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Petr’Anto Tomasi : « Le revenu universel sera, peut-être, la vérité de demain ! »


Nicole Mari le Samedi 28 Janvier 2017 à 19:19

L’idée d’une expérimentation en Corse d’un revenu universel, versé à tous, sans condition, ni contrepartie, a été débattu, à l’initiative du président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, vendredi matin, en session. Le rapport proposant la mise en place d’une Commission de réflexion a été voté par la majorité nationaliste, la gauche et le Front national. Face au Front de Gauche réservé et à une Droite résolument contre, les Nationalistes y voit une piste de réflexion pour éradiquer la pauvreté et inventer un nouveau modèle social. Explications, pour Corse Net infos, de Petr’Anto Tomasi, président du groupe Corsica Libera.



Petr’Anto Tomasi, conseiller territorial, président du groupe Corsica Libera à l'Assemblée de Corse, membre de l'Exécutif de Corsica Libera.
Petr’Anto Tomasi, conseiller territorial, président du groupe Corsica Libera à l'Assemblée de Corse, membre de l'Exécutif de Corsica Libera.
- Pourquoi la majorité territoriale a-t-elle décidé de présenter un rapport sur le revenu universel ?
- C’est un rapport qui s’inscrit dans une stratégie globale pour répondre aux mutations socio-économiques que connaît la Corse. Notamment, un très fort taux de précarité. De façon plus globale, une raréfaction du travail et de très fortes inégalités ont été relevées par notre majorité au moment de l’adoption du SRDE2I (Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation). Cette question du revenu universel est, aujourd’hui, dans le débat public au niveau européen, et même expérimentée de façon concrète. Nous pensons que la Corse ne peut pas rester en dehors de ce débat.
 
- Quel est l’objet de ce rapport ?
- C’est un rapport d’orientation. Il présente un état de l’art, à la fois, exhaustif et objectif de la matière, et vise à poser un certain nombre de questions. Nous en avons posé au moins deux auxquelles il fallait répondre.
 
- Lesquelles ?
- Le système de prise en compte de la précarité est-il, aujourd’hui, satisfaisant ? Non ! Malgré des dépenses sociales importantes, la précarité augmente. Des bénéficiaires potentiels n’ont pas accès à ces prestations. Quels sont les publics-cibles ? Nous pensons qu’il s’agit des jeunes qui ont vocation à s’insérer dans la vie professionnelle et à entreprendre, ainsi que des plus précaires dans une volonté d’éradiquer la grande pauvreté. Il s’agit, ensuite, de redonner une bouffée d’oxygène aux classes moyennes qui sont touchées par la sinistrose ambiante. Elles demandent une revalorisation des activités de nature culturelle, associative… qui ne relèvent pas du périmètre marchand, mais participent au bien-être social.
 
- Que proposez-vous concrètement ?
- De faire un premier pas ! Le rapport propose de créer une Commission ad hoc pour explorer les différentes modalités d’application en Corse de ce revenu universel. Avec, au bout du processus, la possibilité de se porter candidat pour une expérimentation, comme c’est le cas, aujourd’hui, dans de nombreux territoires européens, notamment la Finlande. En Suisse, la proposition a été rejetée par référendum, mais elle a suscité un large débat public. Nous ne pouvons pas passer à côté de ce débat et des questions qu’il pose. Ce revenu doit-il être délivré de façon universelle et inconditionnelle ? Faut-il insérer des critères de dégressivité ?
 
- C’est-à-dire ?
- On n’a pas vocation à donner la même chose à tout le monde, à des gens qui ont très peu de moyens et à des gens qui ont des revenus de plusieurs milliers d’euros. Ceux, qui ont moins ou pas de moyens, toucheraient plus que ceux qui en ont davantage et qui n’en ont pas besoin. Cette dégressivité répondrait à des objectifs de justice sociale et éviterait les effets de seuil.
Ces questions sont, aujourd’hui, dans le domaine public et scientifique. J’en veux pour preuve la tribune signée par les économistes Piketty & consorts, il y a trois jours dans le journal Le Monde.
 
- Dans votre vision, tout le monde toucherait ce revenu, même les plus riches ?
- C’est la question qui est posée aujourd’hui dans le débat. On n’a pas de solution préconçue, mais il y a, effectivement, une réalité. Certains disent que, par l’intermédiaire de l’impôt, on récupérerait les sommes allouées à ceux qui ont beaucoup. Finalement, ce dispositif ne profiterait qu’à ceux qui en ont le plus besoin. Ce sont des débats techniques que nous aurons en Commission où nous examinerons toutes ces questions.
 
- Le revenu universel, qui est au cœur de la campagne électorale, s’est attiré les foudres des économistes, de la Droite et d’une partie de la Gauche qui le jugent illusoire. N’est-ce pas une utopie ?
- Initialement, cette proposition vient des auteurs utopistes puisqu’elle était déjà formulée par Thomas More, le père de l’utopie. Mais, il peut y avoir des utopies créatrices, concrètes. L’histoire nous en donne diverses démonstrations. Victor Hugo disait : « L’utopie est la vérité de demain ! ». Ce revenu universel sera, peut-être, la vérité de demain. Je crois qu’il faut examiner véritablement l’ensemble du dispositif, la façon dont on pourra le financer, quels seraient les bénéficiaires…
 
- L’obstacle, difficilement surmontable, reste, justement, le coût élevé d’une telle mesure et son financement. Comment comptez-vous la financer ?
- De façon évidente, ce revenu doit être financé par une réforme de la fiscalité. Cela ne veut pas dire plus d’impôt, mais peut-être : mieux d’impôt ! Cela s’inscrit parfaitement dans notre réflexion globale et notre démarche d’élaboration d’un vrai statut fiscal et social pour la Corse. Nous devons, d’abord, nous extraire intellectuellement du cadre français actuel, de l’ordre établi, et inventer notre dispositif en définissant précisément un périmètre. De cette façon-là, existera la possibilité de réaffecter un certain nombre de produits d’imposition au financement de cette mesure.
 
- La Droite s’étonne qu’une telle question puisse être envisagée alors que la CTC a les poches vides ?
- La Droite réfléchit à cadre constant, dans le cadre d’une collectivité territoriale française avec des règles qui s’imposent, aujourd’hui, à nous. Notre devoir historique est d’être, aussi, une force de transformation sociale et sociétale, de penser d’autres modèles que le modèle républicain français qui est en échec. Ce n’est évidemment pas la CTC, telle qu’elle est organisée, aujourd’hui, avec les finances qui sont les siennes, qui peut porter un dispositif alternatif. Il est certain que nous devons, je le répète, repenser tout un modèle. C’est le rôle du mouvement national.
 
- L’opposition explique, aussi, que ce revenu est « un appel à la paresse » et craint un impact négatif sur le monde du travail. N’y-a-t-il pas un réel danger ?
- Cette façon de présenter les choses est assez caricaturale ! Des exemples concrets sur des petites unités de population démontrent qu’au contraire, donner un revenu de base universel rassure les citoyens et provoque un effet levier qui les encourage à entreprendre. Ce revenu revalorise des activités qui sont utiles à la société, mais qui ne relèvent ni du salariat, ni de l’entrepreneuriat, ni de l’actionnariat. Il revivifie, donc, l’économie réelle. Sur le principe et la philosophie, c’est, de toute façon, une idée qu’il est nécessaire de creuser les différentes pistes. On peut déjà dire que la richesse de ce premier débat est positive et source de promesse pour l’activité de la Commission ad hoc.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.