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Francesco Pigliaru : « La Corse, les Baléares et la Sardaigne ont des objectifs communs clairs »


Nicole Mari le Dimanche 9 Décembre 2018 à 23:04

Peser sur les décisions de l’Union européenne (UE) pour faire prendre en compte les contraintes de l’insularité dans l’élaboration des politiques publiques post-2020, est un enjeu prégnant pour les îles, notamment celles de Méditerranée. Au Comité européen des régions, les représentants insulaires ont décidé de créer un intergroupe Iles pour appuyer les revendications établies par la Commission des Iles et son président, Gilles Simeoni, président de l’Exécutif corse. Francesco Pigliaru, président de la Région autonome de Sardaigne et membre du Comité des régions, explique, à Corse Net Infos, que le but est de créer un partenariat à l’instar de celui qui unit déjà la Corse, les Baléares et la Sardaigne.



Francesco Pigliaru, président de la Région autonome de Sardaigne et Nanette Maupertuis, conseillère exécutive en charge des affaires européennes, présidente de l'Agence du tourisme, tous deux membres du Comité européen des régions, lors de la dernière session plénière, les 5 et 6 décembre, à Bruxelles
Francesco Pigliaru, président de la Région autonome de Sardaigne et Nanette Maupertuis, conseillère exécutive en charge des affaires européennes, présidente de l'Agence du tourisme, tous deux membres du Comité européen des régions, lors de la dernière session plénière, les 5 et 6 décembre, à Bruxelles
- Pourquoi créer un intergroupe Iles au sein du Comité des régions ?
- Nous sommes en train de travailler pour le créer. Il est important que les îles puissent s’entendre et se coordonner pour faire une action commune, à l’exemple de ce que nous avons réussi avec la Corse, les Baléares et la Sardaigne. Nous avons, toutes, la même volonté de faire reconnaître la problématique de l’insularité et de montrer, avec beaucoup de détails et de précision, les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Nous voulons porter la voix des îles qui, jusqu’à présent, est faible et trop divisée, porter une voix unie pour mieux peser sur les décisions.
 
- Quelle est votre priorité ?
- Nous voulons, avant tout, que l’insularité soit parfaitement reconnue d’un point de vue opérationnel. La reconnaissance formelle existe déjà. L’article 174 du Traité sur le fonctionnement de l'UE définit l’insularité comme un handicap, mais il ne dit pas quelles actions sont légitimes pour le compenser. Cette situation crée beaucoup d’incertitudes pour nos îles. C’est pourquoi nous devons savoir avec certitude quelles actions politiques nous pouvons légalement adopter pour compenser les contraintes de l’insularité. Notre priorité est, donc, la bataille pour nos droits, la reconnaissance de nos droits à la citoyenneté et à la mobilité qui, pour l’instant, ne sont pas garantis.
 
- Par exemple, dans le domaine des transports et de la coopération maritime ?
- Oui ! C’est, évidemment, très important dans le secteur des transports. Chacun de nous, Corse, Baléares et Sardaigne, nous dialoguons pour notre propre compte avec la Commission européenne, en particulier avec la DG Competition. C’est très difficile ! Trop difficile ! Nous voulons obtenir des engagements plus clairs qui nous accordent plus de libertés pour dépenser les fonds en vue de garantir, en priorité, la mobilité de nos citoyens. Aujourd’hui, il y a trop d’incertitudes formelles, nous voulons plus de certitudes et plus de droits.
 
- Le recentralisation des fonds vers les Etats-membres ne vous inquiète-t-elle pas ?
- Oui ! Nous pensons qu’en règle générale, l’Europe doit être beaucoup plus attentive aux territoires et avoir un dialogue mieux articulé parce que les situations sont très diverses, très hétérogènes. Même à l’intérieur des Etats, règne une grande diversité. C’est pourquoi, comme nous l’avons fait entre la Corse, les Baléares et la Sardaigne, il est fondamental d’engager un processus similaire avec des régions qui affrontent les mêmes problèmes pour se donner la capacité de monter directement des projets. Si nous devions affronter le problème de l’insularité par le biais d’un gouvernement national, le processus serait trop lent, trop fastidieux et trop cher. Il est, de loin, préférable que les soutiens spécifiques aux régions viennent directement de l’Europe sans médiation nationale. Donner aux Etats les fonds destinés aux régions est, le plus souvent, une erreur !
 
- Concrètement, depuis trois ans, qu’est-ce qu’apporte le partenariat Corse-Sardaigne-Baléares ?
- La chose fondamentale est qu’avant, le dialogue n’existait pas et qu’aujourd’hui, il existe. Evidemment, il est compliqué à traduire immédiatement en projets concrets. C’est pourquoi je tiens particulièrement à ce qu’en février prochain, nous prenions, ensemble, une initiative forte, visible politiquement, qui nous permettra de faire un grand pas en avant. Il s’agit de demander, d’une même voix, à nos gouvernements nationaux et à Bruxelles, d'apporter une réponse au problème de l’insularité. Ce sera une initiative forte et importante, comme est forte et importante la conscience que nous, Corse, Sardaigne et Baléares, avons du rôle essentiel que nous jouons en Méditerranée comme avant-poste de l’Europe.
 
- C’est-à-dire ?
- Dans cet espace géographique, si délicat et si important, le dialogue est, en ce moment, complexe et difficile. Nous sommes des îles de Méditerranée et nous avons toujours entretenu des liens avec la rive Nord, comme avec la rive Sud de la Méditerranée. C’est une grande richesse pour l’Europe et c’est ce que l’Europe doit comprendre. Nous sommes précieux aussi pour ce que l’Europe peut dire à la rive Sud de la Méditerranée. La conscience partagée du rôle que nous devons jouer est le résultat du dialogue que nous, Corse, Sardaigne et Baléares, entretenons depuis trois ans, et qui est très beau et très affectueux.
 
- Au Comité des régions, face à la concurrence des grandes régions continentales, avez-vous le sentiment d’être entendu à défaut d’être compris ?
- Le Comité des régions est un endroit magnifique pour porter des initiatives politiques, même spécifiques, concernant nos territoires. Nous n’avons jamais eu l’impression d’être mis de côté. Certes, avoir un intergroupe Iles organisé, structuré, à l’intérieur du Comité des régions, et qui fonctionne bien, nous aidera. Mais pour bien fonctionner, il faut avoir des objectifs communs clairs. La Corse, les Baléares et la Sardaigne ont, aujourd’hui, des objectifs communs clairs. C’est une force politique ! Nous pensons que d’autres îles peuvent partager notre point de vue et nous rejoindre pour dire ensemble ce que nous avons, tous, de commun à dire. Nous, nous avons des choses à dire et nous voulons convaincre, par exemple, la Crète ou même la Sicile, de former une plateforme commune, solidaire pour obtenir les réponses que nous attendons, le rôle que nous pouvons jouer et les droits que nous réclamons. Ceci, dans la clarté, démocratiquement, sans lamentations, ni pleurs inutiles, mais en demandant des choses précises et spécifiques. Alors, à l’instar des autres régions, les îles deviendront plus fortes !
 
- L’autre espace de dialogue est la Commission des îles. A Bastia, en juillet dernier, vous avez pris des résolutions. Où en sont-elles ?
- J’étais à Bastia pour cette rencontre importante où nous avons décidé des thèmes cruciaux dont nous devions parler. Nous avons confronté, chacun, nos points de vue et discuté de la façon d’affronter les problèmes de coopération et de cohésion. Gilles Simeoni a réalisé un travail remarquable et habile. Nous sommes parfaitement coordonnés.
 
- Qu’est-ce qui est le plus difficile : convaincre Bruxelles ou convaincre les capitales, Rome, Madrid ou Paris ?
- C’est une excellente question ! Les difficultés sont des deux côtés. Néanmoins, je pense qu’en ce moment, il est particulièrement difficile de se confronter à Bruxelles. Pour un motif simple : les gouvernements nationaux sont élus, ils ont une dimension politique très claire et très précise. La Commission européenne, non ! Quand nous parlons avec Rome, nous parlons avec des ministres, nous parlons avec la partie politique de l’Etat. Quand nous parlons avec Bruxelles, nous ne parlons pas avec la partie politique de l’Europe, mais directement avec la partie bureaucratique. Ce dialogue-là est très difficile !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.