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Tempête politique autour de la compagnie régionale et un vote à l’arraché


Nicole Mari le Vendredi 26 Février 2016 à 00:23

L’Assemblée de Corse (CTC) a adopté, jeudi soir, deux rapports sur les transports maritimes. Le premier concernant un avenant à l’actuelle Délégation de service public (DSP) maritime a été voté à l’unanimité. Le second sur la création d’un comité de pilotage en vue de la création d’une compagnie régionale a déclenché un front du refus de l’opposition unie et des discussions longues et serrées. Une demande de report du camp Giaccobiste a été rejetée. Au final, le rapport amendé a été adopté grâce à l’abstention de la droite, du Front national et d’une partie de la gauche.



Tempête politique autour de la compagnie régionale et un vote à l’arraché
Le nouvel épisode de l’interminable saga des transports maritimes de la Corse s’est joué, en deux actes, jeudi, à la nouvelle session de l’Assemblée de Corse : un premier acte financier, consensuel, et un second acte politique qui a dressé l’opposition dans un même élan vent debout contre. Cette unanimité du refus, rarement vue sur les bancs de l’Assemblée, pour certains plus politique qu’idéologique, a forcé le nouvel Exécutif à revoir sa copie sur un dossier, certes controversé, mais qui aurait pu, à ce stade, trouver sa majorité. Ce qui, malgré la décision de la commission permanente de limiter à 10 minutes le temps de parole de chaque groupe, a permis aux transports maritimes de ne pas déroger à la règle d’une session interminable entre interruptions de séance, renvoi en commission, discussions sur les amendements et péripéties de dernière minute. Au final, beaucoup de bruit et de temps perdu pour… pas grand chose ! Juste peut-être une question de sémantique !
 
Solder les comptes
L’objet du litige a-t-il été la présentation conjointe des deux dossiers par le président de l’Office des transports (OTC), Jean-Félix Acquaviva, son explication de texte globale et sa charge sans fioritures contre la gestion de la précédente mandature ? Le propos se veut, lui, totalement transparent : « Cette crise historique trouve sa source dans des dysfonctionnements structurels et des comportements d’acteurs qui ont nuit et nuisent encore à l’intérêt de la Corse en entravant gravement les conditions de son développement économique et social. Il s’agît aujourd’hui de solder définitivement les comptes. Il est plus que temps de passer d’une époque néfaste à l’île en termes de gestion chaotique des enjeux et des différents intérêts en lice, à celle où le système d’organisation des transports doit absolument garantir, et ce, durablement, une stabilité pour tous les acteurs ». Pour l’Exécutif, cette stabilité doit se fonder sur une desserte et un service public de qualité, des tarifs passagers et fret attractifs pour les résidents et entreprises corses, et sur des retombées optimisées pour l’île en termes d’emplois et d’activités induites.
 
Bannir des attitudes
Pour tourner la page, il faut franchir des étapes imposées par la législation, notamment européenne, en effectuant, notamment, des tests sur des OSP (Obligation de service public) pendant six mois sur les deux ports principaux de Bastia et Ajaccio. Il faut, également, agir sur la bonne gestion de l’enveloppe de continuité territoriale et sur la mise en œuvre pragmatique d’une compagnie régionale. Avec des attitudes à bannir : « En premier lieu, depuis des décennies, le niveau de pression et d’intervention des intérêts et lobbys externes à la Corse et, plus récemment, le mauvais feuilleton de la reprise de l’ex-SNCM. En deuxième lieu, la complicité active de l’Etat lors de la privatisation en 2007 et son déni actuel d’information sur les contentieux nés autour de la mise en œuvre des précédentes DSP et sur les plaintes déposées ». Une complicité qui « a cautionné un système de continuité territoriale tourné vers le port de Marseille et ses différents acteurs » au détriment de l’île et des « surcompensations financières non fondées, délivrées aux compagnies à partir de l’enveloppe de continuité territoriale ». Jean-Félix Acquaviva dénonce une enveloppe considérée par certains opérateurs comme « une rente quasi immuable » et le fait que « 88% des charges d’exploitation à terre de l’ex-SNCM sont toutes dévolues aux lignes de la DSP avec la Corse, alors qu’il existe d’autres activités importantes comme le Maghreb ». 
 
Des contrats viciés
En troisième lieu, le président de l’OTC s’en prend au « silence docile », à « la caution apportée à ces agissements » par les précédentes mandatures, à la « mauvaise gestion des deniers publics », et à des contrats de DSP « sur mesure pour des opérateurs tels que la SNCM et la CMN », et donc « totalement viciés dans leur défaut de mise en concurrence ». Il n’hésite pas à parler « du poids des incuries passés » et affirme : « à notre arrivée aux responsabilités, rien n’était préparé, rien n’était sécurisé ! ». Le travail, conduit par la nouvelle équipe depuis deux mois, a consisté à « remettre de l’ordre » et permis de réaliser au moins 28 millions € d’économies sur le contrat de subdélégation dont la signature a été arrachée en janvier à la CMN et à la MCM. Soit environ 20 millions € de surcharge combustible et 7 millions en coût du capital englobant le non-renouvellement de la flotte. Tout en rappelant que « dans la forêt de contentieux non-soldés », pèse toujours l’épée de Damoclès du paiement des 350 millions € d’aides indument versées et suspendues à la validation de la discontinuité du contrat de subdélégation. Sans parler du verdict en attente de la Cour d’Appel administrative de Marseille sur la question du service complémentaire. En clair, les amendes courent toujours.
 
Un avenant voté à l’unanimité
Le premier rapport, portant sur un avenant pour réajuster le coût de la DSP en actant les économies arrachées aux délégataires, « protéger les opérateurs et fonder la discontinuité qui n’est pas encore actée », est voté à l’unanimité. Les choses se corsent sur le second qui demande l’installation d’un comité de pilotage pour lancer « une étude sérieuse et très pratique autour du projet d’entreprise » de la compagnie régionale. « Nous demandons, donc, à l’Assemblée de faire preuve de responsabilité dans la crise que nous connaissons, et de permettre d’explorer toutes les voies en la matière en validant cette méthode : refuser d’entrer dans cette réflexion consisterait à laisser se dérouler un jeu qui peut nous amener à subir, comme ce fut le cas historiquement, avec les résultats que l’on sait », prévient Jean-Félix Acquaviva. En ligne de mire, la récupération des navires au titre des biens de retour ou de reprise : « Près de 431 millions € ont été attribués en subvention d’investissement à la seule SNCM pour le renouvellement de sa flotte. Si l’on remonte à 1986, ce chiffre atteint 1,3 milliard €. Ces sommes fondent notre légitimité incontestable pour agir en la matière. Il ne fait nul doute que ces navires doivent revenir à la Corse ».
 

Michel Stefani
Michel Stefani
Le refus de l’opposition
Ce « parler vrai » ne plait pas à tout le monde. Pour des raisons diverses, l’opposition fait bloc contre. En tête du front du refus, Michel Stefani, conseiller territorial du Front de Gauche, tire à boulets rouges, à la fois, sur la gestion du dossier par l’Etat, sur la fusion annoncée entre la MCM et Corsica Marittima et sur le projet de compagnie régionale. Il estime que la mise en redressement judiciaire de la SNCM a eu « le sinistre avantage d’accentuer le désengagement de l’Etat », dont il qualifie l’attitude de « complicité digne d’une république bananière ». Il craint que la fusion entre les deux compagnies et les « diktats de Bruxelles » ne remettent en cause la DSP et ne débouchent sur un second plan de restructuration et la liquidation de 900 emplois et de la MCM. « L’enjeu de cette partie de poker menteur est qu’il semblerait que l’actionnaire Rocca veut se retirer... La MCM est enterrée avec un actionnaire majoritaire atone. Les Corses n’échapperont pas au licenciement ». Pour lui, l’optimisation voulue par l’Exécutif « au final, coutera plus cher ». Il tacle la « précipitation étonnante au regard de la transparence » dans la mise en place du comité de pilotage. « Nous ne sommes pas convaincus de la fiabilité juridique de ce choix. La réduction du périmètre de la DSP aura un double impact sur la CMN et sur les sous-traitants des infrastructures portuaires. Elle favorisera les compagnies low-cost sous pavillon étranger ». Il stigmatise une « logique ultra libérale » et « la situation de monopole ainsi créée au détriment de l’emploi. Le partage du gâteau entre les low cost sur un marché très étroit sera catastrophique pour la Corse. Nous voterons contre ! ».
 
Une dilution des responsabilités
José Rossi, président du groupe « Le Rassemblement », s’inquiète, également, de la précipitation de l’Exécutif : « Nous avons le devoir de dire d'emblée qu'un choix aussi lourd de conséquences pour l'avenir ne peut se construire sous l'empire de l'urgence, des contraintes politiques ou des interventions syndicales. La stabilité et l'efficacité des transports maritimes exige, au contraire, une application rigoureuse du droit ainsi que la recherche d'une construction économique qui empêche la reconstitution, sous quelque forme que ce soit, d'un monopole préjudiciable à la Corse ». Pour lui, le comité de pilotage, tel qu’il est proposé avec l’ouverture notamment aux représentants du secteur, n’est qu’un « parfait exemple de dilution des responsabilités. Le projet de compagnie publique, qui ne recueille pas un accord général, ne peut être préparé que sous la responsabilité de l'exécutif, sauf à laisser s'installer le désordre, la cacophonie et les pressions de toute sorte. En réalité, votre choix est déjà fait ! Nous pouvons craindre que tout le reste ne soit que de l'habillage ». Il s’interroge sur la « généralisation » des OSP : « N'est-ce pas contourner l'obligation de concurrence imposée par l'Union européenne ? Ce délai de six mois vous permet en fait d'espérer mettre l'éventuelle compagnie publique régionale en situation de participer à l'appel d'offre ». Par « pragmatisme », sa colistière, Marie-Antoinette Santoni-Brunelli, dépose un amendement pour remplacer ledit Comité par la Commission spéciale, mise en place que le sujet lors de l’ancienne mandature, mais qui n’a jamais fonctionné.
 
Une compagnie dangereuse
Refus tout aussi net de l’ex-président de l’OTC et membre du groupe « Prima a Corsica » Paul-Marie Bartoli qui estime ce rapport : « très dangereux. Il remet en cause le principe de la continuité territoriale. Vous abandonnez le principe de la DSP et optez pour les OSP parce que l’Europe vous a déjà répondu que rien ne s’oppose à la création de la compagnie régionale qui doit être mise en concurrence. Vous voulez passer entre les gouttes, au forceps ! Vous allez ruiner les chambres de commerce, qui sont concessionnaires sur les ports et aéroports, et les ports départementaux car la DSP ne pourra plus perdurer. Les transporteurs corses en pâtiront ». Il fustige « une position dogmatique » et un « grand écart entre l’ultralibéralisme du consortium et la vision un peu soviétique du STC. Nous pensons que c’est aux privés de faire les choses ». Pour lui, la compagnie régionale « porte en elle le germe d’une catastrophe économique sans précédent. Nous ne pouvons y souscrire ! ». Le président du groupe, Paul Giacobbi, propose l’ajournement du dossier à 15 jours en attendant la décision du tribunal de commerce (cf vidéo).
Jugeant la décision de l’Exécutif déjà prise, le Front national rejoint le camp du refus.

Les représentants du syndicat STC Marins dans les tribunes du public.
Les représentants du syndicat STC Marins dans les tribunes du public.
Un mauvais signal
Ce tir nourri déclenche la perplexité des élus de la majorité.
Le président du groupe Corsica Libera, Petr’Anto Tomasi, s’étonne : « Certains veulent faire un pas plus long que celui qui est proposé. Le sujet, aujourd’hui, n’est pas de débattre de la compagnie régionale, mais de la création d’un comité ». Trouvant inquiétants les propos de l’opposition, il affirme : « Nous ne versons pas dans le dogmatisme. Nous rappelons le principe de la maitrise des transports par la puissance publique corse, qui est, pour nous, un enjeu national. L’enveloppe de continuité a été, par le passé, manifestement détournée pour des intérêts qui ne sont pas ceux de la Corse ». Il appelle chacun à « laisser l’espace nécessaire aux études proposées » et à ne pas rejeter « le groupe de travail élargi qui répond à la légitime inquiétude des salariés de l’ex-SNCM et de leurs familles. Je ne comprends pas bien comment on pourrait s’opposer à cela. Les dizaines des familles concernées nous regardent. Ce serait un très mauvais signal que de refuser cette structure ! ».
 
Des postures
Même stupéfaction de Nadine Nivaggioni, pour Femu a Corsica, qui s’exclame : « Comment peut-on faire abstraction de l’avenir des marins ? Comment vouloir s’entêter dans une logique qui nous a amené à de telles défaillances ? ». Elle explique que ce comité n’est que « la première page. Nous voudrions pouvoir lire le livre et savoir si oui ou non la compagnie est fiable. Je suis interloquée ! Comment se fait-il que vous vous opposiez au lancement d’une étude alors que, dans ces travées, on a financé, pour des centaines de milliers d’euros, des dizaines d’études qui n’ont servi à rien ? Qui, dans cet hémicycle, a envie de connaître le même feuilleton aux coûteux épisodes humains, économiques et financiers ? ». Elle dénonce « des postures politiques. Est ce que parce qu’il y a des Nationalistes au pouvoir que vous voulez tout arrêter là alors que, sous la précédente mandature, tout le monde était favorable à l’étude ? ».
 
Un rapport amendé
L’opposition faisant corps dans son refus, la perspective d’un vote négatif oblige l’Exécutif, qui ne veut pas ajourner son rapport, à convoquer une conférence des présidents pour sortir de l’impasse. Après une longue discussion de près d’une heure et demi, le rapport est réécrit dans des termes pesés, intégrant des amendements de l’opposition sur la forme, mais sans réel changement sur le fond. Au moment de sa divulgation, Paul-Marie Bartoli réclame une nouvelle suspension de séance pour examiner « un fait nouveau », à savoir le rejet par le tribunal de commerce de Marseille en fin d’après-midi de la fusion MCM-Corsica Marittima jugée « irrecevable pour des raisons de forme », mais pas de fond, ce qui laisse le champ libre à une nouvelle requête reformulée. La suspension s’éternise… L’ex-président demande, alors, l’ajournement du rapport, rejeté pour des raisons de procédure. Le débat, débuté en fin de matinée, reprend, il est 22 heures !
 
Un vote à l’arraché
Dans le texte amendé, la référence aux tests de marchés sur les OSP est retirée. L’Exécutif lâche du lest sur le Comité de pilotage et adoube l’amendement de la droite sur le recours à la Commission spéciale dont la composition sera élargie aux présidents de groupes et au président du Comité économique et social. Pour le reste, rien ne change vraiment. Le texte valide de réaliser, dans un délai de trois mois, une analyse des différentes solutions visant à garantir la pérennité de la continuité territoriale, notamment les modalités de création de la compagnie régionale, la vérification de chacune de ces hypothèses avec le droit européen, et l’organisation d’échanges réguliers sur les modalités de la création des futures OSP-DSP. Des études seront également menées sur la mise en œuvre de la continuité territoriale méditerranéenne transfrontalière. Le rapport est adopté grâce à l’abstention du groupe de Paul Giacobbi et du camp libéral, qui devant le jeu laissé ouvert par l’Exécutif « ne veulent pas bloquer le processus ». Le Front de Gauche, pas convaincu, vote contre. Egalement, François Tatti, résolument anti-compagnie régionale, et Paul-Marie Bartoli, qui se désolidarisent de leur groupe. Le dossier pourrait être remis sur le tapis dès la prochaine session…
 
N.M.

La demande de report du dossier de Paul Giacobbi