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François Viangalli : « Il est faux d’affirmer que le statut de résident est impossible en droit européen ! »


Nicole Mari le Samedi 14 Juin 2014 à 22:53

Lors de sa brève et controversée visite en Corse, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, a opposé un Non ! sec et brutal au statut de résident en déclarant, de façon péremptoire, qu’il était contraire au droit européen. Les élus nationalistes et le président de l’Exécutif territorial, Paul Giacobbi, ont immédiatement rétorqué que c’était un argument fallacieux, contredit par les spécialistes du droit. C’est, en substance, ce que François Viangalli, maître de conférences en droit européen à l’université Grenoble-Alpes, a démontré, lors du débat organisé, le 7 juin à Bastia par la Ligue des Droits de l’homme (LDH). Il explique, à Corse Net Infos, que le statut de résident est tout à fait concevable dans le droit européen.



Gilles Simeoni, maire de Bastia, et François Viangalli, maître de conférences en droit européen à l’université Grenoble-Alpes, lors du débat organisé le 7 juin à Bastia par la Ligue des Droits de l’homme (LDH).
Gilles Simeoni, maire de Bastia, et François Viangalli, maître de conférences en droit européen à l’université Grenoble-Alpes, lors du débat organisé le 7 juin à Bastia par la Ligue des Droits de l’homme (LDH).
- Le statut de résident est-il contraire au droit européen ?
- En qualité de juriste, il ne m’appartient pas de prendre position pour ou contre le statut de résident. Par contre, je peux donner un état du droit européen et préciser, si, aujourd’hui, en 2014, en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de justice et de la rédaction des traités, ce type de mesure est : inconcevable, tout à fait possible ou faisable dans certaines conditions et sous certains paramètres.
 
- Quelle est votre réponse ?
- Elle est simple. Il est faux d’affirmer que le statut de résident est absolument impossible ! Ce type de mesure existe ailleurs au sein de l’Union européenne (UE), par exemple dans les îles Aland qui sont des îles finnoises suédophones possédant un statut particulier. Des mesures apparentées existent en Autriche. Une mesure de ce type, jamais contestée, existe en Belgique, en Wallonie. Un député wallon le rappelait récemment au parlement belge. Ce type de mesure existe, aussi, en Suisse qui est membre de l’Association européenne de libre-échange.
 
- La Suisse n’est pas membre de l’UE…
- Elle n’est pas membre de l’UE, mais, en vertu de l’accord de 1999, elle est liée par les principes de liberté de circulation. La même problématique existe. A la suite d’une réforme constitutionnelle adoptée par référendum, la Suisse a établi un quota de 20% de résidences secondaires. Au delà de 20%, le maire ne peut plus délivrer de permis de construire.
 
- Le statut de résident existe en Europe. Est-il facile à mettre en œuvre ?
- Non ! Parce que, d’abord, il relève de la compétence nationale, pas de la compétence communautaire. L’article 345 du Traité européen le dit clairement. Un contrôle est possible en cas d’abus, à titre exceptionnel, devant la Cour européenne de justice, s’il y a utilisation de ce système pour pervertir la liberté de circulation.
 
- Si c’était le cas, que dit la jurisprudence européenne ?
- La jurisprudence de la Cour de justice dit, grosso modo, qu’il ne faut pas de critères flous. Il ne faut pas une commission qui apprécie discrétionnairement qui est résident ou qui ne l’est pas. C’est ce qui s’est passé en Flandre ! Il faut une mesure qui soit parfaitement justifiée par une étude technique qui le démontre en expliquant le nombre de résidences secondaires, l’impact économique, les conséquences, pourquoi cette mesure est la seule efficace, comment elle est élaborée, sur quelle durée, dans quelles conditions… La démonstration nécessite toute une grille de lecture.
 
- L’UE peut-elle juger cette mesure discriminatoire ?
- Par définition, non ! A priori, la Cour de justice n’a jamais dit que le statut de résident serait une discrimination fondée sur la nationalité. Ni que ce serait quelque chose de  fondamentalement contraire au droit européen. Surtout lorsque ce statut est appliqué dans une île comme la Corse et qu’il ne concerne que 0,5% du territoire français. C’est tout petit ! On est vraiment dans l’exception de l’exception de l’exception…! Un statut de résident en Corse ne provoquerait pas une révolution dans l’Union européenne ! C’est vraiment un point de détail !
 
- Le statut de résident serait-il pour autant possible ?
- Ce serait imprudent de le dire puisque la Cour de justice n’a pas été saisie de la question. Mais, pour autant, on ne peut pas dire que le statut de résident n’est pas possible en Europe. Il n’est ni anodin, ni impossible ! Il nécessite un débat technique, une démonstration et une adéquation aux besoins.
 
- Le statut serait-il une affaire plus technique que politique ?
- Non ! Il ne faut pas retirer la responsabilité du politique. Le statut de résident est, d’abord, un débat politique. La question ne se posera pas en droit, s’il n’y a pas d’abord une mesure politique. Mais, si cette volonté politique existe, le débat juridique examinera des paramètres.
 
- Peut-on dire que le principal frein au statut de résident se trouve en France, pas en Europe ?
- Oui ! Je vous cite, de mémoire, l’article 345 du traité sur le fonctionnement de l’UE : « Les traités ne préjugent en rien du régime de la propriété dans les Etats-membres ». C’est, donc, majoritairement, une question nationale. Ce n’est qu’à titre incident et exceptionnel, s’il y a perversion ou abus, que l’on rentrera dans la sphère européenne. Surtout sur un tel petit territoire ! Si obstacle politique il y a, il est français !
 
Propos recueillis par Nicole MARI
 
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