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Gilles Simeoni : « La Corse de l’intérieur, et une région comme la Castagniccia, font partie de nos priorités politiques »


Nicole Mari le Jeudi 6 Avril 2017 à 23:51

Journée fructueuse en Castagniccia pour le président de l’Exécutif territorial, Gilles Simeoni, qui a fait le tour des villages de la vallée d’Orezza et rencontré, à leur demande, les élus, les acteurs de terrain et la population. Accompagné du président de l’Office des transports, Jean-Félix Acquaviva, il a effectué une tournée de terrain pour constater le mauvais état des routes et présenté un programme pluriannuels d’investissements. Dans cette région emblématique de la désertification de l’intérieur, il a, des Eaux d’Orezza jusqu’à Piedicroce, de Valle d’Orezza, à Carpinetu ou au Couvent San Francescu, écouté les doléances, pris acte des difficultés, et délivré un message d’espoir : celui de renverser la tendance mortifère en dix ans. Pour cela, il appelle à une révolution de velours des mentalités et des pratiques, à une nouvelle règle de jeu basée sur l’équité. Explications, pour Corse Net Infos, de Gilles Simeoni, suivies de la réaction de Paul-Jean Emmanuelli, maire de Piazzole d’Orezza.



Le président de l'Exécutif territorial, Gilles Simeoni, et le président de l'Office des transports de la Corse (OTC), Jean-Félix Avquaviva, à Piedicroce avec les élus et les acteurs de terrain de la vallée d'Orezza.
Le président de l'Exécutif territorial, Gilles Simeoni, et le président de l'Office des transports de la Corse (OTC), Jean-Félix Avquaviva, à Piedicroce avec les élus et les acteurs de terrain de la vallée d'Orezza.
- Pourquoi cette visite en Castagniccia ?
- Nous avons été sollicités par les maires de Castagniccia par rapport aux questions liées au réseau routier, notamment au lendemain des intempéries et dans la perspective de la future Collectivité de Corse. Au-delà de cet aspect très important, c’est notre devoir d’être ici, comme dans tous les autres cantons, aux côtés de ceux qui se battent pour faire vivre leur commune et leur territoire. Une réunion comme celle d’aujourd’hui nous permet d’aller à la rencontre des élus, des acteurs de terrain, des populations et de nos amis, qui vivent dans ces villages, et d’avoir des échanges très intéressants et essentiels pour améliorer notre démarche collective.
 
- Vous avez dit aux maires que la donne politique a changé et qu’il faut faire table rase des comportements passés pour œuvrer ensemble. Est-ce un appel au combat collectif ? 
- Oui ! C’est, aussi, un message d’espoir, particulièrement dans une région comme la Castagniccia, mais il y en a d’autres, notamment l’Alisgiani et le Boziu. Ces régions ont été historiquement rayonnantes, frappées, ensuite, de plein fouet par la désertification, minées, aussi, par un sentiment d’abandon et d’inéquité. Nous sommes venus dire à ces acteurs de terrain qu’aujourd’hui, une nouvelle donne est en train de s’écrire, qu’elle va s’écrire avec eux, que le chemin sera long et forcément difficile, mais qu’il y a un espoir et la possibilité de réussir. Cela passe, aussi, par une profonde remise en cause de nos structures politiques, de notre façon de fonctionner et de travailler ensemble. Nous nous incluons dans le champ de la recherche d’amélioration. Je suis là pour transmettre ce message et pour écouter les attentes du terrain, les propositions, quelquefois les critiques. Globalement, ce sont des réunions très enrichissantes.
 
- Les élus décrivent des villages qui se meurent et vous demandent de l’aide. Que leur avez-vous répondu ?
- Nous leur avons expliqué les méthodes de travail que nous avons définies et les décisions que nous avons prises dans tous les domaines. Concernant les routes, nous travaillons, de façon concertée avec les deux départements qui continueront à être des acteurs dans ce domaine jusqu’à la fin de l’année. Nous avons bâti un plan pluriannuel d’investissements de 715 millions € sur huit ans. Nous leur avons assuré que nous traitons et que nous continuerons de traiter de façon équitable tous les territoires dans une vision stratégique globale de ce que doit être notre réseau routier. Cette vision stratégique inclut les routes territoriales et le réseau actuellement départemental. Toutes les régions de Corse, particulièrement les régions de l’intérieur, pourront bénéficier de cet effort financier. Il faut y ajouter l’effort exceptionnel, que nous avons fait, suite aux intempéries pour traiter les situations d’urgence le plus vite et le mieux possible. Nous avons aussi parlé du développement économique global avec la Corse île-montagne, la question fiscale, le Comité de massif, le soutien à la relance de diverses activités comme la filière bois, la politique agricole et foncière… ainsi que de la politique territorialisée de la future Collectivité de Corse.

Marcel Ferrari, maire de Carpinetu, son premier adjoint, et Gilles Simeoni.
Marcel Ferrari, maire de Carpinetu, son premier adjoint, et Gilles Simeoni.
- C’est-à-dire ?
- La problématique est : comment faire pour avoir, à compter du 1er janvier 2018, des mécanismes de péréquation au plan fiscal, une répartition équitable de tous les services dans tous les territoires ? J’ai évoqué, également, l’engagement de principe que j’ai obtenu du président de la République, François Hollande, lors de sa venue en Corse. J’ai demandé que l’Etat engage une réflexion pour que l’implantation de ses services publics se fasse de façon équitable, y compris dans les territoires de l’intérieur.
 
- Les doléances ont, aussi, porté sur la superposition des dispositifs - Loi ALUR, Loi Montagne, PADDUC - qui grève tout développement. Que proposez-vous ?
- J’ai réaffirmé que notre objectif stratégique était de lutter contre la spéculation et de préserver les espaces agricoles, mais qu’en même temps, il fallait réfléchir à des instruments juridiques permettant, notamment aux maires de l’intérieur, d’aider les jeunes qui font le choix de s’installer et de vivre dans les villages. Nous avons expliqué la nécessité de décliner de façon opérationnelle le principe de la Corse île-montagne, notamment dans le domaine de l’école, des services publics, de l’accès à la santé… Une vision globale pour dire : Oui ! La Corse de l’intérieur et de la montagne, et une région comme la Castagniccia font partie de nos priorités politiques ! En travaillant tous ensemble, la Collectivité territoriale de Corse, les élus et acteurs de terrain, et celles et ceux qui ont fait le choix de vivre dans cette région, nous pouvons trouver un chemin pour garantir le développement et le rayonnement de l’intérieur.
 
- Vous affirmez que l’on peut, en dix ans, inverser la tendance mortifère qui vide l’intérieur ? Est-ce possible ?
- Oui ! Le défi, que doit relever la Corse est de construire une société moderne, équitable, ouverte, respirante, développée au plan économique, forte de son identité, de sa culture et de sa langue. Tout cela, on le sait, et on sait comment y arriver. Il faut sortir du modèle dominant qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui. Les clivages partisans sont un luxe qu’on ne peut plus se permettre ! Il est vrai, aussi, qu’on ne sort pas de décennies d’assistanat, de clientélisme, de fatalisme, de renoncement, de non-développement par un coup de baguette magique ! Cela impose une véritable révolution, même si c’est une révolution apaisée, un changement radical de rapport à la politique. Ce défi prendra forcément du temps. Je pense qu’au minimum dix ans est un délai raisonnable.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Paul-Jean Emmanuelli, maire de Piazzole d’Orezza.
Paul-Jean Emmanuelli, maire de Piazzole d’Orezza.
Paul-Jean Emmanuelli, maire de Piazzole d’Orezza : « Sans moyens, nos villages sont condamnés à disparaître ! »
 
- Qu’attendez-vous de la visite du président de l’Exécutif ?
- Nous attendons qu’on prenne connaissance des difficultés que nous avons de vivre aujourd’hui dans le rural. Ces difficultés s’accumulent tous les jours. Nous sommes, bien entendu, ravis de la présence du président de l’Exécutif et du président de l’Office des transports (OTC). C’est bien la première fois que nous en voyons un ici ! Nous avons abordé le problème des routes qui est un problème récurrent. Mais, pas seulement ! Car un réseau routier sans personne pour l’emprunter, à quoi ça sert ? Nous avons, aussi, abordé le problème des télécommunications. Chez nous, Internet ne fonctionne pas ! Egalement, le problème d’EDF et surtout les problèmes et les difficultés que nous avons pour vivre dans le rural.
 
- Concrètement, quelles sont vos difficultés ?
- Elles sont assez importantes. Tous les services, dont nous avons besoin, disparaissent les uns après les autres. Pour se déplacer jusqu’à ces services, il faut faire 40 kilomètres. Nous avons perdu la Perception, nous allons perdre la Poste et, bientôt, notre école… parce que ce n’est pas rentable ! Le médical n’existe pratiquement pas chez nous. Petit à petit, les gens abandonnent les villages qui sont condamnés à disparaître assez rapidement, s’il n’y a pas une prise en compte de toutes ces problématiques qui nous permettra, peut-être, d’arrêter l’érosion.
 
- Vous estimez que la loi Montagne et le PADDUC empêchent le développement économique. Pourquoi ?
- Il y avait déjà la loi Montagne. Le PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse) et la loi NOTRe se sont superposés. Avec ces lois, il n’y a plus, aujourd’hui, de construction possible dans les villages. La montagne est totalement gelée ! Tous les terrains sont considérés comme des espaces remarquables ou des terrains agricoles, alors que ce n’est pas du tout le cas ! Nous n’avons pas de terrains agricoles ! Ceux-ci sont en plaine, ils sont mécanisables et irrigables. Chez nous, ce sont des terrains accidentés qui ne produisent plus rien. Il n’y a plus aucun agriculteur, si ce n’est notre châtaigneraie. Le reste, ce sont des terrains qui ne nous apportent absolument rien en termes d’agriculture. Par contre, nous pouvons y installer des jeunes qui veulent construire dans nos villages. Les terrains, chez nous, sont accessibles, leur prix est dix fois inférieur à celui en plaine.
 
- Les permis de construire sont-ils systématiquement refusés ?
- Oui ! En deux ans, quatre permis de construire ont été refusés à Piazzole parce que la loi n’autorise plus la construction de maisons nouvelles dans les communes, sauf à l’intérieur du village. Tout ce qui est à l’extérieur du village n’est plus dans la zone urbanisable, donc, systématiquement, les permis sont refusés par les services de l’Etat. Il faut que la loi s’adapte à nos régions.
 
- Que pensez-vous des réponses du président de l’Exécutif ?
- Nous sommes satisfaits de ce que nous avons entendus aujourd’hui de la part du président de l’Exécutif. Je pense que les financements seront importants. Ça prendra du temps, mais on a bon espoir d’avoir les moyens suffisants pour mettre nos villages en valeur et répondre à l’attente de nos administrés. Nous avons besoin de beaucoup d’argent pour faire revivre les villages. Il faut absolument y installer de jeunes couples avec des enfants pour maintenir les écoles et les services. Sinon tout disparaîtra ! Et, malheureusement, disparaîtront, en même temps, l’âme corse, la langue, la culture et nos traditions auxquelles nous sommes très attachés.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.