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Séraphin Luciani : « Pour réussir, il faut avoir la volonté de travail, la niaque, l’exigence et la rigueur ! »


Nicole Mari le Dimanche 8 Février 2015 à 17:14

C’est un autodidacte au parcours emblématique qui a reçu, jeudi soir, "Chez Walter" à Casamozza, la Victoire des autodidactes des régions Sud-Est et Corse, décernée par le prestigieux Harvard business school club de France et le cabinet d’audit Mazars. En présence de sa famille, de ses anciens patrons, des présidents des chambres de commerce et de l’ODARC, de ses collaborateurs et de ses amis, Séraphin Luciani est le premier chef d’entreprise insulaire à être ainsi honoré, tant pour sa performance professionnelle que pour ses qualités humaines, unanimement vantées. Débutant sa carrière à 16 ans comme simple épicier dans un petit local de 40 m2, rue Fesch à Ajaccio, il officie, 45 ans plus tard, comme directeur général de la SA Codim 2 et gère 40 000 m2 d’hypermarchés dans l’île. C’est avec beaucoup de chaleur, de modestie et un enthousiasme communicatif qu’il livre, à Corse Net Infos, son émotion et les clés de sa réussite : la passion d’apprendre et le travail.



Séraphin Luciani, directeur général de la SA Codim 2.
Séraphin Luciani, directeur général de la SA Codim 2.
- Quelle est votre réaction devant cette belle récompense ?
- Bien sûr, cela me fait plaisir et m’honore. Ce prix vient récompenser 45 ans de travail dans la grande distribution. Je n’ai jamais baissé les bras ! Je me suis toujours battu !
 
- Les gens sont impressionnés et admiratifs devant votre parcours. En êtes-vous conscient ?
- Oui ! C’est vrai que je suis parti d’en bas ! Mon parcours est très atypique. Mais, je dois reconnaître, aussi, que j’ai démarré dans une période où il n’y avait rien, tout était à construire. La grande distribution arrivait en Corse. J’étais tellement absorbé, passionné par ce que je faisais ! Je voulais tout apprendre et tout connaître ! Et, j’ai tout appris ! J’ai appris à désosser la viande, à vendre les fruits et légumes, le poisson, les produits frais… J’ai appris le fonctionnement de la caisse, la gestion… Je suis passé par tous les postes.
 
- Vous avez été obligé de quitter le lycée Fesch à 16 ans avec juste le BEPC en poche. Aviez-vous déjà cette rage d’apprendre et d’entreprendre ?
- Oui ! J’avais cette rage, ce désir d’apprendre. Je faisais partie d’une famille de 4 enfants. Mon père était invalide, suite à un accident de travail. Ma mère était femme au foyer et s’occupait de notre éducation. Je voyais dans quelles difficultés se débattaient mes parents. Il fallait bien leur venir en aide. J’ai quitté le lycée pour leur apporter un complément d’argent. Ma sœur, aussi, commençait à travailler. Mes deux frères étaient partis sur le continent parce qu’à l’époque, les gens s’expatriaient pour trouver un emploi. Des quatre, peu sont allés à l’école. Tous, nous sommes rapidement entrés dans la vie active.
 
- Aviez-vous, dès cette époque, l’ambition de devenir quelqu’un ?
- Non ! Non ! J’étais passionné par ce que je faisais. J’avais envie d’apprendre, mais jamais je n’ai imaginé que je pouvais aller si loin ! Je pense que je me suis construit au fil des années. J’ai su bien m’entourer. J’ai toujours eu, autour de moi, des gens qui m’ont aidé à me construire et qui m’ont permis d’évoluer. Mais, il est vrai, aussi, que je n’ai jamais eu peur du risque !
 
- Quand vous êtes-vous dit que, peut-être, vous pourriez faire une belle carrière ?
- Dans les années 1987, quand j’ai quitté l’entreprise Torre pour rejoindre les frères Santini à Borgo. Nous avons créé l’hypermarché et le centre commercial. Là, j’ai senti que, vraiment, je pouvais aller plus loin.
 
- Qu’est-ce qui vous a paru le plus simple dans ce parcours hors normes ?
- Pour tout dire, j’avais l’impression que tout était facile dans ce que j’entreprenais. C’était une période de grande consommation… Tout semblait réussir ! Je vais juste vous raconter une anecdote : Jean-Toussaint Torre avait une épicerie de 25 m2, boulevard Fred Scamaroni à Ajaccio. Je lui ai dit que s’il me laissait gérer ce magasin, je doublerai le chiffre d’affaires. Il a accepté. J’ai monté un rayon de fruits et légumes sur le trottoir, ce rayon à l’extérieur a réalisé un chiffre d’affaires supérieur à celui du magasin !
 
- Inversement, qu’est-ce qui a été le plus difficile à surmonter ?
- J’ai connu des passages compliqués. Par exemple, quand un hypermarché Corsaire est venu ouvrir derrière le petit magasin d’alimentation que je tenais. J’ai passé, alors, une année très difficile. J’étais jeune marié, père de deux enfants, et je me suis posé beaucoup de questions. Je peux vous dire que je me battais, tous les matins, pour essayer de trouver des solutions ! Quand j’ai vu que le magasin ne marchait plus, j’ai eu le courage de me remettre en question et de partir ailleurs.
 
- Vos amis, qui vous ont rendu hommage, disent que votre réussite ne vient pas de votre compétence technique, mais de vos valeurs humaines. Etes-vous d’accord ?
- Comme l’ont dit les gens qui me connaissent bien, ce qui m’a aidé, c’est ma force de travail et la forte exigence que j’avais envers moi-même. Quand on est très exigeant envers soi-même, on peut être exigeant avec ses collaborateurs ! C’est là, je pense, que mes collaborateurs m’ont reconnu !
 
- Vous faites, aujourd’hui, figure de modèle. Que conseillez-vous aux jeunes Corses qui veulent entreprendre ?
- Hier, mon assistante m’a posé la même question. Elle expliquait mon parcours à son fils et m’a demandé : « Pensez-vous qu’un jeune, aujourd’hui, peut faire le même parcours ? ». Je réponds : Oui ! Mais, pour réussir, il faut avoir la volonté de travail, la niaque, l’exigence et la rigueur envers soi… et, après, les demander aux autres.
 
- On dit souvent qu’en Corse, il est difficile d’entreprendre et qu’un jeune doit toujours s’expatrier pour réussir. Qu’en pensez-vous ?
- On peut réussir en Corse ! Le mal actuel de la Corse, c’est que la référence du travail est la fonction publique ! Les gens travaillent peu, sont souvent en congés… Cela déstabilise le secteur privé et, surtout, notre profession, la grande distribution, où nous sommes complètement à l’envers de la société ! Nous réalisons 40 % de notre chiffre d’affaires, le vendredi et le samedi. Dans notre métier, on commence tôt le matin et on finit tard le soir, parce qu’un hypermarché ferme tard… cela fait peur aux jeunes ! Il y a de nombreux métiers où l’on peut entreprendre. Aujourd’hui, on ne trouve plus de boulangers, plus de bouchers… La Corse est entourée d’eau et nous avons du mal à trouver des poissonniers ! Nous sommes obligés d’aller les chercher sur le continent, en Bretagne. Ce n’est pas normal !
 
- Pourquoi, selon vous ?
- Nous n’avons pas été très bons pour expliquer que ces métiers, aujourd’hui, avaient changé. Le boulanger ne travaille plus la nuit. Il arrive le matin, à 5 heures, fait son pain à 5h30 et son pain est prêt à l’ouverture du magasin. C’est pareil pour le boucher ! Tous ces métiers ont évolué, mais les jeunes ne l’ont pas compris. Peut-être n’avons-nous pas su faire passer le message !
 
- Vous n’avez, professionnellement, plus rien à prouver. Qu’avez-vous envie de faire maintenant ?
- J’ai envie que ma société continue à avancer et qu’elle reste leader sur l’île. C’est l’engagement que j’ai pris avec mes collaborateurs. Mais, mon objectif prioritaire est de préparer la relève avec des gens de l’entreprise, des jeunes Corses.
 
- Une de vos deux filles vient de remporter un succès professionnel. C’est une double récompense ?
- Tout à fait ! Comme je l’ai dit dans mon discours, ma fille travaille à Paris dans le cinéma. Elle était très malheureuse de ne pas être là, à la remise du prix, mais elle avait une bonne excuse. Elle travaille dans la société de Pierre Bergé et produit des films. Elle a produit « Eastern Boys » qui vient d’être sélectionné pour les Césars du cinéma. Cela fait plaisir !
 
Propos recueillis par Nicole MARI