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Parlata Aghjaccina, cittatina e paisana : A dilla franca ancu Rughjeru Miniconi


le Lundi 10 Juillet 2017 à 22:27

« Se ajaccinu ? Se ti dicu : « à chacun son métier… » Cosa rispondi ? « Les vaches seront bien gardées ! » Allora un s’hè micca aiaccinu…» La suite on la connait. Tous les Ajacciens se doivent de la connaître. Mais lorsqu’on se rapproche du port et des pêcheurs, c’est autre chose. Seuls les anciens (il en reste encore quelques-uns) pourront vous renseigner. Roger Miniconi a sillonné les quais, les bars et les ruelles pour en savoir plus. Cela fait trente ans qu’il fait des recherches, qu’il écoute et enregistre sur ce parler ajaccien spécifique. Il en a découvert de bien bonnes



Docteur en linguistique, Roger Miniconi savait ce qu’il faisait en se plongeant littéralement dans ce parlé que sa grand-mère savait  sur le bout des doigts malgré une éducation paysanne. Mais l’ancien du Parc Naturel Régional de Corse a beaucoup de mémoire et des années durant, il a noté tous les détails qu’il relevait de par ses contacts, ses visites, son travail et ses parties de pêche. Il a tout noté, comparé, cherché des explications jusque dans certaines pièces d’archives de Gênes pour pouvoir assimiler son lexique ajaccien.
 
La mer,  les poissons, les fruits de mer
Les requins, les poissons et la pêche en Méditerranée, les fruits de mer des côtes de corses et bien d’autres encore, Roger Miniconi a écrit bien des ouvrages au cours des quinze dernières années et il demeure plus que jamais passionné par les choses de la mer, les pêcheurs, les modes de pêche et tout ce qui touche à la grande bleue. Comme il le précise dans ce dernier ouvrage, « la population ajaccienne a toujours été tournée vers la mer. Les anciens genevois de l’Ajaccio de 1492 étaient tous paysans, marins, corailleurs, élevés à l’oignon, aux haricots et aux poissons avec du pain d’orge amer »
Le parler populaire à Ajaccio, c’était quelque chose que d’aucuns qualifiaient d’étranger ou de moyenne importance. Mais c’était un parler, avec ses mots, ses images et surtout, on l’a bien compris, son humour, sa dérision, car personne n’a oublié les expressions du peuple ajaccien, ses us et coutumes, et cette réputation (de monta sega)  qui disait qu’Ajaccio est un théâtre à ciel ouvert, les habitants en sont les acteurs ! C’est Paul Lucchini qui rappelait cela dans l’un de ses ouvrages…

Le langage des pêcheurs

Roger Miniconi rectifie le tir en défenseur de ce parlé : « L’Ajaccien est un parlé né de la mémoire d’une histoire et de l’identité culturelle. L’Ajaccien est un corse des anciens, un corse moderne. Et d’Ajouter : è un anziani ghjenovese qui campa sempri qui… »


- 30 années de recherches et voilà ce que vous nous aviez promis il y a quelques années déjà ? Pourquoi citadin et paysan ?
Parce que c’est avant tout le parlé de la cité, mais on sait que cent ans après l’installation des premiers génois, il y avait déjà des gens des quatre vallées environnantes qui venaient commercer en ville. Ils ont simplement inter changé les mots, Ma grand-mère, qui était de Bastelica, connaissait très bien les mots et le parlé ajaccien.


- Est-un parler d’un autre âge ?
Pas tout à fait, mais d’une autre génération plutôt, et qui, je commence à y croire, est en train de disparaître. Les Ajacciens aimaient discuter entre eux, simplement parce que c’était un parlé convivial, très humoristique avec un sens de la caricature très important. C’était vraiment ce qui caractérisait l’Ajaccien avec I Monta Sega, qui parlaient entre eux cet ajaccien mais aussi et surtout parlaient très bien le français

- Saviez-vous qu’il existait un autre parler ajaccien, cela pour que les autres ne comprennent pas ?
C’est exact. C’était « l’aghjaccinu ritaghjolu » parce que ce parlé faisait référence à des mots de la mer, qu’il s’agisse de poisson, d’animaux divers, des embarcations ou simplement de la météorologie. En parlant ainsi, les paysans de la ville ne pouvaient pas comprendre. C’était une manière de se parler entre Ajacciens…Un sorte de patois ! On disait par exemple de quelqu’un qui fréquentait un peu trop les bars et qui, une fois imbibé, ne tenait pas debout : « Teniti o stamanaru » c'est-à-dire au comptoir, oui plutôt à la poutre maîtresse du bateau ! 


- C’est un authentique lexique avec des milliers de mots ?
J’ai compté. Il y en a 21 400 ! J’ai fait le tour de ce qui comptait le plus pour retrouver des origines. J’ai donc rencontré des gens qui m’ont fait connaitre d’autres gens et ainsi de suite. Cela a duré des années. J’ai chaque fois relevé les mots, posé des questions, recherché les origines etc. Beaucoup de mot ont disparu. Les Ajacciens ne parlent plus ou très peu et dès lors, certains mots disparaissent du langage. Il y avait cet esprit ajaccien qui aujourd’hui n’existe plus ou si peu. Avant, on parlait mais tout en essayant de se moquer un peu, sans méchanceté aucune, gentiment. Celui qui pouvait plaisanter et disposait d’un humour corrosif se plaisait à jouer les monta sega et il le faisait très bien


Roger Miniconi a longtemps hésité avant d’écrire ou plutôt à se lancer dans cette aventure. Mais il a tenu à poursuivre ce travail pour mieux restituer ce savoir qu’il a appris à connaître après trois décennies de recherches :
« J’ai voulu terminer cet ouvrage parce que ce langage appartient au peuple d’Ajaccio et j’ai voulu le leur restituer. Les jeunes en profiteront, je l’espère… »
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« Parlata Aghjaccina Cittatina et Paisana » est un ouvrage paru aux éditions A Barcella. Imprimé par Imprimerie du Sud. 600 pages. 20 euros. En vente dès aujourd’hui dans toutes les librairies