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Procès : L'ex-maire de Centuri, Joseph Micheli, devant la justice pour une affaire de marchés publics


Nicole Mari le Mardi 14 Février 2017 à 21:46

Cinq personnes, dont deux élus et trois entrepreneurs, comparaissent, depuis mardi matin, devant le Tribunal correctionnel de Bastia pour une affaire de marchés publics sur la commune de Centuri, dans le Cap Corse. L'ancien maire, Joseph Micheli, son conseiller municipal de l'époque, et actuel premier adjoint, Jacques Kappas, et les dirigeants des SARL STMP, Cap façade et Bâti Cap, Stéphane Ramora, Éric Michelotti et Jean-Antoine Ringioni, sont accusés de favoritisme, détournement de fonds publics et prise illégale d'intérêts. Les prévenus nient les faits qui leur sont reprochés et plaident la bonne foi. Le procès se tient jusqu’à mercredi soir.



Procès : L'ex-maire de Centuri, Joseph Micheli, devant la justice pour une affaire de marchés publics
C'est une nouvelle affaire de marchés publics, traitée par le pôle financier, qui est jugée devant le tribunal correctionnel de Bastia depuis mardi matin. Une affaire de favoritisme, détournements de fonds publics et prise illégale d'intérêts dans le droit fil des précédentes sur fond de relations troubles entre le landernau politique et les entreprises locales du Bâtiment (BTP). L'histoire démarre en 2014 lorsque le maire nouvellement élu de Centuri, David Brugioni, découvre certaines irrégularités, notamment l'absence du registre contenant les délibérations du Conseil municipal, un registre totalement blanc depuis 2008 ! Il déclenche, alors, la procédure conformément à l'article 40 qui oblige tout fonctionnaire ou élu à dénoncer des faits ou des infractions dont il a connaissance. Les faits s'enchainant, la commune finit par se constituer partie civile.
 
Des élus et des entrepreneurs
Après deux ans d'enquête et près de 17 dossiers examinés, Joseph Micheli est mis en examen pour favoritisme, détournements de fonds publics et prise illégale d'intérêt sur quatre dossiers couvrant une période 2010-2013 pour un montant global d'environ 300 000 €. A ses côtés, dans le box des accusés : les gérants des trois sociétés incriminées, proches de l'ancien maire par des liens amicaux ou familiaux : Stéphane Ramora pour la SARL SMTP, Jean-Antoine Ringioni pour la SARL Bati Cap, et Éric Michelotti pour la SARL Cap Façade, sont inculpés de recel de détournements de fonds publics. Un élu communal de l’époque, aujourd'hui premier adjoint, et artisan de profession, Jacques Kappas, est poursuivi pour complicité de favoritisme.
 
Du ciment et des marchés
Le premier dossier concerne l'utilisation jugée litigieuse de quelques 900 sacs de ciment qui auraient coûté la bagatelle de 9 175 €. Les trois autres délits pressentis portent sur les conditions de passation et de réalisation de trois marchés publics. Le détournement de fonds publics pour la réfection du monument aux morts, facturée 9180 € pour des travaux qui ont bénéficié d'une subvention de 8 500 €, mais n'ont pas été réalisés, l’argent aurait servi à la rénovation de l'église Saint Sylvestre. Le défaut de publicité pour le marché de réparation du toit et de la façade de ladite église pour un montant de 185 000 € et le délit de favoritisme pour la société SMTP. Le délit de favoritisme pour les sociétés SMTP et Bati Cap concernant la construction des lots 1 et 2 de l'école primaire pour un montant d'environ 130 000 €.
 
Une chasse à l’homme
Pour l'ancien maire, Joseph Micheli, âgé de 70 ans, à la tête de la municipalité pendant deux mandatures, mais mis en minorité dans le nouveau Conseil municipal, cette affaire se résume à « des ragots », une « guerre des clans », « une chasse à l'homme », sous fond de contentieux électoral et d'annulation du premier scrutin au tribunal administratif. Il récuse tout en bloc : les faits, les liens avec les sociétés visées, l'absence de tout enrichissement personnel ou d'éléments prouvant la dissimulation, l'atteinte à la concurrence ou l'octroi davantage injustifiés... Il plaide sa bonne foi, son souci du « seul intérêt de la commune » et rejette la responsabilité sur d'autres : la secrétaire qui n'a pas fait son travail, les entrepreneurs qui n'ont pas fait les bons devis, l'élu Jacques Kappas qui a agi en douce, le Conseil municipal et les services de l'Etat qui ont validé les opérations...
 
Une enquête à charge  
Son avocat, Me Jean-Sébastien de Casalta, dénonce une « enquête orientée, à charge, très insuffisante », qui « n’a pas été menée convenablement », mais dans le but « délibéré de noircir » l’ancien élu. Dés le début de l'audience, il lance une contre-attaque procédurale, demandant l’irrecevabilité de la constitution de la partie civile « qui n’a pas fait l’objet d’une délibération en Conseil municipal ». Lui emboîtant le pas, l’avocat de Jacques Kappas plaide la nullité partielle de l’ordonnance de renvoi de son client. La défense de Stéphane Ramora réclame une expertise supplémentaire pour « éclaircir un dossier insuffisant ». Après une courte délibération, le tribunal décide de joindre l'incident au fond et de continuer le procès.
 
Des petits arrangements entre amis
Les débats tournent vite au dialogue de sourds entre des accusés, qui s’égarent dans l’écheveau confus des faits, et des magistrats sceptiques et pointilleux, bien déterminés à ne pas s’en laisser compter. L’audience révèle des marchés publics attribués de manière assez obscure, sans appel d'offres, ni publicité, à des sociétés n'ayant parfois ni les compétences, ni les capacités techniques de les réaliser, des devis litigieux, établis de façon douteuse, des surfacturations de travaux pas ou mal effectués, des subventions octroyées et détournées de leur objet pour être reportées, sans même un revers de plume, sur d'autres chantiers sans que l’on sache, vraiment au final, ce qu’elles sont devenues, des entrepreneurs qui soumissionnent et sous-traitent les travaux... Ce que la présidente Michèle Saurel qualifie clairement : « de petits arrangements entre amis ». C’est bien l’avis de Me Benoit Bronzini de Caraffa, avocat de la partie civile, qui stigmatise des pratiques qui« font abstraction des règles de droit au profit prétendu de la commune », mais qui, en fait, « dissimulent des détournements ».
 
Noyer le poisson
L’audience, assez tendue par moments, vire, à l’occasion, à la farce ou aux règlements de compte. Les dialogues sont savoureux. Concernant les sacs de ciment dont certains ont servi à effectuer des travaux pour une habitante du village, Me Bronzini interroge l’ex-édile : « Cette habitante dit qu'elle vous a payé en liquide 9 000 € pour des travaux réalisés par Cap Corse Bâtiment », la société gérée par le fils Micheli. La réponse fuse : « Elle ment ! Je le dis les yeux dans les yeux ! ». La présidente un tantinet narquoise : « Il y a des expressions qu'il vaut mieux ne pas employer ! ». Joseph Micheli s’énerve : « Elle a essayé de me corrompre ! Je n'ai jamais cédé ! Elle m'a donné 4 000 € pour des travaux privés de ligne téléphonique ». La présidente : « Vous noyez le poisson de manière habile, mais les sacs de ciment ont été payés par la mairie ». Réponse : « Il fallait reboucher des tranchées sur la voie publique et refaire les trottoirs ».
 
La faute à la secrétaire
Concernant l'église Saint Sylvestre, la présidente Saurel tente de savoir comment les entrepreneurs ont été amenés à effectuer les chantiers et s'agace de l'imprécision des réponses : « Le marché n'a pas été publié. Comment les entreprises de la commune ont-elles pris connaissance de cet appel d'offres ? ». Réponse de l'ancien maire : « J'ai fait une souscription. Tout le monde le savait. C'était la secrétaire qui faisait les publications. Pour moi, la publication avait paru ». La présidente, en veine d’ironie : « Dans ces cas-la, il faut toujours incriminer la secrétaire ! Mais, votre responsabilité de maire était de vérifier que les formalités ont été accomplies ».
 
Un devis fait en mairie
Pour le monument aux morts constitué d’une simple plaque en marbre, la présidente a du mal à cacher sa perplexité à Stéphane Ramora, gérant de SMTP : « Pourquoi avez-vous établi un devis décrépissage-recrépissage, ce qui n'est pas possible à faire sur une plaque en marbre, et que vous savez ne pas pouvoir faire ? ». Réponse : « C'est un devis fait en mairie ». La présidente s'exclame : « Ce qui explique qu'il soit la copie conforme du devis de Cap bâtiment ! ». Le chantier, étant irréalisable, n'est pas réalisé ! La facture est néanmoins honorée et la SMTP accepte, en échange, d'effectuer des travaux de réfection de l'église, sans qu'aucun avenant ne soit ajouté.
« Accepter que des travaux de financements de façade soient financés sur des factures de monument aux morts pose un problème de comptabilité publique. Vous savez pourquoi il y a des règles qui imposent une surveillance étroite des deniers publics ? », interroge la présidente.
 
La souplesse du Conseil général
Le tribunal soulève trois lièvres : un devis qui ne correspond pas au marché réalisé, l'incompétence d'une entreprise à effectuer des travaux pour lesquels elle a été engagée et une subvention détournée de son objet. L'ancien maire tente de justifier : « C'est comme ça que ça fonctionne, c'est un petit village. Quand on est maire d'une commune comme Centuri, on regarde l'intérêt de la commune qui n'a pas été lésée. Le Conseil Général est assez souple dans ses subventions ». Réplique de la présidente : « Oh, le tribunal a une idée très exacte de la façon dont ça se passe au Conseil Général ! ». Le public s’esclaffe…
 
Une vérité à dire ?
Autre imbroglio sur les appels d’offres du marché de l'école primaire que les magistrats ont du mal à démêler. « Vous soumissionnez sur des chantiers en sachant que ce n'est pas vous qui réaliserez le travail ? », lance la présidente aux entrepreneurs qui ont répondu aux appels d’offres. A Jacques Kappas : « Trouvez-vous normal qu'en tant que conseiller municipal, vous participiez à la réalisation d'un chantier ? Vous aviez l'intention de sous-traiter un des lots, vous faites le devis à Mr Rangioni pour être dans les clous. Ne croyez-vous pas que c'est incompatible ? ». L'élu communal argumente qu'il a simplement conseillé le gérant de Bati Cap sur les prix du marché. La présidente s’entête à vouloir comprendre, les accusés se dressent les uns contre les autres, quand, soudain ravi, Joseph Micheli se tourne vers les gérants de SMTP et Cap Façade et leur demande, sourire aux lèvres : « Je peux dire la vérité ? ». Le public s’amuse, la Cour apprécie moyennement.
 
Le grand déballage
Tout le monde s’empêtrant dans les explications, la défense de l’ancien maire tente de déplacer le débat sur le terrain politique, malgré l'évidente réticence de la Cour. Revenant sur le contexte électoral tendu de mars 2014 où il perd la mairie après le retournement de trois conseillers municipaux lors de l'élection du maire, Joseph Micheli, qui n'a visiblement toujours pas digéré sa défaite, s'en prend, avec amertume, à son successeur, parle de menaces et d'acharnement contre lui : « Mr Brugioni a voulu me faire disparaître de la scène politique ! ». Commentaire sarcastique de la présidente Saurel : « Bien, c'est la soirée du grand déballage, mais ce n'était pas ce que votre conseil attendait ! Il parlait du recours ». Le tribunal administratif a annulé l'élection, mais le maire actuel a été reconfirmé dans un nouveau scrutin en juillet 2014.
Les débats s’achèvent sur un bref examen des personnalités.
L'audience reprend, mercredi à 9 heures, avec les plaidoiries de la partie civile.
 
N.M.