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Statut de coofficialité de la langue corse : Enfin, le débat !


Nicole Mari le Vendredi 17 Mai 2013 à 02:07

L’Assemblée de Corse a repris, jeudi matin, ses travaux, interrompus après l’assassinat de Jean-Luc Chiappini, par la présentation du projet de statut de coofficialité de la langue corse. Le nombre élevé d’interventions a étiré le débat jusque dans la soirée. La pléthore des amendements, au nombre de 110, a mené les discussions tard dans la nuit. Le vote est reporté à vendredi. A part le groupe de la Gauche républicaine, tous les autres groupes de la majorité ainsi que les Nationalistes voteront le rapport. La position de la droite est, comme souvent depuis le début de la mandature, schismatique entre pro- et anti-statut.



Statut de coofficialité de la langue corse : Enfin, le débat !
C’est un débat historique. Pas seulement pour les Nationalistes pour qui la langue est au cœur de la lutte identitaire depuis plus de 40 ans. C’est un acte fondateur. Pas seulement pour sauver une langue qui se meurt chaque jour un peu plus. C’est une première étape. Pas seulement parce qu’elle ouvre la porte du processus de réforme institutionnelle globale qui sera examinée le mois prochain. Le projet de statut de coofficialité, qui est débattu, ce jeudi, à l’Assemblée de Corse, s’est voulu à minima pour mieux être consensuel, il ne fait, en réalité, que réveiller les fractures idéologiques à droite, comme à gauche, entre progressistes et conservateurs, sur fond de crispations jacobines ou de postures électorales.

Une équation difficile
L’enjeu du débat n’est pas le résultat d’un vote, puisque l’adoption du rapport est à priori acquise, mais l’évolution de la position de chacun face à une question qui, si elle fait désormais quasiment l’unanimité dans la population insulaire, continue de diviser les états-majors politiques traditionnels. L’équation est difficile tant pour l’Exécutif qui a besoin d’une large majorité, voire d’une majorité absolue, pour acquérir une certaine crédibilité face à un Etat hostile. Et trouver les voies d’un ajustement constitutionnel alors même qu’à Paris, une partie de ses alliés insulaires lui coupe l’herbe sous les pieds. Difficile également pour les adversaires de la coofficialité qui, tout en refusant la parité, ne veulent surtout pas apparaître aux yeux de la population comme les fossoyeurs d’une langue à l’agonie ou aux yeux de Paris comme des faire-valoir nationalistes. Les exercices d’équilibristes s’annonçaient malaisés.

Une nécessité de survie
Pour le rapporteur du projet, le conseiller exécutif en charge de la langue corse, Pierre Ghionga, qui s’est exprimé entièrement in lingua nustrale, la situation est, par contre, limpide. « Depuis 2010, j’ai pu mesurer la volonté de la Corse de sauver et de promouvoir sa langue. J’ai mis en place plusieurs actions et je suis arrivé à la conclusion que pour sauver notre langue, il fallait un statut de coofficialité ». Cette nécessité posée en préambule, il affiche l’objectif : « protéger, encourager et normaliser l’usage du corse dans tous les domaines et garantir l’emploi officiel du français et du corse à parité sur le territoire de la Corse ». Il s’attache plus à défendre la philosophie du statut que le contenu des articles proprement dits. « La philosophie de ce projet est la liberté pour les gens de parler ou d’écrire la langue qu’ils désirent et l’obligation pour les institutions de permettre que cette liberté soit possible ».
 
Un rêve commun
Rappelant que la situation de coofficialité est « une réalité » pour nombre d’Européens, Pierre Ghionga dessine le projet d’une « société bilingue ouverte à un plurilinguisme qui est un rêve commun ». Considérant la diversité linguistique comme une richesse, une opportunité de développement économique et social et un moyen d’intégration, il estime que le « bilinguisme pour tous est le pari de l’excellence et de l’avenir contre l’élitisme et l’archaïsme. Chaque porte close à la langue est une porte close à l’homme. L’uniformisation culturelle et linguistique est le danger majeur pour l’homme ». A ceux qui parlent de discrimination, il rétorque : « Comment reconnaître l’autre si on n’est pas capable de reconnaître la diversité dans son propre pays ! ».
 
Un enseignement bilingue
Puis, il se focalise sur les points clés du projet. D’abord, l’éducation qui est la base de la politique de reconquête de la langue. Il propose une cogestion du système par la CTC et l’Etat et la création d’un Comité académique territorial pour installer le bilinguisme éducatif. Les professeurs, qui resteront fonctionnaires de l’Etat, bénéficieront d’une formation pour acquérir l’habilitation à enseigner la langue corse. Ils seront recrutés selon deux niveaux de langue. Pour les professeurs de corse, sera mise en œuvre l’agrégation de corse. Les programmes scolaires seront adaptés pour permettre la généralisation de l’enseignement bilingue de la maternelle à l’université. Une formation sera également prévue dans les services publics. Les médias devront proposer 50% de leur programme en langue corse. La toponymie sera écrite en Corse, sauf demande spécifique de « garder les noms toscans ».
 
Un amour débordant
Les positions étant connues, les réactions à ce projet n’ont pas donné lieu à de quelconques surprises. De l’amour pour la langue corse a débordé de tous les bancs de l’hémicycle. Chacun y est allé de son couplet sentimental et de sa déclaration passionnée, en corse ou en français, pour bien expliquer à quel point il était vital de sauver, protéger et développer a lingua nustrale. Mais une fois ces préliminaires éloquemment déclamées, ont resurgi les divergences profondes sur les moyens de la sauver. Comme attendu, l’UMP et la Gauche républicaine ont réaffirmé leur opposition à la coofficialité.

Un plan B
C’est la droite qui a ouvert le bal avec Marie-Antoinette Santoni-Brunelli par un hommage à Antoine Giorgi « qui a porté à bout de bras le plan linguistique corse et a réussi, en 2007, à obtenir l’unanimité sur un sujet clivant ». Pour elle, 2007 marque un grand virage sociétal, « c’est la vraie date du changement ». Elle s’interroge sur l’absence de consensus actuel alors que les élus ont « le devoir » de sauver la langue. « Le mot coofficialité dérange, provoque des crispations et conduit à des postures. La démarche peut être contreproductive du fait de l’autisme de l’Etat. Voter un texte dans ces conditions serait une imposture, comme de ne pas se positionner car on peut échouer ». L’idée est d’avancer un plan B par le biais de trois amendements : la formation du secteur privé, une « corso-conditionnalité » des aides et la création d’un office. L’élue de droite, qui fait cavalier seul, a annoncé que son vote dépendra de la prise en compte ou non de ses demandes.
 
Une impasse pour la droite
Une position libérale assez singulière que ne partagent pas ses colistiers qui, par la voix de Jean-Jacques Panunzi et Antoine Sindali, réaffirment leur opposition nette. Pour le premier, la coofficialité n’est pas « le bon remède ». Il reprend à son compte tous les arguments sociétaux classiques des anti-statuts : l’uniformisation qui va « tuer les différents parlers », la discrimination qui va conduire à la corsisation des emplois et à la préférence nationale, la parité qui va accroître la paperasse… Il évoque l’hypothétique changement constitutionnel. « S’engager dans la voie de la coofficialité, c’est s’engager dans une impasse qui n’est pas de nature à sauver la langue. Je préconise d’ouvrir le champ des possible en utilisant les outils que nous avons déjà ».
A sa suite, Antoine Sindali suggère de « convaincre plutôt que de contraindre, sans bruler les étapes ». En conséquence, la droite propose 36 amendements et balance entre un vote négatif, une non-participation ou une abstention.

Pas de mandat à gauche
Même dilemme du côté de la Gauche républicaine, toute aussi rétive. Par la voix de François Tatti, elle rappelle que les électeurs ne lui ont pas donné mandat pour s’engager dans ce type de démarche. « La parité comme norme intangible n’est ni souhaitable, ni nécessaire, ni possible ». En échange, elle défend, à travers une vingtaine d’amendements qui ont peu de chances d’être acceptés, un statut de langue territorial avec un niveau d’officialité à déterminer, basé sur l’obligation de l’offre et la liberté totale de choix.
 
Le respect des deux langues
En réponse, les autres alliés de la majorité annoncent qu’ils voteront le texte après l’ajout de 22 amendements. Le Front de Gauche insiste sur l’absence de discrimination et replace les enjeux dans une problématique locale. « L’enjeu de ce débat n’est pas l’unité de la République, mais d’encourager la créativité culturelle et linguistique et de renforcer l’attractivité du territoire dans le respect scrupuleux des deux langues », estime Dominique Bucchini dans un souci affiché d’apaiser les tensions et de « dégager ensemble des chemins praticables ». Plus offensif, Etienne Bastelica va remettre les pendules à l’heure : « Le rapport est ce qu’il est. Si on n’apprend pas le corse à l’école, où allons-nous l’apprendre ? Si nous ne faisons pas quelque chose, dans 25 ans, la langue corse sera morte. Il faut un projet pour la langue ».
 
Une question de volonté
Replacer le débat pour ce qu’il est, c’est-à-dire un débat éminemment politique, mais sans sombrer dans des dérives politiciennes, c’est l’intention de Corse Social Démocrate. « Le pire serait que ce débat soit politisé à outrance, qu’il instrumentalise la langue corse en fonction d’objectifs politiques. Notre groupe refuse les postures politiques. Notre souci doit être de sauver la langue corse », prévient Antoine Orsini. Pour lui, la coofficialité est le moyen le plus fort, le plus puissant et le plus efficace pour atteindre le bilinguisme. S’il regrette l’absence d’estimation du coût de cette mesure, il assène : « Nous savons que la sauvegarde de la langue aura un coût très élevé, mais, pour nous, cette sauvegarde n’a pas de prix ». Il suggère de privilégier un processus graduel d’officialisation qui se nourrirait de retours d’expériences.
La volonté politique, c’est également l’argument de Pierre Chaubon du groupe Démocrates, Socialistes et Radicaux. Rappelant que la langue française n’était au départ qu’une langue parmi d’autres dans l’hexagone qui a été imposée par une volonté politique, il évacue le contre-argument juridique : « La révision constitutionnelle est-elle envisageable ? Est-ce une raison pour renoncer ? Absolument pas ! ».
 
Un vote uninominal
Même son de cloche côté nationaliste qui demande aux élus de prendre leurs responsabilités en faisant preuve d’une volonté politique forte. « L’Etat hébreu s’est construit par choix politique en réinvestissant une langue qui était morte. Derrière une langue, il y a une terre et un projet collectif. Notre responsabilité est grande de donner les moyens à notre langue de vivre », plaide Gilles Simeoni. Le leader de Femu a Corsica exhorte les indécis à franchir le pas : « Vous n’avez pas à hésiter. Même si ce rapport est perfectible, nous l’améliorerons ensemble dans les mois et les années à-venir. N’ayez pas peur ! Les Corses, notre peuple a déjà choisi pour vous. Il faut impérativement l’entendre et montrer que nous sommes capables de prendre des décisions courageuses ». Auparavant, sa colistière Mattea Lacave avait insisté sur la nécessité de « sortir la langue du système d’optionalité qui est une chausse-trappe ». Saveriu Luciani a, ensuite, au nom des Nationalistes modérés, demandé un vote final uninominal, c’est-à-dire individuellement et à main levée, afin que nul ne puisse se défausser. « L’engagement est collectif, mais il est aussi et surtout individuel. Chaque groupe et, bien plus, chaque élu doit s’assumer devant notre peuple ».
 
Aucun interdit
C’est le président de l’Exécutif qui clôt le débat en répondant à chaque objection. Il ironise, d’abord, sur les arguments des détracteurs du statut. « Au lieu de se dire : c’est difficile, on ne sait même pas si, avec la coofficialité, on y arrivera, on se pose la question de savoir si on a le droit. On invente des obstacles et des objections. Oui, nous avons le droit et surtout le devoir de sauver la langue corse. Rien ne nous est interdit ». Avant de les balayer, un par un.
L’obstacle juridique ? « Le français n’est devenu la langue officielle de la République qu’en 1992. Il a été décrété politiquement. On a changé la Constitution pour les terres australiennes et antarctiques et pour toutes les terres en dehors du territoire continental. Si nous sommes convaincus, comme l’ont été les représentants de ces terres qui ont pu ainsi obtenir facilement cette évolution, nous l’obtiendrons. Ça dépend de nous ! Si nous sommes divisés, nous n’obtiendrons rien ! ».
 
Pas de consensus
L’obstacle linguistique ? « Certains ont fort bien appris le français à l’école parce que chez eux, on ne le parlait pas », indique-t-il en faisant référence à des écrivains français, nés de parents immigrés.
L’obstacle financier ou discriminatoire ? « L’Inde compte 23 langues officielles et des fonctionnaires systématiquement trilingues. Le Québec entretient le français à grand frais. »
L’hostilité de Paris ? « La France milite pour que le tibétain soit enseigné au lycée au Tibet en même temps que le chinois. La Chine lui rétorque de s’occuper du problème de la langue corse avant de donner des leçons ».
Il conclut en fustigeant certains amendements : « Il y a des amendements qui enrichissent, d’autres qui cisaillent » et en demandant, lui aussi, à chacun de prendre ses responsabilités.
Les 110 amendements ont été longuement débattus en commission sans que des compromis soient trouvés pour obtenir le consensus souhaité par l’Exécutif. L’examen du rapport amendé et le vote final devraient intervenir vendredi en cours de journée.
 
N.M.