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Philippe Peretti : « Les Nationalistes sont incontournables »


Nicole Mari le Jeudi 31 Août 2017 à 22:41

A quatre mois des élections territoriales qui se tiendront en Corse les 10 et 17 décembre, c’est l’effervescence dans les états-majors politiques, toutes tendances confondues. La suppression des départements, hauts-lieux de la pulitichella, finit de rebattre le jeu politique insulaire, aujourd’hui largement dominé par les Nationalistes. Dans une gauche en décomposition et une droite en pleine crise interne, les positions se durcissent. Pour Philippe Peretti, conseiller municipal de Bastia, adjoint délégué au patrimoine, le risque est grand de voir le scrutin se transformer en un affrontement entre pro- et anti-Nationalistes. L’élu de gauche, qui fut, aux côtés d’Emmanuelle De Gentili, l’un des premiers à faire le pari de l’union avec les Modérés, prône le rassemblement de toutes les forces de progrès autour des Nationalistes dans une démarche d’autonomie. Il explique, à Corse Net Infos, que l’enjeu est crucial : celui de réussir la collectivité unique et de lui donner les moyens de fonctionner.



Philippe Peretti : « Les Nationalistes sont incontournables »
- Quel regard portez-vous sur votre famille politique qui ne cesse de se déliter élection après élection ?
- La Gauche est morcelée. Elle n’a pas su tirer les leçons d’échecs successifs. C’est extrêmement grave ! Si la Gauche existe toujours par ses valeurs - solidarité, respect des personnes, développement axé sur le partage – et ses idées qui restent très utiles pour l’avenir, elle court un gros risque. Comme la Droite dite républicaine, elle a la tentation, pour faire des voix, de revenir à des discours éculés sur les fondamentaux de la République. Les Nationalistes ont fait leur chemin et représentent, après 50 ans de militantisme, une force importante en Corse. Je fais partie de cette Gauche autonomiste qui partage avec eux beaucoup de choses, en particulier le patriotisme corse. Je n’imagine pas qu’on ne puisse pas s’associer à eux !
 
- Pourquoi ?
- Les Nationalistes ont leurs fondamentaux qu’on partage ou pas, mais il y a, dans le cadre de la collectivité unique, le problème de la gestion de l’île que toutes les forces vives doivent assumer ensemble. Je ne voudrais pas que les prochaines élections territoriales consistent en un affrontement entre Nationalistes et non-Nationalistes.
 
- Estimez-vous qu’on ne peut plus opposer, comme ce fut le cas dans les autres scrutins, ceux qui seraient républicains et ceux qui seraient contre la République ?
- Oui ! On a vu ce qui est arrivée à la pauvre Gauche bastiaise, la Gauche communisante qui s’est accrochée à cette idée lors des derniers scrutins. On ne peut pas défendre la République sans la République ! On ne peut pas être plus Républicain que les Républicains, plus Français que les Français ! Au bout d’un moment, cela ne veut plus rien dire. J’ai l’impression qu’à Paris, on s’en moque de cette filiation que certains recherchent. En Corse, l’autonomie se dessine avec la Collectivité unique. Il faut la réussir. Cela nécessite un dialogue avec l’Etat. Tous ceux, qui se réclament de cette démarche autonomisante, doivent se rassembler.
 
- Comment voyez-vous ce rassemblement ? Par des listes ouvertes au 1er tour ? Des regroupements au 2nd ou 3ème tour ?
- Tout est possible ! J’ai bien conscience aussi que la famille nationaliste est, aussi, faite de différences. Nous ignorons toujours s’il y aura une ou deux listes nationalistes au 1er tour, nous ignorons quelles sont les relations exactes entre Femu a Corsica en construction et Corsica Libera. Nous observons, tout en rappelant qu’à Bastia, nous avons été les premiers à faire le pari de travailler main dans la main avec les Nationalistes.
 
- L’union municipale bastiaise, est-ce, selon vous, un modèle à reproduire pour les territoriales ?
- Il n’y a pas de modèle en politique ! Cette union est une belle expérience que l’on peut reproduire à l’échelle du territoire. Je ne suis pas nationaliste, mais je considère que les Nationalistes, avec lesquels je partage certaines aspirations, sont, aujourd’hui, au centre de la vie politique insulaire, au centre géographique et idéologique, ce qui les rend incontournables. Il faut savoir travailler avec eux, c’est ce que nous avons essayé modestement de faire à Bastia.
 
- A mi-mandat, quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
- Les héritages sont souvent lourds à porter, celui de Bastia en particulier. Nous avons mis un certain temps pour prendre en main la machine municipale, pour faire émerger de nouveaux projets. Nous sommes, aujourd’hui, en train d’atteindre la vitesse de croisière. Par exemple, dans mon domaine du patrimoine, nous avons impulsé un véritable changement. J’ai bon espoir de voir réaliser les projets portés par la municipalité et les deux maires successifs, Gilles Simeoni et Pierre Savelli.
 
- Certains estiment que les projets patinent à Bastia ?
- Ces appréhensions vont être rapidement dissipées. La seconde partie du mandat s’annonce beaucoup plus réalisatrice, mais c’est bien naturel, c’est dans l’ordre des choses. Cela dit, il y a encore beaucoup à faire, mais tout ne relève pas de la puissance publique, ni de la décision politique. Surtout maintenant ! Nous avons besoin d’investisseurs et d’investissements. On peut jouer les pudiques et dissimuler les choses, il faut savoir recevoir ces investisseurs et les associer à nos démarches. Si la collectivité, devenue unique, n’associe pas des compétences et de véritables puissances économiques, elle aura des problèmes dans les années à-venir car l’Etat se désengage. C’est ce qui m’inquiète !
 
- L’enjeu est-il plus de privé ou un partenariat public-privé ?
- L’enjeu est que chacun joue son rôle ! Les pouvoirs publics et les élus. La collectivité unique aura un droit absolu de contrôle, mais elle sera jugée sur son tête-à-tête avec les forces économiques, et pas seulement sur la mise en place administrative d’une nouvelle institution. Quand aux collectivités de base comme les communes, elles doivent être viables et pouvoir fonctionner convenablement. En tant qu’élu bastiais, je suis soucieux : je n’imagine pas que, dans l’avenir, avec la disparition des départements, Bastia ne soit pas le chef-lieu – parce que c’est le chef-lieu naturel – d’une vaste communauté qui irait jusqu’en Casinca, du moins jusqu’à Casamozza. C’est, aussi, l’un des enjeux de l’avenir.
 
- La fameuse intercommunalité du Grand Bastia ?
- Absolument ! C’est une nécessité en termes de moyens techniques et administratifs. Je comprends certaines réticences. C’est pour cela qu’il faut, à partir de janvier 2018, une volonté politique qui dépasse celle des partis, des mouvements et des groupements.
 
- La collectivité unique risque-t-elle de bouleverser en profondeur ce qui reste des équilibres politiques anciens ?
- J’ai fait partie, depuis les années 80, depuis le projet Joxe et le gouvernement Rocard, des gens qui, à gauche, ont fait le pari de la décentralisation la plus poussée, c’est-à-dire l’autonomie de la Corse, dans le respect des règles de la démocratie. Je partage cette option avec Emmanuelle De Gentili, la première adjointe de Bastia. Il ne faut pas avoir peur des mots ! Les interlocuteurs ne parlaient que de décentralisation quand nous parlions d’autonomie. Nous sommes peut-être aux portes de cette autonomie à condition que la collectivité unique ait les moyens de fonctionner et que, surtout, elle ne s’embourbe pas dans des débats tout à fait secondaires et subalternes. Le dossier dont je parle, celui d’une carte administrative correcte dans l’île, est important, mais, pour l’instant, Bastia n’a pas sa place dans l’harmonie territoriale.
 
- Craignez-vous que Bastia ne soit oubliée dans cette nouvelle configuration ?
- Bien sûr, j’ai des craintes. Je parle souvent avec Michel Castellani, notre nouveau député, et nous partageons sur ce sujet la même crainte et la même ambition.
 
- Que pensez-vous de l’attitude du nouveau pouvoir macroniste face à la Corse ?
- Personnellement, j’ai deux types de contact avec lui. D’abord, avec des jeunes qui ont été attirés par la démarche d’Emmanuel Macron. Ils ont foncé dans cette possibilité avec leurs convictions et leur enthousiasme. J’ignore quelles sont leurs véritables positions sur la Corse et sur l’avenir de l’île, mais je ne mets pas en cause leur bonne volonté. J’ai, aussi, des contacts parisiens. J’ai l’impression que la Corse échappe un peu, actuellement, au raisonnement de l’Etat. La culture de la décentralisation était, avant, portée, à la fois, par la Droite libérale et par la Gauche sociale-démocrate, et par des gens aussi différents que Michel Rocard ou Jean-Pierre Raffarin. Cette culture appartient au passé. Je ne suis pas convaincu que les actuels décideurs parisiens soient à même de mener cette logique jusqu’au bout.
 
- Est-ce la Corse qui ne les intéresse pas ou, de façon plus générale, les territoires ?
- J’ai l’impression que ce sont les territoires qui ne les intéressent pas tellement ! Ces décideurs manquent, peut-être tout simplement, de racines.
 
- La Corse peut-elle raisonnablement attendre un geste de ce gouvernement pour plus d’autonomie ou ne doit-elle compter que sur elle-même ?
- Ce sont les élections qui constituent le juge de paix ! C’est à partir des élections territoriales qu’on pourra se déterminer. Il faut que Paris tienne compte d’une volonté, encore faut-il que cette volonté s’exprime ! Si les Nationalistes restent seuls aux commandes de la Collectivité, la tentation de les faire attendre, de ne pas dialoguer avec eux, sera véritablement là. Il faut que la nouvelle majorité, qui sortira des urnes, corresponde à un rassemblement de toutes les forces de progrès de l’île.
 
- Serez-vous présents aux Territoriales ?
- Il faut participer aux élections qui se profilent à l’horizon. Nous allons, d’une manière ou d’une autre, y participer. Le mois de septembre sera très révélateur à ce sujet.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.