Corse Net Infos - Pure player corse

Gilles Simeoni à Bernard Cazeneuve : "Refuser d’ouvrir un dialogue vrai avec la Corse, c’est commettre un déni de démocratie"


le Jeudi 12 Juin 2014 à 21:38

Statut de résident et coofficialité de la langue corse balayé d'un revers de la main : Bernard Cazeneuve n'a pas fait dans la demi-mesure. En tout cas ses prises de position tranchées sur les deux sujets qui font débat n'ont pas manqué d'interpeller tous les acteurs et les observateurs de la vie politique insulaire. A l'heure de l'accueil républicain qui était prévu en fin de journée à la mairie de Bastia, Gilles Simeoni n'a pas manqué d'évoquer ces problèmes et tous ceux qui interpellent nombre de Corses actuellement… Lisez son intervention.



Gilles Simeoni à Bernard Cazeneuve : "Refuser d’ouvrir un dialogue vrai avec la Corse, c’est commettre un déni de démocratie"

"Qu’il me soit permis, au nom de la municipalité, de vous souhaiter la bienvenue dans cette mairie, « a  casa cumuna », la « maison commune » en langue corse. 


Nous avons bien compris que la brièveté de votre séjour et les contraintes de votre emploi du temps, sans même aller imaginer d’autres explications, ne vous permettaient pas autre chose qu’une visite de courtoisie dans nos murs. 

Le moment se prête donc malheureusement peu à aller au-delà des simples civilités d’usage. 

Pourtant, je ne peux, en conscience, vous laisser repartir sans vous avoir fait part, au moins en quelques mots, de la grande inquiétude que suscite, chez beaucoup de Corses, l’attitude actuelle du Gouvernement et de l’Etat. 

La Corse et son peuple aspirent très majoritairement à la paix, à l’émancipation, et à la démocratie. 

La ville de Bastia, où je vous accueille aujourd’hui en tant que maire, est un exemple et un symbole de cette dynamique puissante, et désormais irréversible. 


Au-delà de notre cité, et cette fois-ci à l’échelon territorial, l’Assemblée de Corse a, dans la diversité des forces politiques qui la composent, travaillé dans un esprit d’ouverture, de dialogue, et de respect réciproque entre forces politiques différentes, et hier opposées. 

Parallèlement, la société civile s’est largement emparée de débats importants, comme celui relatif à la question fiscale, au statut de la langue corse, aux objectifs et au contenu du Padduc. 


Cette nouvelle donne d’ensemble a permis à l’Assemblée de Corse de proposer des mesures politiques fortes, de nature à répondre à des enjeux identifiés comme vitaux pour l’île, son économie, son développement, et son identité . 

Ces propositions s’organisent autour de quatre thèmes principaux : arrêtés Miot et transfert de la compétence fiscale, statut de co-officialité de la langue corse, question foncière et statut de résident, nécessité d’une révision constitutionnelle pour consacrer la spécificité de la Corse. 

Dans tous ces domaines, des votes de notre Assemblée, Assemblée élue au suffrage universel, dépositaire et garante des intérêts matériels et moraux du peuple corse, sont intervenus, à de très larges majorités, et même à l’unanimité. 


L’évidence démocratique commande à l’Etat et au Gouvernement de prendre en compte l’existence de ces délibérations. 

Pas plus tard que vendredi dernier, le 6 juin, l’Assemblée de Corse a, une nouvelle fois, adopté une motion demandant l’ouverture d’un véritable dialogue avec Paris, avec un calendrier précis et resserré, autour des propositions votées par l’Assemblée de Corse. 

Ce dialogue vrai nous est refusé, et votre visite d’aujourd’hui vient hélas de le confirmer avec éclat. 

Votre discours d’aujourd’hui est en effet analysé, par tous les observateurs lucides et impartiaux, comme une fin de non-recevoir et le refus de toute discussion sérieuse autour des propositions fondamentales votées par l’Assemblée de Corse. 

Cette attitude ne pourra que conduire à l’ouverture d’une crise politique profonde, car elle remet en cause l’essence même du débat démocratique, auquel nous sommes les uns et les autres viscéralement et irréversiblement attachés. 


J’appartiens à un courant politique qui a fait, vous le savez, le choix clair et déterminé de l’action exclusivement démocratique et est donc en désaccord total avec la violence clandestine. 

Mais la démocratie n’est pas à géométrie variable et ne saurait se diviser. 

Refuser d’ouvrir aujourd’hui un dialogue vrai avec la Corse autour des délibérations votées par sa représentation élue, c’est en effet commettre un déni de démocratie, et donc affaiblir et délégitimer celle-ci. 


Je ne peux pas imaginer que votre Gouvernement puisse persister dans cette attitude. 

J’ai lu dans des articles de presse que votre engagement politique, Monsieur le Ministre, avait été déterminé par votre présence, alors que vous étiez très jeune, à un meeting de François Mitterrand. 

Je vous demande de ne pas oublier qu’il parlait déjà, voici plus de trente ans, de l’existence du « peuple corse », et demandait aux Corses d’être eux-mêmes. 

Aujourd’hui et plus que jamais, nous voulons être nous-mêmes. 

Au moment où vous vous apprêtez à repartir pour Paris, je vous demande donc de ne pas oublier que la perspective d’émancipation et d’apaisement que les Corses, dans la diversité de leurs opinions, veulent pour cette île, est aujourd’hui à portée de main. 

A l’Etat de dire si, oui ou non, il veut se comporter en partenaire loyal pour la construire avec nous."