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Procès de la CORSSAD : 1 à 4 ans de prison requis pour suspicion de détournements de fonds !


Nicole Mari le Mardi 23 Juin 2015 à 21:54

Les dirigeants de la CORSSAD, Jean-Jacques, Bernard et Virna Giammari, suspendus depuis deux mois par le Parquet, ont comparu, jeudi, sous contrôle judiciaire, devant le tribunal correctionnel de Bastia pour "détournements de fonds publics et privés, complicité de détournements, faux et usages de faux". Le Conseil général de Haute-Corse, l'Agence régionale de santé (ARS), la CPAM, le syndicat CGT et six salariés de l'association se sont portés partie civile. Le procureur a requis des peines de 1 à 4 ans de prison, de 50 000 à 100 000 euros d'amende, une interdiction de gérer et la saisie des biens acquis pendant la période incriminée. La défense a plaidé la relaxe. Le jugement, mis en délibéré, sera rendu le 20 août à 15 heures.



Procès de la CORSSAD : 1 à 4 ans de prison requis pour suspicion de détournements de fonds !
L'affaire a fait scandale lors de sa divulgation et mis en émoi l'opinion publique. Non seulement parce qu'elle touche une association ayant pignon sur rue et œuvrant dans le social, mais surtout par l'ampleur des salaires et des primes que s'octroyaient ses dirigeants. La CORSSAD, spécialisée dans les soins aux personnes et l'aide à domicile, totalise près 10 millions € de chiffre d'affaires et emploie près de 500 salariés, la plupart payés au SMIC. Son directeur, Bernard Giammari et sa femme Virna Kramer, directrice adjointe, cumulaient, à eux deux, près de 30000 € par mois ! Or, la CORSSAD reçoit des fonds à la fois du Conseil général, de l'ARS et de la CPAM, ses dirigeants sont, donc, accusés d'avoir abusivement perçu de l'argent public.
 
Rappel des faits
L'affaire est révélée par un courrier anonyme adressé au Préfet de Haute-Corse qui dénonce « des salaires exorbitants pour une association à but non lucratif et bénéficiant de fonds publics ». La CGT alerte l'ARS et la CPAM, mais ces organismes font, dans un premier temps, selon le syndicat, la sourde oreille (cf vidéo). Le Parquet finit par diligenter une enquête préliminaire qui conclut à un suspicion de détournement de fonds publics ou privés basés, pour les époux Giammari, sur « des salaires et des primes exceptionnelles injustifiés, ne correspondant pas à leurs qualifications, des prises en charge de déplacements et des frais abusifs, également un usage abusif de véhicules et des achats indus ». Les sommes incriminées sur trois ans dépassent 1,1 million d'euros. Le père Jean-Jacques, président de l’association, est suspecté de « complicité de détournement de fonds » pour avoir fait valider ses sommes par le Conseil d’administration, et « de faux et usage de faux » pour avoir signé une attestation disant que son fils, qui n’avait pas les diplômes requis pour un poste de direction, suivait bien une formation validant son expérience professionnelle.
 
Un népotisme familial
D’emblée, le président du TGI, Patrick Sendral, tente de sonder les cœurs des prévenus : « Comprenez-vous la réaction des gens devant vos primes, vos déplacements à Paris dans de grands hôtels ? ». Il cite un rapport tardif de l’ARS, l’autorité de tutelle qui, tout en se félicitant de la bonne santé financière de la CORSSAD, s’étonne de la composition « curieuse » du Conseil d’administration (CA) qui repose sur les membres d’une même famille. « Le népotisme nest pas interdit, mais pose problème. Les membres du CA sont sur la planète Mars quand il sagit de contrôler les comptes où ils ne comprennent rien ! ». La ligne de défense de Bernard Giammari, qui ne bougera pas d’un iota, est de justifier les montants exorbitants par la charge de travail qu’il effectuait, « remplaçant trois cadres » et par les bénéfices réalisés par la CORSSAD. Un travail que le président Sendral ne conteste pas, mais il rétorque : « Pourquoi navez-vous pas recruté ? Cest contraire à lemploi ? Cest un peu curieux pour une association qui œuvre dans le social ! ». Réponse : « Nous navons pas trouvé ! ».
 
Une absence de contrôle
Le président s'interroge, aussi, sur les frais de déplacement et les goûts de luxe du couple Giammari, financés, selon lui, par des fonds publics. Le ministère public, représenté par le procureur Nicolas Bessone, parle plus crûment de « fuite en avant » et de « factures floues », mais Bernard Giammari riposte que chaque facture était vérifiée et validée par l’expert-comptable et le commissaire aux comptes. « Achetiez-vous le silence du comptable en lui donnant une prime de 500 € ? Reconnaissez-vous quelques négligences, des erreurs ? ». Réponse : « Non ! Peut-être sur une ou deux factures, mais je me suis engagé à rembourser ! ».
Le problème dans cette affaire est que tout, nominations, salaires, primes et frais, a bien été validé à tous les échelons, tant en interne qu’en externe. Ce procès pointe, une nouvelle fois, après l'affaire du CRIJ, de l'ADMR en Corse de Sud et de nombreuses autres similaires sur le continent, l'absence de contrôle de l'usage de l'argent public et la responsabilité des organismes payeurs censés vérifier et valider les comptes des associations destinataires des fonds.
 
Des salaires illégaux
Ce qui n’empêche pas ces mêmes organismes de se constituer partie civile et de se dédouaner. Débutant les plaidoiries, Me Jean-Louis Boisneault, avocat de l'ARS, argumente que les soins à domicile, étant financés par les prélèvements obligatoires, « les dirigeants de la CORSSAD sont chargés d'une mission de service public ». Il estime que, les époux Giammari « n'ayant ni les qualifications, ni les quinze ans d'expériences requis, la nomination à un poste de direction est illégale. Vous ne pouvez, donc, pas vous prévaloir dune rémunération à ce titre ». Même démonstration sur les primes : "Une prime est une rémunération occulte et ne peut être financée sur des deniers publics ». Il s'interroge, ensuite, sur « la stratégie pour dissimuler », et affirme qu'il a fallu six mois d'enquête aux inspecteurs de l'ARS pour découvrir les fraudes. Il évalue le préjudice à 38 000€ pour l'ARS, assorti de 5000 € de dommages et intérêts.
 
Une double trahison
Me Stéphane Ceccaldi, avocat de la CPAM de Haute-Corse, qualifie cette affaire, de « grossière et compliquée ». Il tacle les salaires : « Le président de la République, qui gagne 14 800 par mois, gagne moins que vous qui en gagnez 16 000 ! ». Et dénonce une double trahison : « La première est celle de l'intérêt général pour des motifs triviaux. La seconde est celle du secteur associatif à but non lucratif. Vous avez inventé le capitalisme associatif à la Nord-américain ! Vous auriez pu redistribuer de largent aux salariés, vous l'avez redistribué au seul bénéfice de la famille Giammari. Vous auriez dû concéder un peu !". Il demande à la Cour de considérer qu'il y a « abus de confiance au préjudice de la CPAM ».
 
Une vache à lait
Me Callista Antoniotti, avocate du Conseil départemental de Haute-Corse, s'élève contre « les atermoiements » dont on accuse cette institution qui est « la principale victime » et qui « a été abusée ». Pour la dédouaner, elle fustige « un système de dissimulation délibérée » dont l'habileté comptable, « le budget totalement illisible », a trompé le département qui « a été utilisé comme une vache à lait ». Elle dénonce le non-respect des statuts de l'association, un système familial et la bienveillance assez étonnante des comptables : « Personne n'a vraiment tiré la sonnette d'alarme ! Maintenant, il faut payer ! ». Le département évalue son préjudice matériel à 433 000 € et son préjudice moral et d'image à 50 000 €.

 

Banderole CGT sur les grilles du Palais de justice de Bastia le temps du procès.
Banderole CGT sur les grilles du Palais de justice de Bastia le temps du procès.
Des prévenus gavés
Pour Me Pascale Vittori, conseil de la CGT et des six salariés de la CORSSAD, un fait est révélateur : « Pourquoi la CORSSAD ne sest-elle pas portée partie civile pour se défendre et défendre son image ? ». Elle évoque « le contexte particulier » qui y régnait, « l'écœurement des salariés, les pressions exercées sur des salariés à statut précaire qui touchent entre 800 et 1200 et à qui on a retiré les primes transports. Les dirigeants se sont octroyés 144 fois la prime de transport qu'ils refusaient à des salariés qui, en dix ans, n'ont pas eu d'augmentation de salaires ! ». Elle assène qu’il y a détournement de fonds parce que l'attribution des postes est illégale. « On s'en fiche s'ils étaient compétents, ils n'avaient pas les diplômes pour occuper cet emploi ! ». Elle trouve « choquant » que les prévenus « continuent de se gaver avec les indemnités maladie » et  fustige « une insuffisance dans la responsabilité collective ».

Une responsabilité collective
L'absence de partie civile de la CORSSAD interpelle, également, le ministère public : « Ce qui me laisse penser qu'ils tirent encore les ficelles par derrière ! ». Le procureur Nicolas Bessone ne fait pas dans la dentelle : « Népotisme absolu ! Le père Giammari prend la tête de l'association pour faire la promotion de sa progéniture et de sa bru. Le conseil d'administration n'était que la chambre d'enregistrement des décisions du père ». Il pourfend Bernard Giammari « qui n'a même pas été capable d'avoir le bac » et « la désinvolture de la femme qui frise le mépris absolu ». Il parle de « promotion canapé » et de « dérapage exponentiel », se moque du surcroit de travail avancé par les prévenus qu’il surnomme : « SuperJaimie et SuperMan ! ».
 
Des peines sévères
Pour lui, les frais, les salaires et les primes étaient totalement occultes et échappaient, ainsi, aux organismes de contrôle. Sa verve colorée et goguenarde déclenche, tout au long de son réquisitoire, les rires du public et l'amusement des magistrats.
Retenant toutes les infractions, il demande à la Cour « d'envoyer un message fort envers ceux qui n'ont aucune repentance », aux « brebis galeuses absolues ».  Il requiert à l'encontre de Bernard Giammari, 4 ans de prison ferme et 100 000€ d'amende, pour sa femme Virna, 3 ans de prison dont 1 an avec sursis, 50 000€ d'amende et pour les deux : une interdiction de gérer et la confiscation des biens acquis pendant la période incriminée. Il demande, pour le père, 1 an de prison avec sursis et 50000€ d'amende.
 
Pas d’éléments probants
La Défense balaye, d'un geste, plaidoiries et réquisitoire : « On assiste à une école de catéchisme plus qu'à une école de droit. Pas de démonstration juridique. On ne peut pas demander 4 ans de prison en argumentant seulement que la personne n'a pas les diplômes. Ce dossier est fragile ! », s’offusque Me Jean-André Albertini. Pour l'avocat de Jean-Jacques Giammari, aucun élément ne caractérise l'accusation. Le népotisme : « C'est une structure familiale, ce n'est pas interdit ! ». Le délit de faux : « Ou sont les éléments probants ? Il n'y en a aucun ! ». La complicité de détournement de fonds et le fonctionnement clandestin du Conseil d’administration : « Comment peut-on parler de budget illisible puisqu'il est établi selon des normes ! L'ARS, le Département et le Commissaire aux comptes ont-ils, à un moment, dénoncé un quelconque détournement ? Jamais ! Les primes n'ont pas été détournées puisque le travail a été fait ». Il demande la relaxe pour son client.
 
Immoral, mais légal !
Me Benoit Bronzini de Caraffa, avocat des époux Giammari, enfonce le clou et plaide en droit. Il démonte, lui aussi, le réquisitoire : « Le procureur dit que nos clients sont coupables, mais il ne suffit pas de le dire, il faut le prouver. Il n'y a aucune démonstration ! ». Pour lui, la seule question valable est de savoir si le CORSSAD a une mission de service public : « La loi a tranché : ce n'est pas un service public ! Donc, vous ne pouvez pas poursuivre dans les termes du Parquet. Il ne peut, pas plus, y avoir d'abus de confiance car il n'y a pas de contrat. Il n'y a pas eu détournement. En droit, vous ne pouvez rentrer qu'en voie de relaxe ». Sur le fond, il démontre que les organismes payeurs détenaient tous les documents pour rejeter les salaires et les primes et ne l'ont pas fait. «Ils ne peuvent pas demander des remboursements sur des sommes qu'ils devaient contrôler ! Les salaires et primes ont été versés en récompense du travail rendu. C'est peut-être immoral, mais pas en droit ! ».
 
Des contrevérités
Le réquisitoire indigne, également, Me Angeline Tomasi : « Ce dossier est truffé d'erreurs en droit et en fait. Nous avons eu 5 procureurs et des accusateurs qui auraient pu être assis aux côtés des prévenus. Il est trop facile pour l'ARS et le Conseil général de dire, avec un aplomb extraordinaire, qu'ils n'étaient pas au courant. Ce sont des contrevérités ! Ils n'ont pas eu une seule ligne, une seule observation sur l'irrégularité des primes ». Elle conteste le détournement de fonds publics, « vu qu'il n'y a pas de mission de service public » et le système occulte, vu que tous les comptes sont publiés au Journal officiel. « Comment peut-on débloquer 8 millions sur des soi-disant budgets opaques ? Je reste médusée ! C'est vrai qu'il y a de la démesure, qu'elle peut être choquante, mais ce n'est pas parce qu'il y a de la démesure, que c'est illégal ! », juge-t-elle en s’appuyant sur un rapport de la Direction du travail. « La qualification d'un salarié s'entend des fonctions réellement exercées. Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas de diplôme, qu'ils n'ont pas exercé les fonctions pour lesquelles ils ont été rémunérés ! ». Puis elle s’en prend à la pression « totalement inacceptable » de la CGT et plaide la relaxe : « Ne venez pas laver plus blanc ! Ils ont peut-être commis des erreurs et ont été mal conseillés, mais quoi qu'on en dise, cette association a prospéré. Ils ont peut-être fauté par négligence mais pas par violation de la loi ».
Le jugement, mis en délibéré, sera rendu le 20 août à 15 heures.
 
N.M.

La CGT, qui s'est portée partie civile, avait appelé à un rassemblement devant les grilles du Palais de justice de Bastia : Explications de de Jean-Pierre Battestini, secrétaire général de la CGT de Haute-Corse.