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Bilan des Municipales : L'émergence d'un nouvel ordre politique


Nicole Mari le Mardi 1 Avril 2014 à 00:43

Un Nationaliste à la tête de la mairie de Bastia. Un libéral, nouveau locataire de la Maison Carrée à Ajaccio. Des victoires éclatantes et impromptues. Des échecs cinglants et inattendus. Des unions inédites et des divorces sanglants. Une gauche à la dérive, une droite reboostée, des Nationalistes entre deux eaux. Les résultats des élections municipales changent le paysage politique insulaire et bouleversent les équilibres. Décryptage.



L'union arc-en-ciel nationaliste-libérale-diversgauche, victorieuse à Bastia.
L'union arc-en-ciel nationaliste-libérale-diversgauche, victorieuse à Bastia.
Les élections municipales, qui viennent de s’achever, ont été, en Corse, un vivier de surprises. Ce n’était qu’un scrutin local. Personne, en dépit des rumeurs de séismes ou de citadelles assiégées, n’imaginait raisonnablement qu’il bouleverserait la donne politique corse. Pourtant, aucun candidat, parti favori dans les communes-clés, n’a gagné la course. Nul ne prévoyait que le tsunami attendu, qui a ravagé la gauche partout sur le continent, atteindrait les rivages de l’île. Personne ne croyait véritablement à l’alternance, notamment dans les grandes cités, tant les édiles semblaient contrôler leurs territoires. La majorité nationale et territoriale, toute puissante au Nord et dans les deux principales villes de l’île, ne semblait guère s’inquiéter des possibles revers liftés de la politique gouvernementale si décriée. Ni même de ses propres déchirures. A Bastia et Ajaccio, coalisée dans des majorités en place, elle était tellement sûre de son fief qu’elle a refusé de partager le pouvoir. A Porto-Vecchio et à Sartène, elle semblait certaine de sa capacité à prendre ou à reprendre, alliée ou non aux Nationalistes, le bastion libéral.
 
Une gauche laminée
Victime de ses mauvais choix, la gauche insulaire sort laminée dans toutes ses composantes. A Ajaccio, la capitale administrative, l’élection semblait jouée d’avance. Les sondages, donnant le maire sortant, Simon Renucci (Corse Social démocrate), vainqueur quelque soit le cas de figure, avait semblé lever le suspense. Mais, la coalition rassemblant toutes les forces de gauche, dont deux conseillères exécutives, alliée à une frange indépendantiste, se fait doubler sur la ligne d’arrivée par une droite unie autour du jeune loup libéral, Laurent Marcangeli, qui, en 2012, lui avait déjà ravi la députation. Une union de 2nd tour avec les Nationalistes aurait pu changer la donne, mais elle a achoppé sur les prétentions des uns et des autres. Quelque peu sonnée, la gauche ajaccienne perd, le même soir, pour une poignée de voix, la Maison Carrée, son leader, son ossature et son équilibre.
 
Un revers cinglant
Le revers est encore plus cinglant à Bastia pour la coalition PRG-PS-Communiste aux commandes depuis 1968. L’usure d’un pouvoir fondé sur le principe dynastique, l’exclusion brutale des contestataires, le mépris affiché de toute opposition, une gouvernance autocratique et la certitude de détenir la place, ont quelque peu brouillé la lucidité des sortants. Les Zuccarelli et leurs alliés communistes ont commis l’erreur de penser qu’une Mairie était un patrimoine familial qui se transmettait de père en fils dans une configuration immuable d’affectation de postes et de responsabilités. Ils ont voulu imposer « l’héritier » sans se soucier de savoir s’il était ou non le bon cheval dans un parcours électoral qu’ils pensaient sécurisé par leur redoutable machine de guerre. Ostracisant leur dissidence au lieu de colmater les plaies, ils ont campé sur des positions fermées et commis erreur sur erreur. Après le coup de massue des sondages qui donnaient le Nationaliste Gilles Simeoni vainqueur dans tous les cas de figure, les deux têtes de liste, Jean Zuccarelli et Francis Riolacci, se sont lancés dans une stratégie de communication désastreuse fondée sur la peur, la calomnie, la diabolisation de l’alternance et s’y sont empêtrés. La promenade de santé a viré à la course d’obstacles. Les Bastiais ont clairement rejeté l’héritier, le bloc radicalo-communiste et ses méthodes surannées et avalisé une union nationalo-libérale-diversgauche progressiste et inattendue.
 
Un cruel désavœu
A Sartène, les Communistes, emmenés par Dominique Bucchini, ont, également, subi un cruel désavœu. Pourtant donné favori, le président de l’Assemblée de Corse n’a pas réussi à récupérer son ancien bastion, ni à nouer l’alliance prévue avec les Nationalistes modérés.
Cette alliance réalisée à Porto-Vecchio a coûté ses ambitions à Jean-Christophe Angelini, lui aussi longtemps donné vainqueur, mais qui a, visiblement, commis une erreur d’appréciation de son électorat.
La gauche insulaire, divisée, amputée de ses leaders et de ses pré-carrés, est déboussolée et désorganisée. Corse Social Démocrate se retrouve sans tête : Simon Renucci, dès l’annonce de sa défaite, a jugé préférable de tirer sa révérence. Le PRG perd, à Bastia, son bastion et sa dynastie emblématiques. Les Communistes ne subsistent qu’à l’Assemblée de Corse. La majorité territoriale, qui n’était déjà qu’une coalition de façade, ne repose plus sur une assise électorale solide. Elle va devoir vite se recomposer pour affronter les prochains scrutins, notamment celui des Territoriales, si elle veut conserver ses perchoirs à l’Assemblée de Corse.
 
Le triomphe libéral
A l’inverse, la droite triomphe dans l'île comme sur le continent. Elle assoit, grâce à des choix judicieux de rassemblement, sa reconquête entreprise après l’échec cuisant des Territoriales de 2010. Elle détient toutes les villes de plus de 5000 habitants, à l’exception de Bastia. Elle conforte sa position à Porto-Vecchio et dans les villes de Balagne. La prise d’Ajaccio lui assure une suprématie indiscutable au Sud. Sa présence dans l’union gagnante bastiaise pose, localement, les bases d’une renaissance, même si là, tout reste à construire.
 
Un bilan mitigé
Entre deux eaux, les Nationalistes affichent un bilan en demi-teinte, malgré leur entrée dans un certain nombre de conseils municipaux et la prise de communes. La fracture entre modérés et indépendantistes pose un dilemme cornélien assez peu lisible. Les résultats d’Ajaccio et de Corte montrent que la stratégie d’union du mouvement national s’avère électoralement peu fertile, les scores obtenus en commun sont largement inférieurs à l’addition des voix obtenues séparément. En même temps, l’échec sans appel des modérés à Porto-Vecchio sur un terrain pourtant bien préparé peut être, en partie, imputé au refus d’une union et à un choix d’alliance exclusive à gauche dès le 1er tour.
 
Une victoire historique
A Bastia, la victoire historique de Gilles Simeoni valide, par contre, une stratégie pragmatique d’ouverture à large spectre et change considérablement la donne. En arrachant la 2nd ville de Corse, le leader nationaliste, qui a, depuis 2010, incontestablement le vent en poupe, prend une autre dimension politique. Il devient, désormais, incontournable. Sa volonté de rassembler, sans exclusive les forces progressistes pour abattre les conservatismes, fait bouger les lignes et les rapports de forces politiques. Fer de lance d’une nouvelle génération qui veut accéder aux responsabilités de manière plus décomplexée, entourée d’une équipe jeune, dynamique et ambitieuse, il invente à Bastia, comme son ami Jean-Baptiste Arena à Patrimoniu, une autre manière de faire de la politique qui intrigue et séduit.
 
Des unions arc-en-ciel
Parti de l’intérieur des terres, u soffiu novu balaye certains rivages du Nord, éclate les postures et redessine sur des paysages figés des unions arc-en-ciel. Ces unions, que certains jugent à tort contre-nature, ne contrarient, au fond, que les partis sclérosés, les logiques autocratiques et les idéologies surannées. Elles répondent à une soif d’émancipation, au désir d’une autre gouvernance, à un profond besoin de démocratie participative que beaucoup persistent à ignorer ou à feindre d’ignorer. Elles créent un nouveau modèle, une nouvelle manière de penser et de gérer la chose publique et pourraient bien, dès les prochains scrutins, esquisser un nouvel ordre politique. Cette nouvelle donne bastiaise pèsera certainement, dès septembre, sur les Sénatoriales locales. Elle pourrait modifier les équilibres lors des cantonales en Haute-Corse avec l’âpre désir de la droite de reconquérir, grâce à l'appui des Nationalistes modérés, la citadelle Giacobbiste.
 
Le non-cumul des mandats
L’enjeu reste, néanmoins, plus que jamais les Territoriales. La dissolution de la gauche et la mise hors jeu de vieux leaders rebattent les cartes d’un jeu encore assez trouble. Le président de l’Exécutif, Paul Giacobbi, qui avait opté, en 2010, lors du conclave de Venaco, pour un conservatisme confortable, a fini par se sentir un peu à l’étroit dans une majorité hétéroclite dont les divergences fondamentales éclatent à chaque vote important. La tentation d’une certaine coalition progressiste est déjà défendue par le maire socialiste de Bonifaciu, Jean-Charles Orsucci.
Autre inconnue de l’équation : la conséquence des lois interdisant le cumul des mandats. A partir de 2017, un élu local devra choisir entre son mandat de maire et son mandat de parlementaire : député ou sénateur et député européen dès 2019. Au nom du principe d'égalité, les Sages du Conseil Constitutionnel ont également réclamé une incompatibilité de fonction entre parlementaire et vice-président de l'Assemblée de Corse, pour l'instant non prévue par la loi. Lorsque la loi s’appliquera, les parlementaires ne pourront plus être maires, adjoints, présidents ou vice-présidents d’intercommunalité, de conseil départemental (ex-conseil général), de conseil régional ou du conseil d’administration d’une société d’économie mixte locale. Ils pourront, en revanche, continuer à être conseillers municipaux, départementaux ou régionaux. Ces lois, présentées comme une petite révolution démocratique, sont censées renouveler et rajeunir le personnel politique. Elles devraient obliger certains élus corses d’envergure, notamment Paul Giacobbi, à un choix difficile.
 
N.M.