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Libération de la Corse : La Résistance en chansons


Damien Bianchi le Mardi 3 Septembre 2013 à 15:43

Certaines chansons ont de l’avenir. Elles deviennent, non pas des spectres, mais des ancêtres doués de paroles et capables quelques fois d’écouter les vivants. Celles de la résistance corse sont comme les stèles érigées aux mémoires. Certaines sont même devenues des monuments de notre culture. Qu’elles soient écrites en corse ou en français, par les acteurs eux-mêmes ou des artistes en hommage, qu’elles soient des reprises ou des créations, toutes ces chansons sont le souvenir éveillé des résistants. Elles nous rappellent combien nous pouvons les aimer.



Libération de la Corse : La Résistance en chansons

"Le chant des maquisards" écrit par Simon Vinciguerra

Simon Vinciguerra laissera de nombreux textes et poèmes en langue corse
Simon Vinciguerra laissera de nombreux textes et poèmes en langue corse
 
Simon Vinciguerra, résistant et écrivain en langue corse, offrira surement aux résistants insulaires leur antienne pour l’histoire avec « le chant des maquisards ». Ce texte de combat écrit en 1943 est destiné à susciter de nouvelles adhésions et à donner du courage à ceux qui se battent. Pour cela, rien de mieux que faire référence à l'identité corse. A cette époqe où patriotisme français se confond avec patriotisme corse, l'identité insulare occupe une place centrale. L'auteur mobilise d'une part le rejet historique de l’italien " U nemicu ha vercatu lu mare "  et d'autre part, des élements de l’imaginaire corse :   Sampieru Corsu revient lui-même sonner le Culombu, la conque marine de la révolte, les figures romantiques du maquis ou du bandit d’honneur " Machja corsa, banditi d’onore "… A l’appel de la grande et de la petite patrie s'ajoute aussi l’aspiration à l’universel, position naturelle pour un communiste en lutte contre le totalitarisme : " E sperenze di l’umanità (…) per un mondu di fraternità ".
Il existe peu de versions chantées de ce texte historique. On en retrouve notamment une au début du documentaire de Maurice Choury, protagoniste principal de la résistance corse, « Tous bandits d’honneurs ».

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" A Sampiera" écrit par Jean Nicoli et Tony Ogliastroni durant l’occupation fascis

A Sampiera 1943 (Source ANACR)
A Sampiera 1943 (Source ANACR)

L’année où il mourait décapité par les chemises noires italiennes le 30 Aout 1943 à Bastia, Jean Nicoli composait avec Tony Ogliastroni  " A Sampiera ". Comme dans « le chant des maquisards », qui seront les deux chansons phares du « Front National », les mêmes éléments identitaires apparaissent. La figure historique de Sampieru Corsu représentant la réconciliation avec la France est préférée à celle de Pasquale Paoli marquée du sceau du séparatisme.  Car c’est bien pour la France et contre le fascisme qu’il faut lutter : Ritti corsi ! Corsi ritti Siamo Corsi è francesi ! ( … ) Sott’à la nostra bandiera  E sott’à li trè culori. Dans ce jeu complexe d’appartenances, les identités multiples ne semblent être des freins inconciliables mais autant de moteurs pour l’action.


"Le chant des partisans" Antoine Ciosi

Le manuscrit original classé monument historique
Le manuscrit original classé monument historique
 
Combien de résistants au fond de leurs cellules ont trouvé le courage de tenir en entendant la voix d’Anna Marly sur la BBC entonner le chant qu’elle avait écrit en 1942. Française d'origine russe, elle rencontre l’écrivain Joseph Kessel à Londres ou elle avait rejoint le corps des volontaires de la France libre. Avec son neveu Maurice Druon, ils en donneront la version française en 1943. En 1989, Antoine Ciosi travaille à un spectacle consacré aux chants de la liberté en partenariat avec les éditions Ricordu. C’est naturellement qu’il aura l’idée de célébrer cet hymne de la résistance en interprétant une magnifique version en langue corse. Un album sera ensuite enregistré sous le nom « Canti di Liberta » avec plusieurs artistes et auteurs insulaires.


"Quellu affissu zifratu"

L'affiche rouge du groupe Manouchian
L'affiche rouge du groupe Manouchian
 
C’est sur ce même opus, Canti di Libertà, que Jackie Micaelli interprète "Quellu affissu zifratu" adaptation de la chanson de Lèo Férré : l’affiche rouge. Le texte original est un poème de Louis Aragon " Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes ". Il a été traduit par Jacques Fusina, qui sera également l’auteur du Lamentu à Nicoli.
 
" Tenimu à mente i fatti è tenimuli cari
Quelli morti di l’ombra è di a libertà
Quelli figlioli astuti eroi à parità
Di l’affissu zifratu à rossi calamari
Chì scrissenu la storia, quella chì venerà.
"
 
Cette affiche placardée 21 février 1944, à des milliers d’exemplaires sur les murs de Paris faisait partie d’une campagne du gouvernement de Vichy et de l’occupant nazi visant à assimiler ces résistants à des terroristes étrangers d’origine juive. Les 23 membres de ce groupe de résistants de nationalistés différentes qui s’étaient engagés volontairement seront longuement torturés avant d'être fusillés au Mont Valérien le 21 février 1944. Quelques heures avant de mourir, leur chef, Missak Manouchian, écrivait à sa femme  : « J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. »
 


"U Lamentu è a Lettera à Nicoli"

 
Le plus mythique des résistants corses Jean Nicoli devait bien recevoir les hommages de ses compatriotes. Jacques Fusina s’inspire des dernières heures de sa mort et de la manière barbare dont il fut assassiné pour écrire cette poésie poignante à la manière d’un voceru. L’interprétation et la voix de Jackie Micaelli renforce toute la puissance et la dramaturgie des derniers instants du sacrifice de ce grand résistant : « Si vous saviez quel courage donne notre idée au moment de mourir. Si vous saviez le bonheur qui descend sur vous en pensant que vous mourez pour eux, les spoliés de la terre. »

" 0 cum'è tù cunniscie
Le bellezze di lu core
Prima di piglià le vie
Chi ti purtonu da more
Quandu chi le negre spie
Lentonu lu so furore"

Canta u populu corsu sous la plume de Jean-Paul Poletti rendra aussi hommage à Jean Nicoli l’une des personnalités les plus attachantes de la Corse résistante avec "lettera à Nicoli" sur laquelle Dumè Gallet mettra sa voix cristalline.


"Si tu passes par là "

Libération de la Corse : La Résistance en chansons
 
Dominique Vincetti a 20 ans lorsqu’il s’engage dans la lutte contre le fascisme bien avant que 80 000 soldats italiens ne débarquent en Corse. Il rejoint les milliers de brigadistes engagés volontaires venus de l’Europe entière pour défendre la jeune république espagnole.
Revenu en Corse,  il organise à Saleccia la récupération de 35 tonnes d’armes livrées par le sous-marin Casabianca, mobilisant plus de 200 hommes, en Juillet et Aout 43,. Alors que l’opération était pratiquement terminée, Dominique Vincetti est à Casta avec Charles Galletti lorsqu’ils voient arriver 3 camions de carabinieri. Jean Simi raconte la suite en ces termes : « Ils ouvrirent le feu. Les munitions épuisées, ils essayèrent de forcer le barrage. Vincetti tombait, Galletti par miracle passait. Chemises noires et carabiniers s'abattaient sur Casta par centaines. Maisons défoncées, pillées, incendiées. Vingt-trois hommes étaient arrêtés, tous les autres prenaient le maquis. Pourchassés par des bataillons entiers, ils vécurent des heures terribles.»
 
Il y a dans l'air vibrant un souffle de promesses
Dans les échos du vent, tu l'entendras peut-être,
C'est là qu'il est tombé: Dumenicu Vincetti
Mortu pè a libertà, Dumenicu Vincetti.
 
C’est par ces mots que Marie Casonova, sa nièce, lui rendra hommage dans une poésie mise en musique quelques années plus tard.


"Tù Dumenicu" de Jean Paul Poletti

 
Nom de code : Fouine. Surnom au maquis : Ribellu . Dominique Lucchini sera un grand résistant. A 24 ans il s’engage et adhère au parti communiste. À la mort de son ami Jules Mondoloni, il prend la direction militaire du Taravu.  Son haut fait d’arme : Fait prisonnier par les italiens alors qu’il se rend dans une cache d’armes, Dominique Lucchini fait feu sur les 3 soldats qui le fouillent. Il en tue deux et assomme le dernier d’un coup de tête avant de s’enfuir.
Maire de Zerubia pendant de nombreuses années, il sera élu à la première assemblée de Corse en 1982 sur la liste UPC d’Edmond Simeoni. Charles De Gaulle dira de lui qu’il fut " la terreur des troupes italiennes auxquelles il infligera de lourdes pertes et qu’il ridiculisera en maintes occasions " et "  sans doute le plus héroïque et le plus glorieux des patriotes corses de 1943 ". Jean-Paul Poletti lui consacrera cette magnifique chanson " Tù Dumenicu " sur l’album de Canta u populu corsu "  Sintineddi " (1995).  
Jean-Paul Poletti rendit également honneur à un autre résistant corse avec le titre « Charlot Bonafedi ». Déporté à l’âge de 17 ans dans le camp de Wolfsberg, Charles Bonafedi s’en évadera en 1945 avant de rejoindre les patriotes de Tito en Yougoslavie où il mourra au combat.


"Liberata" d'A Filetta (2006)

Pierre Griffi
Pierre Griffi
 
Cette chanson est le générique du téléfilm éponyme de Philippe Carrèse (2005) tourné en Balagne. Deux résistants corses revenus au village se lient d’amitié avec des soldats italiens pour leur soutirer des informations. Le texte de la chanson fut écrit à la mémoire de Pierre Griffi, jeune radio débarqué d'Alger à Piana par le sous-marin Casabianca, lors de la mission Pearl Harbour. Son rôle était de transmettre des messages au commandement des forces françaises libres à Alger. Il arrivera ainsi à transmettre 286 messages d'information. Il sera arrêté par l’OVRA (la gestapo italienne) en Juin 1943 suite à une dénonciation. Torturé puis fusillé à Bastia en 1943 par les chemises noires, il ne livrera aucune information à l'ennemi.