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Littoral de la Plaine orientale : Une stratégie à risques


Nicole Mari le Mercredi 2 Octobre 2013 à 21:11

Le Préfet de Haute Corse, Alain Rousseau, ne s’attendait pas à une telle polémique sur l’étude du BRGM concernant l’érosion de la Plaine orientale. La stratégie nationale de protection contre le risque littoral ne soulève, selon lui, aucune émotion sur le continent. Aussi a-t-il décidé de faire preuve de pédagogie. Tout en opposant les enjeux collectifs aux intérêts particuliers, il explique, à Corse Net Infos, que le choix entre protection ou destruction des constructions de bord de mer obéira à un calcul économique et renvoie la balle dans le camp des maires.



Philippe Livet, directeur adjoint délégué à la mer et au littoral (DDTM), Alain Rousseau, préfet de Haute-Corse, et Yann Balouin, chargé de mission du BRGM en région Méditerranée.
Philippe Livet, directeur adjoint délégué à la mer et au littoral (DDTM), Alain Rousseau, préfet de Haute-Corse, et Yann Balouin, chargé de mission du BRGM en région Méditerranée.
- Pourquoi l’Etat a-t-il commandé une étude au BRGM (Bureau de recherche géologique et minière) sur le littoral de la Plaine Orientale ?
- L’Etat a engagé une stratégie globale de meilleure connaissance du risque littoral, c’est-à-dire, à la fois, de l’érosion littorale et du risque de submersion que l’on observe sur 27% des côtes françaises. Ce qui soulève des problèmes d’aménagement puisque, sur ce littoral, existent un certain nombre d’enjeux, des maisons, des entreprises, qu’il faut protéger ou pour lesquelles il faut envisager des stratégies de recul. Pour appliquer, en Corse, cette stratégie nationale, nous avons effectué une 1ère étude sur la Plaine Orientale qui, du fait que c’est une côte à sable, est la plus exposée aux risques d’érosion et de submersion.
 
- L’étude du BRGM suscite beaucoup d’émotion et d’inquiétudes, notamment chez les acteurs touristiques. Que leur répondez-vous ?
- D’abord, je réponds en les recevant et en leur expliquant le sens de cette étude. Je l’ai fait avec les élus qui ont en charge l’aménagement de l’espace, y compris du littoral. Cette étude n’a pas un objectif d’exhaustivité. Il ne s’agit pas, à ce stade, de connaître dans le détail l’ensemble des mécanismes qui conduisent à une érosion littorale, mais de poser un certain nombre de diagnostic qui permettent de travailler, en 1er chef, avec les collectivités publiques.
 
- Que tirez-vous de cette étude ?
- Cette étude dit que sur 100 kilomètres de côtes, environ un tiers est en recul, parfois en très fort recul. Nous avons pu l’observer grâce à l’analyse de photos aériennes prises, il y a 50 ans, et le constat fait aujourd’hui, parfois jusqu’à 60 mètres. Un tiers de la côte est à peu près stable et un tiers est dans une phase d’agression, c’est-à-dire d’élargissement. La préoccupation porte sur les secteurs en recul. Le 5ème rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), qui vient de sortir, rappelle que nous sommes dans un processus de durcissement des phénomènes climatiques et de montée du niveau des eaux qui devrait renforcer ce phénomène érosif. En termes de responsabilité et de protection des biens et des personnes, l’Etat doit, avec les collectivités, se préoccuper de définir une stratégie face à ce phénomène qui se rencontre sur toutes les côtes du monde.
 
- Qu’en est-il s’agissant de la Corse et de la plaine orientale ?
- Sans doute, les phénomènes sont moins compliqués à traiter parce que la côte est bien moins urbanisée que d’autres côtes françaises où les enjeux sont considérables avec, parfois, des villes entières ou des gros villages menacés par l’érosion. Ce type de situation n’existe pas en Corse. En revanche, quelques points dotés d’aménagements, souvent des équipements touristiques, parfois des maisons, se trouvent, potentiellement, en difficulté. Il faut les traiter.
 
- Trouvez-vous qu’en plaine orientale, il n’y a pas d’enjeu?
- Je ne dis pas cela du tout ! Je dis que les enjeux sont moins importants. Il y a quelques enjeux économiques, essentiellement touristiques, et un certain nombre d’enjeux immobiliers. Quelques maisons, quelques hameaux sont construits dans des secteurs très proches du littoral et font, potentiellement, l’objet d’un risque. D’autres sont directement soumis à un risque d’érosion. Ces quelques situations un peu d’urgence doivent être traitées.
 
- L’étude parle d’un recul stratégique sur certaines zones. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour les gens qui y vivent ?
- C’est une des options possibles, qui a été expérimentée dans d’autres secteurs côtiers en France. Elle repose sur une évaluation des enjeux. Qui vit à cet endroit ? Quels sont les biens existants : maisons, entreprises ? On fait un calcul économique. Combien coûterait la protection de ces enjeux ? Quelle est leur valeur ? Puis, on compare. On ne va pas dépenser des sommes considérables si l’enjeu est relativement mineur. Dans ce cas, on va plutôt choisir le recul stratégique qui consiste à évacuer la zone et à reconstruire l’équipement plus en retrait. Chaque cas est différent. Il faut l’étudier en faisant ce rapport coût-avantage.
 
- Qui paiera cette relocalisation ? L’Etat ou l’hôtelier à qui vous demandez de détruire son camp de vacances et de le reconstruire, ailleurs, à ses frais ?
- C’est une question difficile. Je m’en suis expliqué avec certains responsables de l’hôtellerie. Des situations sont, effectivement, compliquées à gérer. La loi considère qu’il appartient aux particuliers-propriétaires de se protéger contre les assauts de la mer. Ce n’est pas à la collectivité de financer la protection d’une personne qui se place en milieu dangereux. Se mettre en bord de mer est potentiellement dangereux ! Mais, la loi considère, aussi, que s’il y a un enjeu collectif d’intérêt général, qui dépasse quelques intérêts particuliers, les collectivités publiques peuvent s’emparer du problème dans une démarche collective. Les communes peuvent monter des projets avec l’appui de crédits d’Etat et de crédits européens pour mettre en place des protections ou ce recul stratégique, si ce choix est fait. Ce financement public peut s’accompagner de financements privés.
 
- La Plaine orientale, c’est 30 % des nuitées insulaires et des milliers d’emplois liés au tourisme. N’est-ce pas un enjeu collectif local important ?
- Bien sûr ! Particulièrement pour les gens qui sont touchés ! Il ne faut surtout pas penser que cette démarche de meilleure gestion du trait de côte, d’aménagement de la côte pour éviter des risques à-venir et gérer ceux qui existent aujourd’hui, a pour objet de réduire le tourisme ou de détruire le développement touristique. Pas du tout ! Si l’idée est de protéger le littoral, nous savons bien le poids essentiel que joue, dans l’économie du territoire, le tourisme, particulièrement sur cette côte qui est très favorable au développement balnéaire. Il faut concilier les deux. Le propre d’une politique publique est de concilier des choses qui peuvent paraître, à priori, opposées. Aujourd’hui, on ne construira pas, ou dans des conditions très restrictives, tout au bord de la mer parce qu’on sait que c’est dangereux. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’aménagements touristiques. Seulement, il faudra les implanter légèrement en recul. Nous en avons sereinement discuté avec les élus et les responsables de l’hôtellerie. Tout le monde est d’accord.
 
- Deux ouvrages de l’Etat, la digue de la CNPO, qui aurait du être détruite, et le port de Taverna, mal construit, sont aussi responsables de l’érosion côtière. Que pensez-vous faire à leur sujet ?
- Le phénomène d’érosion a, à la fois, des causes naturelles, notamment le réchauffement et le durcissement climatique, l’élévation du niveau de la mer et des tempêtes plus fortes, mais aussi des causes anthropiques, humaines, notamment des constructions. Il est vrai qu’un certain nombre d’ouvrages qui ont été réalisés par l’Etat, par les collectivités ou par des particuliers, ont pu avoir un impact négatif en aval. Toute construction en bord de mer a un impact. Il est, donc, nécessaire de bien le mesurer.
 
- C’est-à-dire ?
- Souvent, ces aménagements ont stoppé ou freiné la dérive littorale, le mouvement naturel du sable et ont provoqué, à certains endroits, un engraissement des plages et, plus en aval, une réduction. Il faudra, dans les mesures à prendre, le cas échéant, s’interroger sur la pertinence de tel ou tel aménagement, sur sa modification, sur le fait de le rendre transparent afin qu’il ne gène plus la dérive littorale.
 
- La construction du port de la Carbonite ne risque-t-elle pas d’aggraver l’érosion ?
- On doit mesurer l’impact de ce grand équipement. Une condition de sa réalisation est qu’il n’aura pas d’impact négatif. Il n’y a pas de raison qu’il en ait, en raison de la masse de sable qui circulera. Dans la dérive littorale, le sable monte du Sud vers le Nord, le ré-engraissement des plages se fait dans ce sens. Le port de la Carbonite se trouvant dans la partie la plus en aval de la côte ne doit logiquement pas avoir d’impact sur l’amont. En revanche, il peut générer un engraissement dans la zone de Biguglia. Tout cela sera établi de manière très précise dans les études préalables qui seront conduites.
 
- Il y a un risque de submersion des côtes corses. Cela signifie-t-il qu’il y a un risque pour la sécurité de la population ?
- L’appellation « risque littoral » combine deux risques différents : le risque d’érosion, lent et progressif, et le risque de submersion correspondant à des moments de forte marée avec des surcotes et des tempêtes. Celles-ci vont éroder, mais surtout envahir les espaces les plus bas de la plaine littorale. Ce risque existe en Corse. Une étude sera conduite pour le mesurer. Ses résultats définiront les zones susceptibles d’être envahies en cas de très forte tempête, notamment décennale. Aujourd’hui, le risque naturel est pris en compte sur une base décennale, c’est-à-dire sur la possibilité qu’il se produise une fois tous les 100 ans.
 
- Ces zones seront-elles gelées ?
- La plupart des documents d’urbanisme prennent déjà en compte le risque submersion. L’étude nous permettra de trouver des degrés d’ajustement. Il serait irresponsable de construire des enjeux et des bâtiments sur une côte en phase d’érosion ou submersible. On ne le fait pas sur des zones inondables. C’est la même problématique.
 
- Vous dites que l’Etat va préconiser, pas décider. Renvoyez-vous la balle dans le camp des maires ?
- L’Etat est là pour fournir un cadre général d’analyse, de diagnostic et d’outils de gestion. Il est aussi là pour proposer une boite à outils à partir des expériences qui ont été réalisées en France, mais aussi dans le monde entier où ces problèmes d’érosion marine se posent. L’objectif est que les maires, le cas échéant regroupés pour constituer des syndicats de gestion du trait de côte, puissent trouver la meilleure solution et monter, en lien avec l’Etat, des projets de financement pour des aménagements qu’ils justifieraient. Ces aménagements se faisant, en général, sur le domaine public maritime ont besoin d’autorisation de l’Etat.
 
- Combien de temps prendra le traitement de ce dossier et qu’allez-vous faire dans l’immédiat ?
- D’expérience, il faudra du temps, peut-être une décennie, pour traiter toutes ces questions. Il faut des études et une chronologie. Nous allons commencer à travailler avec les élus pour voir comment, à partir des zones définies comme les plus à risque, on s’organise et quelles réponses on peut apporter. A partir de là, on montera des dossiers.
 
Propos recueillis par Nicole MARI

Littoral de la Plaine orientale : Une stratégie à risques
Exemple de préconisation de gestion sur la zone Lupino-Golo

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