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U Rinnovu à Cavallo pour dénoncer la spéculation immobilière et "un projet pharaonique"


Nicole Mari le Dimanche 1 Octobre 2017 à 23:25

Opération symbolique d’entrée en campagne électorale, dimanche matin, pour U Rinnovu Naziunali qui a débarqué sur l'île de Cavaddu pour dénoncer, documents urbanistiques à l’appui, "un permis pour un projet pharaonique". Une quarantaine de militants anti-spéculation immobilière, partis de Bunifaziu, ont pacifiquement rejoint l'ancien village de pêcheurs, - plastiqué en 1992 par Resistenza lors d'un raid héliporté et en 1995 par le FLNC Canal historique -, sur lequel le projet est censé être implanté. Sur place, personne, mais de nombreux Algeco d’habitations provisoires. La mairie de Bunifaziu affirme avoir rejeté le permis. Le promoteur dit en avoir déposé un autre. Paul-Félix Benedetti, leader d’U Rinnovu et candidat à l’élection territoriale, demande le gel total des constructions à Cavaddu et le transfert à la CTC (Collectivité territoriale de Corse) de la compétence d’instruction des permis de construire. En prime, son colistier pour le scrutin de décembre, Jean-Baptiste Arena, maire adjoint de Patrimoniu, explique, à Corse Net Infos, pourquoi il a choisi de participer à l’opération.



Débarquement sur l'île de Cavaddu/Cavallo.
Débarquement sur l'île de Cavaddu/Cavallo.
- Pourquoi avez-vous décidé de faire cette opération sur Cavaddu ?
- Cavaddu a été l’épicentre des problèmes spéculatifs qui ont touché la Corse avec la concentration d’une logique mafieuse, des capitaux internationaux très douteux, des logiques de non-droit, des constructions sans permis, sans règles, des propriétaires inconnus… et des actions très fortes des mouvements clandestins révolutionnaires - que ce soit Resistenza ou le FLNC – qui ont rasé complètement certains complexes. Depuis ces actions très fortes qui se sont déroulées dans les années 1990-95, il n’y a quasiment plus eu de velléités de construction sur Cavaddu, malgré des règles d’urbanisme permissives. Aujourd’hui, 25 ans après, on découvre que des sites, qui ont été gelés militairement par ces actions fortes du peuple corse en lutte, vont être ouverts à l’urbanisation.
 
- Vous pointez un projet particulier. De quoi s’agit-il ?
- C’est un projet pharaonique d’une immense maison – peut-être autre chose - en lieu et place d’un monument historique de la lutte du peuple corse. Il a été conçu par un architecte de renom, Riciotti. Nous ne contestons pas son goût et son art, nous contestons le projet, son emplacement et sa démesure. Une surface de 1 200 m2 avec une piscine olympique de 50 mètres intégrée dans la maison… On est dans la déraison ! Faut-il, au prétexte que la Corse vit une situation apaisée, accepter qu’on revienne au hit-parade des constructions les plus folles d’Europe !
 
- Le permis a-t-il été déposé ? Où en est-il ? Certains nient son existence…
- Le permis a été déposé en janvier 2017, alors que le PLU (Plan local d’urbanisme) a été invalidé en octobre 2016. Malgré l’avis négatif du Conseil d’Etat rendu le 12 juillet dernier sur la révision du PLU de Cavaddu, nous n’avons pas de nouvelles de ce permis. Nous ne savons pas s’il a été rejeté par la mairie de Bunifaziu, ni s’il soulève une contestation ou une interrogation en préfecture d’Aiacciu qui possède un exemplaire de ce projet. Faute de PLU, c’est le régime général d’urbanisme (RNU) qui s’applique avec instruction au cas par cas. Quoiqu’il en soit, ce permis, au vu du PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) est illégitime. Il est, au vu de l’histoire de la Corse, encore plus illégitime !
 
- Pourquoi ?
- Cavaddu est un symbole d’échec urbanistique. C’est une zone de non-droit, comme en atteste l’arrivée quotidienne, par la barge, de centaines de kilos de matériaux de construction. Il y a des dizaines d’Algeco au vu et au su de tout le monde. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’il y a des chantiers ? Sur quelle zone ?  Quelles bases ? Quelles règles ? Malgré des procédures administratives diverses et des annulations de PLU, la politique urbanistique de Cavaddu n’est toujours ni claire, ni définie.
 
- Qu’est-ce qui vous choque : le projet ou son emplacement ?
- Ce qui me choque, c’est la démesure du projet. C’est la volonté de légaliser des constructions illégales au prétexte qu’antérieurement, les droits à construire étaient supérieurs. Aujourd’hui, la Corse a un PADDUC pour lutter contre la spéculation immobilière et la dépossession de notre terre, cela signifie qu’on doit imposer des règles fortes en amont des documents d’urbanisme. Lorsque ces documents sont déjà édictés, même si les communes ont jusqu’à 2018 pour les régulariser avec un PADDUC quand même permissif, il doit y avoir un état d’esprit, c’est-à-dire d’être avant tout Corses et d’être contre ces logiques invasives de spéculation qui nous apportent leurs lots de mauvaises choses, notamment de choses occultes qui se passent autour du bâtiment et de la construction.

- Que réclamez-vous ?
- Le Conseil d’Etat a tranché ! Le PLU a été annulé, non pas suite à la requête des spéculateurs italiens qui s’estimaient spoliés dans leurs droits à construire et ont fait un recours, mais au regard des fondamentaux des règles environnementales. A savoir : le respect des zones Natura 2000, des espaces remarquables, de la Loi Littoral et de sa bande des 100 mètres… Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, tout document d’urbanisme qui s’appliquera en Corse, et plus particulièrement sur l’île de Cavaddu, doit tenir compte de ces conditions. Nous autres Corses devons être exigeants pour nous-mêmes.
 
- C’est-à-dire ?
- Nous demandons le transfert à la CTC (Collectivité territoriale de Corse) de la compétence d’instruction des permis de construire et des services urbanistiques concernés. Les documents d’urbanisme doivent être réglés et instruits par la CTC, et non plus par les services de l’Etat qui sont très permissifs et adoptent la politique de l’autruche. Ce qui débouche sur le permis tacite, comme à Rundinara avec l’épisode Ferracci. Nous ne voulons pas qu’ici, sur ce projet précis, un permis tacite vienne couronner tant d’années de sacrifices et de luttes qui ont, quand même, permis de préserver beaucoup de choses. Nous n’avons pas mené toutes ces luttes, fait tous ces chemins pour constater avec effarement qu’aujourd’hui, nous sommes démunis ! Si l’on veut rester sur des logiques de paix, si on veut éviter d’avoir des recours à des actions dures pour stopper ce qui est illégitime, il faut que le droit légitime soit appliqué, un vrai droit du peuple corse, et pour cela il faut l’appliquer nous-mêmes.
 
- Et sur Cavaddu, que réclamez-vous exactement ?
- Nous sommes très clairs ce qui concerne Cavaddu, sur laquelle il y a 18 friches de la guerre de Corse, c’est-à-dire 18 maisons ou groupements de maisons sur 18 parcelles distinctes. Nous demandons un gel total et véritable de toutes constructions et la démolition de toutes les ruines afin que ces terres reviennent à l’état naturel. Nous demandons que la CTC s’empare, demain, d’un programme de réhabilitation, qu’elle le finance éventuellement, et qu’elle se réapproprie les terres par un rachat sur la base de l’évaluation du domaine et sur la base de terres non-constructibles. Nous demandons l’élaboration d’un nouveau SCOT (Schéma de cohérence territoriale) afin de gérer l’ensemble des constructibilités de Corse avec cet état d’esprit dominant : éviter les spéculations, les coups de bluff, les entreprises occultes… et toutes ces mauvaises choses qui font que la Corse peut glisser d’un jour à l’autre sur les mauvaises pentes où elle ne veut plus aller.
 
- Craignez-vous un retour en arrière ?
- Oui ! On est revenu potentiellement 25 ans en arrière lorsque Mr Lauricella faisait ce qu’il voulait à Cavaddu dans le cadre d’aménagements déstructurés et sans règles. Si le non-droit se laisse porter par la nature des choses, il va reconduire les mêmes phénomènes ! C’est pourquoi nous demandons un droit fort. C’est la seule manière d’éviter que la Corse ait besoin de reconstituer des logiques de lutte qui, normalement, au 21ème siècle, sont révolues. Le problème de l’urbanisation de l’île de Cavaddu doit être réglé définitivement, dans la concertation, dans le cadre de l’intérêt général, pour éviter les pressions et les appétits qui n’ont plus de place dans une Corse libre, souveraine et juste, telle qu’on voudrait la dessiner.
 
- Cavaddu est un symbole. Y-a-t-il un risque de contagion sur toute la Corse ?
- Cavaddu est le symbole de la démesure, de la déraison des hommes, des conflits, même entre Corses, même entre Nationalistes, qui, pour une part, ont pris leur genèse sur Cavaddu, sur le contrôle des droits secondaires de l’île. Dans ces conditions, Cavaddu est plus qu’un symbole, c’est un pan entier du combat des Corses qu’il faut pérenniser. On ne peut pas accepter une logique spéculative parce qu’on est dans un No man’s land juridique où le PADDUC ne s’applique pas, les POS (Plan d’occupation des sols) tombent…, on peut se retrouver avec n’importe quoi et surtout on donne la main à la Préfectorale qui, dans l’ensemble des cas qu’on connaît, ne joue pas son rôle. Nous demandons, donc, à le jouer nous-mêmes avec ce transfert de compétences.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Jean-Baptiste Arena.
Jean-Baptiste Arena.
Jean-Baptiste Arena : « De la Giraglia à Cavaddu, nous serons toujours présents pour défendre les terres agricoles, comme les sites remarquables ».
 
Le maire adjoint de Patrimoniu, qui conduira une liste en binôme avec Paul-Félix Benedetti aux élections territoriales de décembre, explique, à Corse Net Infos, pourquoi il a choisi de participer à l’opération de Cavaddu.
 
- Pourquoi avez-vous décidé de vous associer au Rinnovu sur cette opération à Cavaddu ?
- Nous sommes associés au Rinnovu, aujourd’hui, sur Cavaddu, - comme nous le serons, demain, dans le cadre des futures élections territoriales -, pour plusieurs raisons. C’est, pour nous, une action hautement symbolique, déjà, du point de vue de la terre et de l’occupation de l’espace en Corse. En toile de fond, il y a le problème hydraulique. Nous avons pu constater aujourd’hui que, malgré la carence en eau que nous subissons depuis huit mois, les pelouses et les jardins de Cavaddu étaient bien verts sur une île où il n’y a pas d’eau ! L’eau arrive indirectement du barrage de l’Ospedale, via le barrage de Figari. Quand on sait les grosses restrictions imposées au monde agricole partout en Corse et surtout dans l’Extrême Sud, on ne peut que s’interroger ! Enfin, il y a le problème de l’inégalité devant la loi.
 
- C’est-à-dire ?
- Nous avons toujours dit que la première forme de violence était le fait qu’en Corse, la loi n’était pas appliquée à tout le monde de la même manière. Dans nos villages, des jeunes Corses se voient refuser, au nom de la Loi, des permis pour construire leur maison ou un bâtiment agricole dans des zones urbanisées et urbanisables. Il sera très dur de leur expliquer que, pendant ce temps, dans des zones littorales ou très proches du littoral, dans des zones protégées et classées, fleurissent, au mépris de la Loi, des projets immobiliers. Pour toutes ces raisons, notre place, aujourd’hui, était à Cavaddu aux côtés du Rinnovu, comme elle le sera, demain, dans d’autres luttes contre la spéculation immobilière, pour la défense du foncier et de l’agriculture en général.
 
- En tant qu’agriculteur militant, Cavaddu est-ce un symbole ?
- Oui ! C’est, pour moi, un symbole à plus d’un titre, à la fois en tant que militant nationaliste et en tant qu’agriculteur. La loi n’est plus respectée à Cavaddu depuis 40 ans, l’Etat a toujours failli. Accepter n’importe quoi sur Cavaddu, c’est renier tous les sacrifices consentis, depuis 40 ans, par le mouvement national, et même par le peuple corse en général, pour la préservation de la terre : les vies sacrifiées, les années de prison, le coût humain de la lutte… De la Giraglia à Cavaddu, nous serons toujours là présents pour défendre, à la fois, les terres agricoles comme les sites remarquables. Comme nous l’avons fait il y a quinze jours à Centuri aux côtés de David Brugioni. Comme nous le faisons tous les jours, dans le Nebbiu et la Conca d’Oru où il est hors de question de laisser remettre en cause tout le travail des générations qui nous ont précédés et qui ont tant fait pour la protection et la valorisation de notre terre.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.