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« La réforme fiscale ne nécessite pas une révision de la Constitution »


Nicole Mari le Vendredi 19 Décembre 2014 à 23:55

Conseiller territorial, président du groupe Corse Social Démocrate et président de la Commission des finances de la CTC, Antoine Orsini a élaboré la réforme fiscale votée, vendredi, par l’Assemblée de Corse (CTC) en corollaire avec la réforme institutionnelle adoptée la semaine dernière et proposée conjointement à Paris. Il en explique, à Corse Net Infos, le contenu, les mesures phares basées sur la dynamisation des fiscalités existantes et la création de taxes nouvelles, ainsi que les enjeux. Il affirme que ce pack fiscal peut être adopté par une simple loi de finances.



Antoine Orsini, président du groupe Corse Social Démocrate, président de la Commission des finances de l'Assemblée de Corse, rapporteur du projet de réforme fiscale.
Antoine Orsini, président du groupe Corse Social Démocrate, président de la Commission des finances de l'Assemblée de Corse, rapporteur du projet de réforme fiscale.
- Quelle est votre réaction à l’adoption de la réforme fiscale que vous avez élaborée ?
- Je me réjouis que se soient dégagées de larges majorités sur chacun des dispositifs fiscaux qui constituent ce pack fiscal territorial pour la Corse. Son élaboration a exigé beaucoup de travail, notamment en commission. A la demande de Paul Giacobbi, président de l’Exécutif, j’ai été chargé, en tant que président de la Commission des finances de la CTC, d’élaborer un rapport de propositions fiscales pour la Corse. Ces propositions s’ajoutent, de manière complémentaire et corollaire, à la proposition de réforme institutionnelle. Nous ne pouvons pas avoir une nouvelle organisation territoriale et une nouvelle répartition des compétences sans penser aux ressources, aux moyens d’assumer ces compétences.
 
- Est-ce un nouveau pas en avant franchi par la CTC ?
- Oui ! Globalement, le projet concilie, à la fois, la protection, le renforcement ou même, dans certains cas, la sauvegarde de dispositions fiscales existantes comme la fiscalité sur les tabacs et les droits de succession. Il définit, également, la création de fiscalités nouvelles comme celle sur les résidences secondaires louées à des tiers à usage locatif touristique, ainsi qu’une taxe de développement durable qui exonère les résidents corses et s’applique à tous les visiteurs arrivant dans l’île par voie aérienne ou maritime. Cette taxe contribuera à la création d’un fonds de développement durable qui alimentera les politiques d’aménagement touristique et celles de protection de l’environnement. La taxe de mouillage, qui était proposée, évolue vers un droit d’accès aux aires marines protégées de Corse telles que définies dans le PADDUC.
 
- Que proposez-vous pour la fiscalité sur les tabacs ?
- La fiscalité sur les tabacs revient pour les ¾ à la CTC et ¼ aux deux départements. La Corse bénéficie d’une réfaction fiscale du taux d’assise qui lui donne un avantage comparatif par rapport au continent. Ce taux explique que les cigarettes sont moins chers dans l’île et que, toutes proportions gardées, on en vend plus que sur le continent. Cette dérogation tombe, depuis une directive européenne de 2010, sous le coup d’un processus d’alignement sur la fiscalité du continent. Nous demandons à Bercy de négocier avec Bruxelles pour la proroger.
 
- Quand est prévu le retour dans le droit commun ?
- Il se fait par paliers. Un 1er palier a déjà été franchi en 2013. Un 2ème palier est prévu au 1er janvier 2015. L’alignement total serait pour 2016. Les délais sont, donc, assez courts. Nous avons déjà demandé une prorogation de l’état actuel des choses jusqu’à 2020. Sans obtenir de réponse positive ! Nous réitérons cette demande d’autant qu’en 2015 s’ouvrira, à Bruxelles, une négociation sur la directive concernée à la demande de certains pays frontaliers. Nous voudrions que le cas de la Corse soit réexaminé à cette occasion.
 
- L’autre fiscalité existante concerne les droits de succession. Qu’en est-il du retour dans le droit commun ?
- Par ce retour, cette fiscalité s’appliquerait à l’ensemble des Corses et bénéficierait en totalité à l’Etat. Nos demandes de prorogation ont échoué, se heurtant à deux sanctions du Conseil Constitutionnel. Nous réfléchissons à une nouvelle demande de transfert de la compétence à la CTC afin de pouvoir moduler ces droits en tenant compte du désordre sur le foncier propre à la Corse. Nous avons également opté pour une autre solution transitoire qui serait juridiquement plus acceptable, à la fois, par le gouvernement et le Conseil Constitutionnel. En attendant le transfert plus lointain de la compétence fiscale qui ne sera possible qu’au travers d’une modification de la Constitution.
 
- Que proposez-vous ?
- Je propose, dans le cadre de l’expérimentation législative, de définir une taxe additionnelle aux droits de succession. La loi en fixerait le cadre, le taux, l’assiette… La CTC serait bénéficiaire des recettes fiscales qui en seraient issues sachant qu’elle pourrait moduler cette taxe dans le temps. Elle mettrait en place la taxe additionnelle, qui serait basse au départ, près de 10%, et augmenterait progressivement à mesure de la remise en ordre juridique du foncier. Elle nous permettrait de demander, alors, à l’Etat, de renoncer à l’impôt sur les successions qu’il doit percevoir avec le retour au droit commun. Ce serait un substitutif provisoire au transfert de la compétence fiscale et permettrait d’exonérer et de préserver les patrimoines modestes et moyens. Seuls, les gros patrimoines seraient, dans un premier temps, mis à contribution.
 
- Cette solution est-elle légale ?
- Il semblerait ! Elle faisait partie des propositions avancées par l’expertise du professeur Castagnede que nous n’avons pas encore considérée. Elle peut, si le gouvernement accepte, être réalisable facilement et immédiatement dans le cadre de l’expérimentation législative à constitution constante puisqu’elle n’abroge pas les droits nationaux. L’Etat maintient, ainsi, les droits de succession pour la Corse, mais peut décider, par la loi de finances, de les diminuer à leur plus simple expression. Aujourd’hui, c’est la seule solution qui nous reste à court et moyen terme. Nous avons tout essayé et tout a été retoqué par le Conseil Constitutionnel. C’est notre dernière chance avant une hypothétique révision de la Constitution.
 
- Autre fiscalité existante, les droits de navigation n’ont pas fait consensus. De quoi s’agit-il ?
- Des droits de francisation et de navigation des navires de plaisance dans les ports corses qui sont, déjà, perçus par la CTC. J’ai proposé de moduler ce taux, aujourd’hui fixé à 70% par la CTC, à 90% du taux national afin de rester toujours avantageux par rapport aux ports continentaux avec des abattements de 20% pour des navires stationnant entre 3 et 120 jours dans un port corse et de 40% si la durée de stationnement est supérieure à 120 jours. Cela nous assurerait un gain d’environ 1 million € par an. L’incidence serait faible sur les taxations des plaisanciers insulaires puisque les bateaux de moins de 7 mètres en sont exonérés. Cette proposition nécessite un simple vote de la CTC.
 
- A quels objectifs répondent ces fiscalités nouvelles ?
- A deux objectifs : accroître les recettes fiscales, donc, budgétaires de la CTC tout en utilisant la fiscalité comme outil de régulation d’un certain nombre de politiques publiques sur trois domaines : le foncier, le tourisme et l’environnement. Dans le foncier, j’ai proposé la mise en place d’une taxe forfaitaire régionale sur les résidences secondaires louées à des tiers, c’est-à-dire à usage lucratif et commercial dans une location touristique ou saisonnière. Elle ne concernerait pas les résidences secondaires patrimoniales, le plus souvent propriétés de Corses qui habitent en zone urbaine ou sur le continent et les utilisent pour des raisons familiales ou personnelles. Ces locations saisonnières font une concurrence effrénée aux professionnels du tourisme qui s’en plaignent.
 
- La grande majorité de ces locations ne sont pas déclarées. Comment allez-vous les identifier ?
- Il y a, effectivement, tout un travail d’identification à faire avec les services fiscaux et les services de tourisme. Ce sera un travail de très longue haleine, mais salutaire. Précisons, cependant, que toutes les résidences bâties sont, déjà, classées en résidence principale ou secondaire. Une autre proposition était de mettre en place une taxe de séjour régionale, mais l’agence de tourisme de la Corse n’y est pas favorable parce qu’elle taxerait encore plus le secteur touristique.
 
- Un dispositif nouveau sur la TVA fait polémique. De quoi s’agit-il ?
- C’est une disposition très importante pour les finances de la CTC. Elle concerne la dotation globale de décentralisation (DGD) et la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui sont en baisse inexorable comme toutes les dotations de l’Etat. L’idée est de substituer ces dotations par une part de recettes de TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) perçues en Corse par l’Etat. Cette recette en lien direct avec une compétence de la CTC, qui est le développement économique, évolue, depuis ces 12 dernières années, toujours positivement même en situation économique dégradée. Ce transfert donnera une dynamique à nos recettes afin de contrecarrer la baisse des dotations de l’Etat.
 
- Pensez-vous que le gouvernement acceptera ?
- Il nous faudra persuader le gouvernement de son opportunité pour la Corse. Si cette demande venait à être agréée par le gouvernement, ce serait un point positif pour la soutenabilité de nos ressources financières et budgétaires et une avancée pour la Corse. D’autant que nous avons respecté le fil rouge que nous nous sommes assignés, celui de ne pas accroître la pression fiscale sur les résidents corses, notamment les plus défavorisés.
 
- Certains des 38 amendements déposés n’ont-ils pas changé la teneur de la réforme ?
- Non ! Sur les 38 amendements, une bonne moitié a été retirée ou est tombée. Nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre de choses. Des précisions ont été apportées. Elles ont enrichi le texte, il n’y avait donc aucune raison de les rejeter. Aucune proposition n’a modifié fondamentalement ce texte. En revanche, un amendement du groupe Femu a Corsica a permis de créer un nouveau dispositif récemment adopté par le Parlement concernant la sur-taxation de la taxe d’habitation. Celle-ci, aujourd’hui, en Corse, ne concerne que les villes d’Ajaccio et de Bastia. Notre demande est de l’étendre aux communes insulaires de plus de 3500 habitants et ayant un taux de résidences secondaires supérieur à 50%. Bien évidemment, les communes seront maitres de leur décision et pourront décider par délibération de leur Conseil municipal.
 
- Pourquoi le vote s’est-il effectué article par article et non sur le rapport global ?
- Ce rapport est un pack fiscal qui regroupe un ensemble de dispositifs fiscaux de nature très diverse. Certains groupes de la CTC, notamment le groupe de droite « Rassembler pour la Corse », ont demandé un vote par article, ce qui leur a permis de voter en faveur d’une grande majorité des 18 articles proposés. Nous avons accepté parce que nous pouvons très bien concevoir que certains dispositifs fiscaux ne conviennent pas à tout le monde. Il a été ainsi donné la possibilité aux uns et aux autres de s’exprimer et de voter librement sur chaque article séparément. De manière générale, l’ensemble des dispositifs fiscaux a recueilli une large majorité et tous ont été adoptés.
 
- Ce pack adopté, que va-t-il se passer maintenant ?
- Le président du Conseil exécutif a souhaité que cette réforme fiscale soit le pendant de ressources de la réforme institutionnelle adoptée la semaine dernière. Les deux vont être jointes et envoyées conjointement au représentant de l’Etat, au Préfet et au 1er ministre, afin que des discussions s’engagent avec le gouvernement sur l’ensemble de ces deux réformes qui sont pleinement complémentaires.
 
- Si la réforme institutionnelle n’aboutit pas, que devient la réforme fiscale ?
- Même si elles sont complémentaires, la réforme fiscale n’est pas dépendante de l’issue de la réforme institutionnelle. La question de nos ressources et de leur évolution demeure, même à institution ou à organisation institutionnelle constante. Il serait souhaitable que les deux puisse évoluer favorablement dans le même temps. Mais dans l’hypothèse où la réforme institutionnelle n’avance pas dans l’immédiat, la réforme fiscale peut avancer en toute indépendance. Toutes les propositions fiscales, que nous avons faites, peuvent être adoptées dans la loi de finances, aucune d’entre-elles ne nécessite une révision de la Constitution.
 
- Avez-vous bon espoir que cette réforme fiscale soit agréée par le gouvernement ?
- En clôturant hier, en séance publique, ma présentation du rapport sur l’action fiscale, j’ai dit que les discussions seraient longues et difficiles. J’ai cité Jean Jaurès : « L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invisible espoir ». Nous savons que la tâche sera longue et difficile, mais j’ai espoir que le gouvernement accède à tout ou partie de nos propositions.
 
Propos recueillis par Nicole MARI