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Population corse : Le choc migratoire


Nicole Mari le Samedi 23 Février 2013 à 22:10

La population corse est en pleine croissance, au vu du dernier recensement de l’INSEE. Cette croissance n’est pas le fait d’une fécondité insulaire exceptionnelle, mais d’une immigration en plein essor. Michel Castellani, élu territorial de Femu a Corsica, professeur d'économie et responsable pédagogique du Master 2 administration des entreprises à Corte, décrypte, pour Corse Net Infos, les données démographiques actualisées et met en lumière un certain nombre de dynamiques, révélatrices de l’évolution de la société insulaire. Il dévoile quelques réalités inquiétantes.



Population corse : Le choc migratoire
- Quel principal enseignement tirez-vous du dernier recensement de la population corse ?
- D’abord, une croissance soutenue. Ces 10 dernières années, la population de l’île a augmenté de 49.175 unités. Soit, 16 % en dix ans. C’est considérable ! Si l’on prend 2006 comme année de base, la Corse enregistre une croissance démographique de 5,3 %, soit plus du double de la moyenne française (2,22 %). Elle croît davantage que toutes les autres régions, même celles qui sont, traditionnellement, les plus attractives et les plus dynamiques, comme le Languedoc-Roussillon qui affiche un taux de 4,03 % ou la région PACA et son taux de 1,74 %. Avec cette poussée démographique, les choses changent profondément.
 
- C’est-à-dire ?
- Notre île a touché son minimum contemporain au début des années 60 avec 165.000 habitants, elle approche maintenant du double. Un doublement en un demi-siècle ! Si elle avait suivi le même rythme, la France, qui s’est pourtant accrue de plus de 20 millions d’âmes, en compterait actuellement près de 93 millions. Cette augmentation des densités se traduit par une pression toujours plus affirmée sur le foncier, sur l’immobilier et, d’une façon générale, sur le milieu naturel.
 
- Les Corses font-ils plus d’enfants que la moyenne nationale ?
Non. L’évolution naturelle est, depuis longtemps, modeste. De 1945 à 1962, en plein baby boom, l’île n’a enregistré que 49.861 naissances pour 41.157 décès. De 1962 à 2010, 137.438 naissances pour 129.148 décès. Depuis l’après guerre, l’excédent naturel, c’est-à-dire le différentiel naissances-décès, est donc demeuré très modéré. Le départ de nombreux jeunes sur le continent et un vieillissement prononcé du corps social sont responsables d’une fécondité faible et d’une mortalité soutenue. Actuellement, l’excédent naturel ne dépasse guère la centaine d’unités par an.
 
- Alors, comment expliquez-vous cette forte croissance ?
- Cette exceptionnelle croissance est tractée par les excédents migratoires. Sur le dernier demi-siècle, la population corse a cru de près de 129.000 personnes, dont 120.541 arrivant de l’extérieur. La balance migratoire est, donc, responsable à 95% de cet accroissement. Cette forte attractivité de notre île se confirme et s’amplifie. Depuis quatre ans, la population s’est enrichie de près de 16.000 personnes, dont plus de 15.000 par excédent migratoire. Il ne s’agit, là, que de bilans migratoires finaux, de soldes du différentiel entrées-sorties.
 
- Quelle est l’ampleur de ces mouvements ? Combien de personnes partent et arrivent ?
- C’est difficile à apprécier. Si l’on pose, comme hypothèse, 1 départ pour 2,5 arrivées, les échanges entre la Corse et l’extérieur totalisent, entre 2006 et 2010, 25.150 arrivées pour 10.090 départs. Ce n’est qu’une appréciation, mais elle suffit à comprendre l’ampleur des flux. A l’heure actuelle, en moyenne, au moins 18 personnes s’installent dans notre île chaque jour et 7 en repartent.
 
- Qui sont ces migrants ?
- Ces flux intéressent toutes sortes de gens. Arrivent des fonctionnaires, des gendarmes ou des cadres du privé qui vont et viennent, des pauvres migrants, des travailleurs étrangers, des vedettes en renom, des retraités d’origine corse ou pas… Dans l’autre sens, partent des jeunes insulaires pour poursuivre leurs études ou pour raisons professionnelles, des mutés hors de l’île, des étrangers qui retrouvent leur pays... Ce qui est sûr, c’est que les mutations sont de grande ampleur. Il faut maîtriser l’évolution démographique parce que pareil rythme de renouvellement pose de lourds problèmes de fond. 
 
- Quels problèmes ?
- D’abord, la préservation d’un liant social. Sauf mesures spécifiques, le sentiment d’appartenance à une communauté, qui a constitué tout au long de l’histoire le fondement même de notre personnalité collective, ne pourra résister longtemps à pareille avalanche. C’est la pérennité même de notre langue, de nos valeurs culturelles et de la nature de nos relations sociales qui est en jeu. C’est l’adhésion à la musique, aux spécialités culinaires, aux fêtes collectives, religieuses, sportives ou autres, l’identification aux lieux de vie… qui donnent sa personnalité à toute société. Imaginez une société corse où la majorité ne saurait rien de notre langue et de nos proverbes, des paghjelle, de la Santa du Niolu, de Lavasina ou du Catenacciu, rien de Paoli ou de Circinellu, rien de nos clubs sportifs…! Nous devons, dans le strict respect de chacun, œuvrer à fortifier ce sens commun.
 
- D’un point de vue économique, comment résister à l’inévitable déchainement de la pression immobilière et spéculative ?
- La relative basse pression démographique et la beauté des paysages exercent et exerceront toujours plus leur force attractive sur les 350 millions de personnes vivant à moins de trois heures d’avion de la Corse. La régulation du marché par le pouvoir d’achat, donc la difficulté pour le plus grand nombre à accéder à la propriété est, par conséquent, inévitable. Sans compter la transformation de l’île en terre de vacances et de loisirs, avec la mutation fondamentale de personnalité que cela suppose. Sauf à appliquer des mesures de protection réellement efficaces. C’est pourquoi nous sommes un certain nombre d’élus à l’Assemblée de Corse à étudier la dévolution d’un statut particulier pour le foncier… et pour le reste !
 
- Pensez-vous y parvenir ?
- Les choses sont objectivement difficiles. D’abord, parce qu’elles heurtent de front la tradition française d’Etat-Nation, qui ne reconnaît qu’une catégorie de citoyens et ne peut prendre en compte les diversités. De même, la liberté d’établissement instituée en Europe depuis le marché unique va, à priori, à l’encontre de toute mesure protective spécifique. C’est pour cela que nous avons envisagé de freiner la dérive spéculative par une mesure non discriminante, puisque s’adressant à tous : le statut de résident.
 
- Certains vous accusent de ségrégation ?
- Nous ne désirons, en aucun cas, de politique d’exclusion ou de ségrégation. Nous savons autant que d’autres que, de tout temps, la Corse a reçu et fondu des gens dans un sentiment d’appartenance commun. Non seulement nous n’entendons pas renoncer à cette tradition, mais nous voulons, bien au contraire, que la Corse continue d’être une machine à intégrer. Mais, pour cela, il faut d’abord que nos bases culturelles soient en état de rayonner. Objectivement, à l’heure actuelle, nous sommes bien plus en état de désagrégation qu’en possibilité d’assimiler.
 
- Justement, n’y a-t-il pas un paradoxe entre l’ampleur de ces flux migratoires et l’aggravation des problèmes sociaux ?
- Tout à fait. C’est le paradoxe d’une île qui voit sa population continuellement croître pendant des décennies, en particulier par le fait qu’elle attire toujours plus d’immigrants, sans que sa vie sociale s’améliore. Le nombre de chômeurs, de précaires et des personnes de très modeste condition donne une idée des difficultés. Plus du dixième de la société est directement frappé. Seulement 1 habitant sur 3 occupe un emploi stable. Les autres, pour des raisons diverses (études, vieillesse, chômage, maladie…), en sont exclus… C’est dire la fragilité du tissu économique ! Démographie et avanies sociales ont cheminé de pair, ce qui prouve que la croissance de la population, que certains présentent comme une panacée, ne constitue en rien une solution, ni en Corse, ni ailleurs.
 
Propos recueillis par Nicole MARI

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