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Xylella fastidiosa : Les oléiculteurs dénoncent, preuves à l’appui, les « mensonges » de l’Etat !


Nicole Mari le Mardi 13 Juin 2017 à 19:34

La bactérie tueuse s’étend en Corse ! C’est le constat accablant livré par les oléiculteurs. Alertés par l’explosion des symptômes sur des végétaux, ils ont analysé des échantillons prélevés sur le bord des routes et fait des découvertes inquiétantes : la liste des végétaux contaminés est « incomplète et fausse ». Y manquent le chêne vert, le laurier-rose, la filaire... En Plaine orientale, les insectes sont infectés. Les dérogations sur l’importation des plantes à risque, en provenance de zones touchées, se multiplient. Les oléiculteurs dénoncent, preuves à l’appui, les « mensonges » de l’Etat, « l’indifférence générale des services sanitaires » et « le silence assourdissant » des chambres d’agriculture et des élus locaux. Ils exigent l’arrêt des importations et lance un appel à la mobilisation à travers une association « Corsica Sana » et une pétition. Explications, pour Corse Net Infos, de Louis Cesari, vice-président du syndicat AOP Oliu di Corsica et président délégué du SIDOC (Syndicat interprofessionnel des oléiculteurs de Corse). Suivies des mises au point de Sandrine Marfisi, présidente du syndicat AOP, et de Fabienne Maestracci, oléicultrice dans l’Extrême-Sud.



Le syndicat Oliu di Corsica.
Le syndicat Oliu di Corsica.
- Que se passe-t-il de nouveau ?
- Nous avions l’impression, depuis un moment, que la politique, mise en place officiellement pour préserver la Corse, n’était pas complète, pas sérieuse. Elle comportait trop de dérogations, elle n’était pas de nature à protéger la Corse. En plus de cette impression générale, nous avons eu, ces dernières semaines, des preuves que les services de l’Etat ne nous disent pas toute la vérité, même qu’ils nous cachent des choses ! En même temps, on entend, toujours, le silence assourdissant des responsables politiques et professionnels locaux, qui ne va pas dans le sens de la préservation de la Corse. Nous communiquons, aujourd’hui, pour livrer les preuves de ce que nous avançons et pour appeler les services de l’Etat, les élus, en particulier les élus régionaux, et les responsables professionnels, à prendre position sur la question de l’introduction des plantes en Corse.
 
- Quelles preuves avez-vous ?
- Habités par le doute, nous avons procédé à l’acquisition d’un matériel d’analyse. En deux demi-journées et avec seulement 40 analyses, alors que les services de l’Etat en auraient fait plus de 10 000, nous avons découvert deux variétés de plantes positives à la xylella. Ces plantes, que les inspections conduites depuis deux ans n’ont pas trouvées, nous inquiètent. Il s’agit du laurier-rose qui est diffusé partout en Corse et fait l’objet de commerce et d’importations massives. Et du filaire à feuilles longues qui fait partie de la famille des oléacées, c’est-à-dire la même famille que les oliviers.
 
- Qu’est-ce qui vous a mis la puce à l’oreille ?
- L’ambiance ! Une suspicion latente depuis un certain temps. On ne répond pas à nos mails. Les pages Internet de la préfecture et de la DRAF (Direction générale de l’agriculture et de la forêt) ne sont pas actualisées. Nous avons fini par chercher par nous-mêmes. Nous avons trouvé certaines preuves sur Internet et acheté un matériel qui vaut 1000 €.  Nous avons prouvé que le travail d’investigation sur le terrain était à minima, voire insuffisant. La crise a débuté il y a deux ans dans une logique de construction collective avec des réunions très fréquentes et une assez belle transparence de l’information. Aujourd’hui, la transparence, il n’y en a plus, la confiance, on l’a perdue !
 
- Vous parlez de « catastrophe écologique », notamment pour le chêne-vert ? Est-il autant touché ?
- Le chêne vert corse est positif à la xylella, d’après des documents que nous avons trouvés sur Internet. Ce sont des publications scientifiques, cosignées par l’INRA d’Angers et l’ANSES (laboratoire national de référence pour Xylella Fastidiosa en France) qui sont les référents nationaux en la matière. Le chêne vert est un arbre emblématique du territoire qui occupe 107 000 hectares de forêt naturelle. C’est un élément important de la forêt méditerranéenne, essentiel pour la production de bois, la production charcutière, l’environnement… De nombreux chênes verts meurent, aujourd’hui, dans toutes les régions de Corse, que ce soit en Balagne, dans l’Extrême-Sud, dans le Cap Corse… C’est vraiment alarmant !
 
- Autre sujet d’inquiétude : la présence d’insectes infectés en Plaine Orientale. Comment l’avez-vous découvert ?
- Au cours de la mise en place d’un Comité scientifique d’une étude actuellement menée sur le mode de transmission de la maladie en Corse par le vecteur entomologique, nous avons pris connaissance de prélèvements d’insectes effectués par l’INRA de Montpellier sur une commande de l’Etat. Ces insectes s’avèrent contaminés dans une région du Nord de la Plaine Orientale qui, aujourd’hui, est présentée comme une région saine ! Ce n’est pas cohérent ! On ne peut pas avoir des insectes contaminés, si les plantes ne le sont pas ! Les insectes ont été contaminés en se nourrissant sur des plantes infectées. Il y a, donc, forcément, des plantes contaminées dans cette région. Les a-t-on cherchées ?

Laurier corse infecté.
Laurier corse infecté.
- Vous dénoncez également des importations de lots contaminés venant des régions infectées des Baléares. De quoi s’agit-il exactement ?
- Les trois îles des Baléares ont été infectées par des introductions de plantes sur leur territoire qui provenaient d’une grande zone de pépinières andalouses. L’Espagne a conduit des études épidémiologiques et identifié des lots à risques. Elle a en informé les Etats-membres de l’Europe et l’autorité environnementale européenne. Un Etat-membre a réagi. Pas la France, mais la Tchéquie qui a fait des recherches sur les camions en provenance de cette zone. Elle a effectivement déjà trouvé au moins une plante contaminée et d’autres suspectes qui sont en cours d’analyse. On sait que dans cette zone espagnole de pépinières, la maladie est présente et diffusée. Or, la Corse accorde très largement des dérogations d’introduction de plantes en provenance d’Espagne, notamment, de cette zone. Est-ce bien sérieux ?
 
- La préfecture affirme, pourtant, que l’information est transparente sur le sujet et largement diffusée…
- Non ! Pas du tout ! Elle est non seulement complètement tronquée, mais aussi mensongère ! Ce sont les preuves que nous apportons aujourd’hui. Quand un chêne vert est positif et qu’on ne le déclare pas, c’est révélateur de l’attitude et du sérieux qu’on met dans cette mission ! On s’abrite derrière l’alibi de l’arrêté de limitation d’introduction des plantes et de l’accord de dérogations par lesquelles on ouvre les vannes à fond ! Il faut arrêter ce discours d’enfumage qui se donne bonne conscience ! Si on veut être efficace, il faut que le Préfet de région, en premier lieu, les élus locaux, les responsables professionnels et agricoles se déterminent et prennent une position claire.
 
- Laquelle ?
- Deux choix sont possibles. Soit on accepte la xylella parce qu’on pense que c’est dans l’ordre des choses, qu’il ne faut pas empêcher la libre circulation des marchandises en Europe, et on a le courage politique de le dire. On arrête de dépenser de l’argent pour rien, pour se constituer un alibi qui est trop coûteux ! Ce choix n’est pas le nôtre ! Soit on veut protéger la Corse des autres souches de la bactérie, et on interdit l’introduction des plantes tout en créant des filières de productions locales. C’est notre demande depuis deux ans ! La Corse est une île, la géographie nous offre une carte pour nous protéger, il faut poser cette carte sur la table. La garder dans la poche est une position coupable !
 
- Quelles seraient les conséquences de la résignation ?
- C’est simple : la Corse devra se préparer à recevoir les différentes souches Xylella et prendre les mesures qui s’imposent. Il y a déjà la Multiplex. Arriveront, donc, les souches Fastidiosa et Pauca qui provoquent, pas seulement l’affaiblissement des plantes, mais leur mort. Les plantes, qui en mourront, sont la vigne, l’olivier et un grand nombre de plantes du maquis. D’autres plantes seront affaiblies et ne pourront plus être utilisées en termes de productions agricoles, comme les agrumes. L’amandier est déjà infecté par la Multiplex. Les clémentiniers y sont sensibles. On ne sait pas encore s’ils en mourront. On sait qu’au Brésil, la Multiplex rend la production d’agrumes très compliquée et très consommatrice de produits phytosanitaires parce qu’il faut lutter contre les insectes.
 
- Faute d’être entendus, les oléiculteurs se résignent-ils ?
- Non ! Jamais ! La résignation n’est pas acceptable ! Elle est coupable ! Nous continuons à demander l’interdiction des plantes. Nous faisons tester nos variétés pour savoir si elles sont résistantes. Nous avons mis sur pied, depuis un an, un atelier de production d’oliviers qui produit des plants d’oliviers certifiés à partir de nos arbres en Corse, à San Giuliano. On n’a pas besoin d’en importer pour la filière de production agricole. C’est dommage que tout le monde ne fasse pas de même ! Sans vouloir donner de leçons, c’est faisable ! Nous en avons fait la démonstration.
 
- Comment expliquez-vous que d’autres professionnels agricoles ne réagissent pas. Sont-ils inconscients du sérieux de la menace ?
- C’est notre sentiment aujourd’hui à l’endroit, notamment, des Chambres d’agriculture. A nos côtés, nous avons toujours eu les filières forestières, apicoles, castanéicoles et quelques autres. Souvent, l’impression est partagée entre la résignation et la méconnaissance. Les gens ne sont pas allés voir dans les Pouilles les dégâts que la Xylella causait. Nous, nous y sommes allés. Nous avons fait venir, ici, les gens des Pouilles. Nous avons une vision très concrète des dégâts qu’elle cause et du désarroi qu’elle crée chez les producteurs. Dans les Pouilles, les producteurs pleurent ! Ils produisaient depuis des générations. Aujourd’hui, ils ont arrêté de produire. Ils essayent d’autres cultures qui pourraient être plus résistantes. Cette réalité-là ne parle peut-être pas à tout le monde ! Pourtant, les décisions nous incombent aujourd’hui. Demain, ce sera trop tard ! Il faut qu’une décision soit prise maintenant ! C’est pour cela que nous alertons tout le monde.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Une pétition "Aidez à protéger la Corse contre la Xylella", vient d’être lancée sur le site change.org à l’adresse suivante :
https://www.change.org/p/ministre-de-l-agriculture-aidez-à-protéger-la-corse-de-la-xylella
 

Végétaux infestés.
Végétaux infestés.
Sandrine Marfisi : « L’Etat fait des excès de zèle avec les oléiculteurs pour faire croire qu’il est rigoureux ! »

«  L’Etat fait des excès de zèle à certains moments pour nous faire croire qu’il est rigoureux avec la circulation des végétaux. Les pépinières, qui sont en zone délimitée (zone potentiellement infectée), ne sont pas aux normes. Elles importent des plantes soi-disant saines ! Elles les stockent dehors, malgré les vecteurs potentiels, les revendent sans que cela n’inquiète personne ! Mais, lorsque nous, oléiculteurs, demandons une dérogation pour aller chercher en Corse du Sud les boutures d’oliviers et les ramener dans des sacs hermétiques et dans une serre, - elle aux normes -, en Haute-Corse, on nous dit que ce n’est pas possible parce qu’il y a un risque ! Il y a une incohérence totale des DDCSPP (Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations) 2A et 2B et un système qui n’est pas du tout à la hauteur d’une vraie gestion de la crise... Nous avons lancé une pétition sur Internet qui est un appel à la protection de l’île et à l’interdiction d’entrée des végétaux en Corse. Beaucoup d’îles le font, que ce soit l’Australie, l’Angleterre pour des produits carnés… C’est possible puisque tous les végétaux rentrent par bateau. Il suffit d’avoir la volonté politique de le faire. Nous demandons à tous les citoyens de se mobiliser pour mettre en œuvre une protection réelle de l’environnement de la Corse, notamment de la flore ».

Végétaux infestés.
Végétaux infestés.
Fabienne Maestracci : « Les Chambres d’agriculture s’en foutent ! Je suis, aussi, très désappointée par le silence des élus locaux »

« Jusqu’à présent, il n’y a eu que les oléiculteurs, les castanéiculteurs et les apiculteurs qui avons porté le fer. Le silence des associations de l’environnement, c’est, pour moi, un mystère ! Les vignerons pensent, peut-être que ça ne les concerne pas. Ils ont tort ! La souche, qui est en Espagne d’où proviennent actuellement toutes les importations, tue la vigne. Elle porte la maladie de Pierce. Les Chambres d’agriculture s’en foutent ! Cela ne les intéresse pas ! Elles sont, surtout, très préoccupées d’élections et de réélections et doivent avoir quelques amis parmi les gens contre lesquels nous nous battons. On se bat pour la Corse, mais, malheureusement aussi, contre des gens. Je suis, aussi, très désappointée par le silence des élus locaux. Ça m’affecte beaucoup parce que, parmi les élus de la Corse, il y a des gens avec qui j’ai accompli un parcours militant que je considère comme exemplaire. Ces gens-là, on ne les entend pas ! Je ne sais pas pourquoi ! Il y a d’autres grandes causes, les prisonniers…, mais la Corse, dans son entité végétale, ses forêts, ses rivières, son eau… il ne peut pas y avoir une cause plus grande que celle-là ! En tous cas, c’est pour celle-là que je me bats depuis le début ! Nous avons lancé l’association Corsica Sana pour que tout le monde ait un espace d’action. Il y a des tas de gens qui ont des choses à dire, quelque chose à défendre, à savoir la Corse, nous avons tous cela en commun. S’ils se sentent un peu seuls, ils pourront rejoindre l’association et se mettre, eux, aussi, au service de la Corse ».