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Gilles Simeoni : « Nous avons la volonté politique, résolue et déterminée, de construire un projet méditerranéen »


Nicole Mari le Mardi 22 Novembre 2016 à 16:30

Le 21 avril, à Palma de Majorque, le président du Conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Corse (CTC), Gilles Simeoni, a signé un pacte « inédit, historique et essentiel », entérinant une coopération entre la Corse, la Sardaigne et les Baléares. Pour ces trois îles de Méditerranée occidentale, l’objectif est stratégique : promouvoir, d’une seule voix, leurs intérêts spécifiques communs pour peser, tout à la fois, sur Bruxelles et sur leurs Etats respectifs, notamment dans la perspective d’une évolution législative et institutionnelle. Egalement, jouer un rôle de pont entre les deux rives de la Méditerranée. Gilles Simeoni explique, à Corse Net Infos, les termes et les ambitions de cet accord et réaffirme sa volonté et sa détermination à construire un projet méditerranéen.



Gilles Simeoni, président du Conseil Exécutif de la Collectivité territoriale de Corse (CTC), en visite officielle à Palma de Majorque, siège du gouvernement des Baléares.
Gilles Simeoni, président du Conseil Exécutif de la Collectivité territoriale de Corse (CTC), en visite officielle à Palma de Majorque, siège du gouvernement des Baléares.
- Ce pacte à trois est un pas supplémentaire franchi par rapport à celui signé à deux en avril dernier en Sardaigne. Qu'apporte-t-il de plus ?
- C'est une progression logique et importante issue, il est vrai, de notre volontarisme politique. Nous avons été élus en décembre. Dans les semaines suivantes, nous avons pris contact avec la Sardaigne à qui la Corse a, durant des décennies, de façon incompréhensible, totalement tourné le dos, alors même que nos deux îles sont à 11 kilomètres de distance. Nous avons conclu un accord-cadre de coopération entre les deux Exécutifs. Cet accord s'est prolongé de travaux entre les présidents et les élus des deux assemblées qui ont concrétisé une belle institution : le Conseil corso-sarde. Au-delà de ces logiques institutionnelles, le rapprochement s'est, également, opéré au niveau des forces économiques sur le terrain des peuples corses et sardes. Après ce premier niveau de coopération, il nous est apparu indispensable au président sarde, Francesco Pigliaru, et à moi-même, d'élargir la dynamique pour la renforcer. Le président Pigliaru avait déjà, à travers le Comité de régions, un contact avec les Baléares qui nous a permis d'entrer en relation.
 
- La Corse peut-elle faire jeu égal avec la Sardaigne et les Baléares, institutionnellement plus avancées ?
- Nous avons, en effet, affaire à deux interlocuteurs, la Sardaigne et les Baléares, qui sont des communautés autonomes et ont, l'une et l'autre, un pouvoir législatif de plein droit. Ce qui est un élément important. De la même façon, Majorque bénéficie d'une coofficialité qui fonctionne très bien, de manière apaisée, entre le castillan et le catalan. Tout cela donne, à nous autres Corses, un horizon d'action certain. Au-delà de ce constat, la coopération entre les Baléares, la Sardaigne et la Corse a pris, lors de ce voyage, une dimension inédite, essentielle et stratégique. La volonté est de parler ensemble, d'une même voix, autour des mêmes thèmes défendus en commun aussi bien vis-à-vis de nos États respectifs de rattachement, la France, l'Italie, l'Espagne, que des institutions communautaires. Nous avons entériné un axe de coopération multilatérale pérenne, qui va s'inscrire dans la durée et nous permettre de peser ensemble pour obtenir les dispositifs dont nous avons besoin au niveau de nos territoires respectifs.
 
- Quels sont les points stratégiques de ce pacte ?
- Le premier est la réaffirmation que notre proximité géographique et culturelle, nos complémentarités économiques peuvent être le terreau d'une coopération fructueuse entre nos trois îles. Le second est notre volonté de parler ensemble, à nos Etats respectifs de rattachement et aux institutions communautaires, pour leur dire que notre situation d'insularité et de périphéricité impose et commande, comme le prévoit l'article 174 du Traité sur le fonctionnement des institutions européennes, des traitements et des dispositifs dérogatoires. Les îles ultrapériphériques de l'Union européenne bénéficient de ces dispositifs. Aucun n’est prévu, pour l'instant, pour les îles périphériques de Méditerranée. Nous devons les obtenir pour 2020 dans le cadre des négociations de la future politique de cohésion européenne. Cela se déclinera, par exemple, dans le domaine des transports et celui de la fiscalité.
 
- N'y a-t-il pas une grande différence entre des îles qui ont la maîtrise de la fiscalité et la Corse qui la subit ?
- Nous allons, bien sûr, harmoniser les analyses et les propositions. La Corse, même si elle est démographiquement et économiquement faible, y compris par rapport aux Baléares qui comptent 1,1 million d'habitants et à la Sardaigne qui en compte 1,7 million, est écoutée d'un point de vue politique parce qu'elle a une signification extérieure importante, notamment en Europe. Nous avons, sur la fiscalité, une position commune très claire. Nous avons droit, parce que nous sommes des îles et que nous sommes en situation de périphéricité, à un traitement particulier, notamment un véritable statut fiscal et social. Il nous appartiendra aux uns et aux autres, en concertation avec nos assemblées respectives et nos forces vives, de lui donner un contenu.

- Vous parlez d’un projet méditerranéen. De quoi s’agit-il ?
- Le projet méditerranéen, pour nous, fait sens. Au-delà de la défense en commun de nos intérêts, la coopération n'est pas seulement technique et politique, elle s’adosse à des valeurs fortes de solidarité et de fraternité entre les peuples. Elle trouve, aujourd'hui, à se décliner avec une force particulière en Méditerranée. Le bassin méditerranéen doit être le lieu de l'échange, du respect mutuel et de la tolérance, et non l'épicentre de tensions et de conflits, quelquefois de terrorisme, comme il l’est actuellement. Nous disons ensemble à la France, à l'Espagne et à l'Italie qu'elles ont intérêt, en tant qu'Etats, à ce que l'Europe se rééquilibre vers le Sud. Nous allons, de la même façon, dire aux institutions européennes que la Corse, la Sardaigne et les Baléares sont des territoires insulaires qui, par leur histoire, leur culture et leur géographie, sont prêtes à jouer, ensemble, un rôle de pont entre la rive Nord et la rive Sud de Méditerranée.
 
- Pourquoi la Sicile est-elle exclue ?
- C'est une île de Méditerranée, mais sa proximité immédiate avec la terre ferme, notamment avec l'Italie, la place dans une position un peu différente du point de vue de la notion de périphéricité.
 
- À quelle échéance comptez-vous obtenir des avancées concrètes ?
- D'ores et déjà, nous avons convenu avec les gouvernements des Baléares et de Sardaigne de parler immédiatement d'une même voix devant les institutions européennes, par exemple devant le Comité des régions et devant la Commission européenne. Les négociations pour le nouveau cadre de cohésion sociale, qui entrera en vigueur en 2020, vont débuter et durer deux ans. Nous devons, dans ce cadre-là, obtenir un régime et un traitement compatibles avec notre insularité. L'article 174 du traité européen et la dynamique politique, que nous avons enclenchée, doivent nous permettre d'obtenir des résultats concrets et significatifs pour nos entreprises et pour nos peuples respectifs. Nous avons la volonté de nous inscrire dans une dynamique de développement économique, social et culturel, et dans une logique gagnant-gagnant.
 
- L'île de Malte présidera l'Union européenne en 2017. Qu'espérez-vous de cette présidence ?
- Cela va dessiner une conjoncture particulièrement intéressante pour les thèmes et les attentes dont nous sommes porteurs à travers cette expérience de coopération trilatérale. Malte est un État, ce que nous ne sommes pas ! Mais Malte est une île, ce que nous sommes. Le fait que Malte préside le Conseil européen, à partir de l'année prochaine, va, bien sûr, rendre les institutions communautaires particulièrement sensibles à la question de l'insularité et de sa prise en compte.
 
- Toutes les autres tentatives de coopération inter-îles, initiées en Corse, ont avortées. Qu'est ce qui vous fait penser que, cette fois-ci, vous réussirez ?
- C'est vrai qu’elles n’ont pas prospéré, mais il faut rendre hommage à leurs initiateurs. J’en citerai deux. Le président Jean Baggioni a mené l'expérience IMEDOC (entre les Baléares, la Corse, la Sardaigne et la Sicile). Claude Olivesi, dont j'ai été l'étudiant, a toujours été le promoteur d'une coopération forte entre les îles de Méditerranée occidentale. Aujourd'hui, le contexte géostratégique d'ensemble a changé. Dans les îles, notamment en Corse, il y a la volonté politique d'aller de façon résolue et déterminée sur ce chemin de coopération méditerranéenne et de construction d’un projet méditerranéen. Je pense que nous avons, véritablement, aujourd’hui, les moyens de réussir. Cette déclaration d’intention, signée au plus haut niveau des institutions des trois îles, est un acte fort, la pierre fondatrice d’une démarche radicalement nouvelle.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 
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