion. Notre peuple ne peut pas et ne doit pas disparaître. Il doit pouvoir vivre sur cette terre qui nous appartient ».
Michel Castellani reprend les arguments des anti-statuts pour mieux les démonter : « On reproche au statut de casser l’égalité entre les citoyens. C’est vrai dans une certaine mesure. Mais le statut n’est pas ségrégationniste puisqu’il s’adresse à tout le monde. C’est une mesure à minima. On dit qu’elle est inutile et dangereuse. Au contraire, elle extrêmement utile pour lutter contre la dépossession foncière. Elle n’est pas dangereuse en soi, elle n’est dangereuse que pour l’Etat Nation ». Il prévient : « Nous ne lâcherons rien ». Jean Biancucci va beaucoup plus loin et affirme que ce statut n’est, pour les Nationalistes, qu’un « compromis pour empêcher la dilapidation de notre patrimoine. Nous n’avons pas combattu pendant 40 ans pour obtenir juste un statut de résident ! Ce statut est lié à la notion de peuple corse. Nous acceptons cette étape pour bloquer une évolution et protéger notre peuple et notre terre ».
 
Un déni de démocratie
Abordant, en dernier lieu, la question de la réforme constitutionnelle, tous les participants insistent sur sa nécessité pour doter la Corse des outils dont elle a besoin. « Le PADDUC risque d’être frappé d’inconstitutionnalité. C’est pour cela qu’il faut inscrire la Corse dans la Constitution. L’évolution constitutionnelle n’est pas un préalable, mais une nécessité dans l’état actuel des choses », résume Maria Guidicelli.
François Alfonsi brosse un bref historique de l’obtention des trois statuts particuliers de la Corse, que plus personne, aujourd’hui, n’a l’idée de remettre en cause. « Les évolutions statutaires sont un acquis qui montre, à chaque fois, leur pertinence. C’est pour cela qu’il n’y a pas de recul, pas de retour en arrière. Le peuple adhère. Mais l’évolution des voix nationalistes montre qu’il n’est pas satisfait. Les autres partis l’ont compris ». Puis, le député européen fustige l’autisme du gouvernement : « Il y a une absence totale de dialogue de la part du gouvernement. C’est un déni de démocratie. Le dialogue est le devoir de l’Etat français. C’est une exigence démocratique ! ».
Face à la nécessité de convaincre Paris, Jean Biancucci assène : « En vieux militant, j’ai appris que les barrières, on les saute, on les franchit quand on ne peut pas les ouvrir. Sans reconnaissance politique, juridique et institutionnelle du peuple corse, il sera difficile d’avancer. Il faut trouver les solutions ensemble, uniquement ensemble ».  
Un avis partagé par Michel Castellani qui banalise la révision constitutionnelle: « Ce n’est pas dangereux de toucher aux institutions, elles sont faites pour être adaptées aux situations ! Le pouvoir normatif doit être accordé de plein droit à la Corse. D’autres problèmes sont à résoudre comme celui de l’élargissement des pouvoirs et la question des prisonniers politiques. Nous n’avons jamais rien obtenu facilement. Nous avons toujours arraché chaque avancée. Il faudra encore les arracher. Pour cela, il faut que toutes les forces vives se mobilisent contre les forces de l’immobilisme ».
 
En ordre de bataille
Même position de François Sargentini qui affirme : « Il faudra que le mouvement national se mette en ordre de bataille, en ordre de marche. Il a pénétré l’ensemble de la société corse, l’a irriguée avec ses idées. Mais, ça ne suffit pas ! Nous devons travailler avec ceux qui veulent une autre voie pour ce pays ».
L’idée est reprise au vol par Jean-Baptiste Luccioni qui annonce que son parti se prononcera sur la question de la réforme lors de son assemblée générale prévue fin août. « S’il faut monter à Paris défendre le statut résident, la coofficialité de la langue, le transfert de la fiscalité, la réforme institutionnelle, nous serons présents. Nous allons même convaincre nos amis dans l’île. Ce que nous exprimons doit être validé par le peuple. Il faudra prendre notre bâton de pèlerin pour aller convaincre et faire en sorte que le référendum de 2003 ne se reproduise pas ».
Au final, Jean-Guy Talamoni lance un nouvel appel à la cohésion du mouvement national. « Femu a Corsica est le groupe le plus proche de nous avec lequel il va falloir travailler et établir une véritable cohésion dans les semaines à-venir. Nos propositions sont superposables. Nous disons la même chose et nous pouvons le dire ensemble pour peser davantage dans les débats ».
 
Une mise en garde
Durant le meeting de clôture, il stigmatise l’attitude du gouvernement qui, selon lui, utilise la répression policière pour saper la cohésion des élus insulaires. « Nous pensons que les persécutions judiciaires, que nous connaissons actuellement, totalement injustifiées et à contre-courant, ont précisément pour objectif de nuire à cette cohésion des élus corses et au travail réalisé en commun pour présenter un front uni contre Paris. On cherche à déstabiliser ce front uni car Paris sait bien qu’il ne pourra pas y faire face ».
Le leader de Corsica Libera adresse à l’Etat une mise en garde ferme. « Les militants de Corsica Libera sont l’objet de toutes les attentions des services de police. Il faut que ça s’arrête ! Nous refusons d’endosser ne serait-ce que le 10ème de ce qui se passe aujourd’hui en Corse. Nous ne sommes pas disposés à nous laisser faire. En même temps que nous poursuivons le dialogue, nous nous donnerons les moyens de faire face aux agressions quelqu’elles soient. Paris devra tôt ou tard revoir sa copie s’il ne veut pas aller en Corse vers d’autres déconvenues et vers le déshonneur ».
Jean-Guy Talamoni conclut en s’interrogeant sur la capacité des élus insulaires à assumer leurs responsabilités face à un Etat réfractaire. « Nous sommes à l’heure du choix politique. Dans quelques semaines, il faudra donner une conclusion au projet de réforme élaboré par la CTC. Cette montagne de travail va-t-elle accoucher d’une souris ? L’espoir soulevé au sein de la société corse sera-t-il déçu ? Les élus corses vont-ils se laisser impressionner par les grognements parisiens ou sont-ils prêts à faire face à leurs responsabilités ? Sur les questions fiscales et linguistiques, le Conseil Exécutif a su s’affranchir de la tutelle parisienne et faire ce que Paris ne souhaitait pas. Il doit à présent le faire sur la question de la résidence et sur celle de la réforme constitutionnelle ».
Réponse les 26 et 27 septembre, lors de la session de rentrée de l’Assemblée de Corse.
 
N.M.
 
A venir : Interviews des intervenants au débat.