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Union européenne : Fortes inquiétudes sur l'avenir de la politique de cohésion territoriale


Nicole Mari le Dimanche 5 Mars 2017 à 00:38

L'avenir de la future politique de cohésion territoriale européenne (COTER) post-2020 a été débattu, pendant deux jours, les 2 et 3 mars à Varsovie en Pologne, par les représentants des Comités de régions d'Europe. Une session à laquelle participait la Collectivité territoriale de Corse (CTC), représentée par Nanette Maupertuis, conseillère exécutive en charge des affaires européennes, présidente de l'Agence du tourisme et membre du Comité des régions. La remise en cause de cette politique de solidarité, qui se profile dans le livre blanc de la future programmation des fonds communautaires, pour cause de contraintes budgétaires et de Brexit, suscite beaucoup d'inquiétude chez les élus locaux. Des interrogations que la patronne des politiques régionales, la commissaire européenne, Corina Cretu, n'a pas vraiment réussi à apaiser.



La réunion de la COTER à Varsovie les 2 et 3 mars 2017.
La réunion de la COTER à Varsovie les 2 et 3 mars 2017.
La politique de cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union européenne (UE) disparaîtra-t-elle de la future programmation ? C'est l'angoissante question qui secoue les régions depuis la parution, mercredi dernier, la veille du 12ème Congrès du COTER, du Livre blanc sur l'évolution de la politique communautaire après 2020. Dans ce livre, Jean Claude Juncker, le président de la Commission européenne, trace cinq scénarii possibles dans un contexte de crise financière, de réduction de dotations européennes et de Brexit. Pas un mot ou si peu… sur le financement de l’indispensable politique de cohésion, pilier incontournable de l’intégration européenne dont le but est d'instaurer des conditions équitables de concurrence, de maintenir et créer des emplois en favorisant des investissements stratégiques dans l'économie, en particulier lorsque le marché traditionnel est défaillant. « Il permet aux États, aux régions et aux collectivités locales les plus faibles de profiter de la solidarité de l’UE. En ce sens, il s'adresse à l'ensemble des populations dans tous les aspects de leur vie quotidienne », explique Michael Schneider, Secrétaire d'Etat, représentant du land de Saxe-Anhalt auprès du gouvernement allemand, rapporteur d’un avis intitulé « Pour une politique européenne de cohésion forte et efficace après 2020 » et présenté aux représentants du Comité des régions, réunis pendant deux jours à Varsovie.
 
Des fonds productifs
Dans de nombreuses régions, les fonds structurels et d'investissements (ESI), octroyés dans le cadre de la politique de cohésion, ont eu une incidence concrète et visible sur la qualité de vie. En finançant des milliers de projets, ils ont contribué à créer des emplois et des infrastructures modernes, à surmonter les obstacles structurels et même à atténuer l’impact de la crise. L'exemple de la région de Mazovia en Pologne est, à ce titre, éloquent. Située au Nord-Est du pays et regroupant 14% de la population sur 11% du territoire, elle est devenue, depuis son entrée dans le marché commun, la plus dynamique et la plus représentative de l'essor économique polonais. Elle affiche 26% de croissance cumulée et un PIB (Produit intérieur brut) qui atteint 106% de la moyenne européenne. « C'est grâce aux millions d'euros de l'UE que nous avons réussi à faire de la région de Mazovie le leader du développement de notre pays. Chaque euro donné par l'UE a été utilisé et a fait des petits », affirme le Marshall-président de la région, Adam Struzik. Et des euros européens, la Pologne en a profité ! Elle a raflé, au fil des ans, 82 milliards sur les 350 milliards d'euros distribués par la politique de cohésion. « La politique de cohésion est la plus importante pour nos pays, nos régions et notre avenir. Ce n'est pas la plus grande politique de développement, mais c'est la plus proche des citoyens. Elle apporte des résultats très concrets. Nous avons besoin d’encore plus de soutien pour tous les territoires », renchérit Jerzy Kwieciński, secrétaire d’Etat polonais et ministre du développement.

Une vision effrayante
Néanmoins, la crise financière mondiale, le Brexit avec la sortie de la Grande Bretagne de l'UE et la diminution des dotations pourraient remettre en cause tout ou partie de cette politique vitale pour de nombreuses régions. Aussi, l'inquiétude est-elle forte chez l'ensemble des représentants européens  qui ont lancé un message clair en scandant, d’une même voix, la nécessité de maintenir une politique de cohésion forte et souple, apte à prendre en compte les besoins différents des différents territoires. « Une Europe sans politique de cohésion est une vision effrayante, désastreuse ! C'est par l'innovation, la numérisation et les nouvelles technologies que l'Europe pourra retrouver un taux de croissance économique. Le développement économique ne sera possible qu'avec la politique de cohésion qui est la seule à même de répondre aux nouveaux défis qui se présentent à nous dans des domaines tels que la sécurité énergétique, la démographie, la migration et les frontières extérieures, y compris l’accueil des réfugiés », s’émeut Michael Schneider. « La politique de cohésion doit devenir le plus important instrument européen pour impulser la coopération dans chaque commune d’Europe en vue d’exploiter, de manière optimale, les possibilités de croissance, d’assurer un environnement décent et des innovations, notamment, dans le domaine des infrastructures à haut débit et de l’économie circulaire », poursuit-il.
 
Une demande de souplesse
Si tous les élus locaux tirent la sonnette d'alarme, tous sont également conscients qu'après 25 ans d’existence, la politique de cohésion doit évoluer pour perdurer. La manne n’excluant pas les critiques, le reproche est unanime : les procédures sont trop rigides et doivent être grandement simplifiées et assouplies. Beaucoup de petites communes ne peuvent pas bénéficier des fonds parce que les règles sont trop compliquées. « Cette politique est attaquée. Elle a besoin de nous. Il faut la préserver, la rendre plus efficace, réduire la charge bureaucratique. C'est le fil conducteur de notre position commune. Il ne faut pas qu'elle soit vue comme la politique des pauvres, mais comme celle de tous les régions »,  estime le représentant de la Tchéquie. Autre critique : beaucoup d'instruments ne sont pas utilisés à fond ou ne le sont pas en synergie. Certains plaident pour une plus grande régionalisation et un meilleur ciblage des fonds en fonction des besoins. « Il faut renforcer la politique de cohésion dans les territoires ruraux pour éviter que les populations ne se détournent de l’UE. Nous demandons plus de soutien, plus de confiance dans les partenaires locaux, et un véritable partenariat à trois entre la Commission, les Etats et les collectivités régionales ou locales pour prendre des mesures plus adaptées dans le cadre d’une gestion partagée  », lance un élu italien.
 

Le musée Frédéric Chopin a bénéficié des fonds européens.
Le musée Frédéric Chopin a bénéficié des fonds européens.
Une vision négative
Mais ce qui préoccupe le plus les représentants des régions, c’est la montée du sentiment anti-européen grandissant au sein des populations qui ont de plus en plus tendance à rendre l'Europe responsable de tous leurs maux. Une vision négative que déplore Corina Cretu, la commissaire européenne en charge des politiques régionales : « Il y a beaucoup d'inquiétude. Les gens ont peur pour leur emploi. Je ne m'attendais pas à vivre dans un temps où l'avenir de nos enfants et de nos petits-enfants serait pire que notre vie. Il est temps de donner un signe que le processus d'intégration européenne est plus fort que jamais. Il faut dire aux Européens, qui vivent sous le seuil de pauvreté, que l'UE est là pour tous. Il faut montrer qu’elle tient ses promesses ». Elle avoue que l'UE est sous pression et que des interrogations existent sur le rôle des fonds structurels. « Plus de 160 milliards ont été investis dans les régions. Plus 150000 projets ont été réalisés. Mais, l'Europe n'a pas bénéficié à tous de la même façon. Les populations ignorent tout ce que l'Europe fait pour elles, tout ce qui a été bâti grâce à la politique de cohésion ! Il y a des régions reculées où les gens n'ont jamais entendu parler ni de la politique de cohésion, ni même de l'UE. Les habitants des pays de Galles savent-ils combien de fonds ont été alloués pour leur permettre de surmonter la fermeture des mines ? Les Polonais savent-ils qu’une partie du métro de Varsovie a été financée pas la cohésion ? Dans la ville de Birmingham, il n'y a pas un seul drapeau européen, alors que l'UE a investi 300 millions € dans cette ville… ».
 
Un manque d’équilibre
Pour la Commissaire roumaine, la clé après 2020 est la communication, la sensibilisation : « Nous avons commis une grande erreur de sous estimer les ennemis de l'UE ! ». Des propos partagés par un élu anglais anti-Brexit qui observe à quel point « il est difficile d'expliquer aux citoyens combien l'Europe a investi dans nos régions ». En cause, selon lui, le manque de justice dans la prise en compte de tous les citoyens et d'équilibre entre les trois piliers : « On mise trop sur l'économie et on oublie le social et les territoires. Il y a des doutes sur le fait que personne ne doit être laissée sur le bord de touche. C'est ce que pensent les Britanniques qui ont voté pour le Brexit et les Américains qui ont voté pour Trump. Ils se sont sentis abandonnés !  Il faut absolument parler des bienfaits de la politique de cohésion. Il faut trouver des indicateurs, qui montrent la réalité sociale et le recul de la disparité, et donner des preuves du succès ». D’autant que se profile en filigrane la menace de plus en plus évoquée d'un Grexit...
La remise en cause de la politique de cohésion ouvre un débat crucial sur l’avenir de l’UE qui doit relever le défi croissant de la disparité des régions et du repli des populations. Le Comité des régions a bien l’intention de faire entendre sa voix pour définir un modèle social répondant à ces nouveaux défis. Rendez-vous à Bruxelles en séance plénière en mai prochain. L’occasion, aussi, annonce Corina Cretu de clamer haut et fort que : « Pour la première fois depuis des siècles, nous avons eu 70 années de paix, ce qui a permis le développement de l'Europe qui est devenue grande et forte. L'UE, ce n'est pas Bruxelles, mais 500 millions de citoyens qui veulent construire ensemble un avenir meilleur ».
Affaire à suivre…
 
N.M.