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François Pupponi soutient le nouveau programme de rénovation urbaine de Bastia


Nicole Mari le Lundi 31 Août 2015 à 20:46

Le président de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), François Pupponi, était en visite, à la fois amicale et professionnelle, lundi à Bastia. En compagnie du maire Gilles Simeoni, de la 1ère adjointe, Emmanuelle de Gentili, et du préfet de Haute-Corse, Alain Thirion, il a arpenté le Centre ancien et les quartiers Sud pour faire le point sur l’état d’avancement des chantiers du programme de réhabilitation qui vient de s’achever et pour examiner les opérations qui seront poursuivies ou initiées dans la phase 2. François Pupponi explique, à Corse Net Infos, que Bastia est éligible au programme, qui s’étalera sur la prochaine décennie, parce qu’elle est une des villes les plus pauvres de France. La future convention, élaborée avec la nouvelle municipalité, prône une vision urbaine plus globale, axée, à la fois, sur l’habitat social, l’activité économique et la reconnexion des quartiers entre eux.



Gilles Simeoni, maire de Bastia, François Pupponi, président de l'ANRU, Emmanuelle de Gentili, 1ère adjointe en charge de l'urbanisme, et Alain Thirion, préfet de Haute-Corse au nouveau centre culturel Alb'Oru qui sera inauguré le 25 septembre.
Gilles Simeoni, maire de Bastia, François Pupponi, président de l'ANRU, Emmanuelle de Gentili, 1ère adjointe en charge de l'urbanisme, et Alain Thirion, préfet de Haute-Corse au nouveau centre culturel Alb'Oru qui sera inauguré le 25 septembre.
- La phase 1 du programme de l’ANRU a mobilisé 40 milliards €, la phase 2 ne porte que sur 20 milliards. Comment arbitrerez-vous entre les nombreux besoins ?
- La phase 1 a permis de faire pratiquement tout ce qu’il fallait faire dans un certain nombre de villes. On s’est aperçu, à son échéance, qu’il fallait, dans certains cas, la compléter. Les 20 milliards € supplémentaires permettront de terminer le travail engagé dans 400 villes et de réaliser, ainsi, un programme complet. Bastia est un exemple significatif.
 
- Comment se situe Bastia par rapport à d’autres villes où il reste de nombreux travaux à réaliser ?
- Beaucoup a été fait, mais on s’aperçoit qu’il reste encore beaucoup à faire. Il suffit de visiter le Centre ancien et les Quartiers Sud pour voir que le programme initial ne permettait pas de tout régler. Il faut, aussi, prendre en compte la réalité sociale. L’ANRU n’intervient que dans les villes en difficulté, le choix d’une ville n’est pas le fait du Prince. Si Bastia a été, de nouveau, retenue au titre de la 2ème phase, c’est qu’elle est une des villes les plus en difficulté de France, une des plus pauvres de France. La situation sociale est tellement difficile dans cette ville qui connaît un très fort problème d’urbanisme.
 
Une partie de ce problème est-elle liée à la désertification du Centre ancien ? Son repeuplement est-ce un des objectifs du programme de l’ANRU ?
- Oui ! C’est un peu le problème de l’urbanisme en France ! A la fin des années 50, la France a oublié les vieilles villes pour construire, ailleurs, des logements sociaux. C’est un des rares pays qui a agi de cette façon. On s’est aperçu, 40 ans après, que cette politique avait désertifié les centres anciens et qu’il fallait y ramener de la population. En visitant le Vieux Bastia et le Puntettu, nous avons dit qu’il fallait, bien sûr, rénover les logements et réintroduire de l’habitat social dans ces quartiers-là, mais aussi y implanter de l’activité économique, liée notamment aux nouvelles technologies ou à l’artisanat d’art. Les équipements publics méritent, également, une intervention dans une réflexion d’ensemble que nous allons élaborer avec la municipalité. C’est le sens de ma visite et des études qui seront, éventuellement, lancées.
 
- En visitant le Puntettu, vous avez salué la prise en compte de la volonté citoyenne dans cet épineux dossier. Est-ce, pour vous, une bonne chose ?
- Oui ! La nouvelle politique de la ville fait obligation de créer des Conseils citoyens. On ne peut plus rénover un quartier sans demander aux habitants ce qu’ils en pensent. C’est ce qui a été fait au Puntettu. On ne peut pas abandonner ce quartier qui a un intérêt historique, patrimonial et architectural. Détruire ce patrimoine n’était pas une bonne décision. Je pense que le choix de la nouvelle municipalité de rénover et de maintenir le patrimoine ancien va, effectivement, dans le sens de l’histoire. Le maire a entendu les citoyens et c’est bien ! Nous sommes prêts à l’accompagner et à l’aider à réaliser ce projet qui doit être un projet global.
 
- C’est-à-dire ?
- Un projet global n’est pas qu’un projet d’habitat, mais un projet de quartier. Ce que, dans notre jargon, avec le maire de Bastia, nous appelons, par exemple, Gaudin 2. Il y a eu Gaudin 1 qui a rénové les façades dégradées, mais cela ne suffit pas. D’où l’idée d’un Gaudin 2 pour aller au-delà et faire mieux que ce qui avait été imaginé au début.
 
- Passe-t-on de la rénovation à la revitalisation ?
- Oui ! Dans ce 2ème programme, l’ANRU peut investir dans la revitalisation économique. Ce qui n’était pas le cas avant. La loi Lamy, votée en février 2014, lui permet d’être co-investisseur, c’est-à-dire que l’ANRU crée de l’activité économique dans les quartiers.
 
- Allez-vous soutenir la municipalité bastiaise dans cette politique d’investissement ?
- Bien sûr ! C’est le rôle de l’ANRU et du Préfet de conseiller les collectivités locales. Nous avons une expérience nationale et nous sommes, donc, capables de voir ce qui se fait ailleurs. Ce qui n’est pas le cas d’une municipalité qui n’a que la vision de sa ville. Nous effectuons un travail en commun. La ville propose un projet que l’ANRU valide ou pas. Nous ne signons pas de convention de partenariat avec une ville, si nous ne croyons pas à cette convention.
 
- Selon vos premières observations, que manque-t-il à Bastia ?
- D’après ce que j’ai vu, dans le Vieux Bastia, il manque, comme je l’ai dit, l’aspect économique. Ce qui a été fait sur l’habitat va dans le bon sens, il faut, maintenant, revitaliser économiquement ces quartiers. Ensuite, comme la Municipalité l’a tout de suite vu, il y a un manque autour du Palais de justice et du Collège Vinciguerra, qui n’a pas été pris en compte dans l’ancien programme. Il faut, donc, élargir le périmètre d’intervention. Le problème du Puntettu a été rattrapé. Concernant les Quartiers Sud, l’ancien programme a rénové ce qui existait. Aujourd’hui, il faut repenser la vision urbaine pour rapprocher ces quartiers du centre-ville. Nous sommes tout à fait en accord avec le maire sur ce point.
 
- En quoi consiste cette nouvelle vision urbaine ?
- Elle consiste à dire que des quartiers ne restent pas exclus. Il faut terminer la ville, ne pas oublier des poches urbaines, ni les laisser en dehors du centre vital. L’objectif de l’ANRU est d’effacer ces ruptures issues de la construction urbaine des années 50 et d’aider la ville à se penser globalement, à ne faire plus qu’une et à connecter tous les quartiers entre eux. Quand on regarde Bastia, on voit bien la rupture urbaine entre le Centre ancien et les Quartiers Sud. L’idée du maire est de relier le centre de Bastia avec le Vieux Bastia, la Citadelle et les Quartiers Sud. C’est une vision d’ensemble intéressante ! Lorsque le travail de rénovation sera achevé, Bastia doit être complète, sans césure, sans coupure, sans cassure.
 
- Que vous a inspiré votre visite des Quartiers Sud ?
- J’ai vu des quartiers bien pires ! Ce quartier connaît, comme tous les grands ensembles d’autres villes, des problèmes classiques d’entretien et de gestion urbaine de proximité. On ne sait plus qui s’occupe de quoi, qui est propriétaire de quoi, qui fait quoi ! Des zones sont, ainsi, abandonnées. L’intérêt de la rénovation urbaine et des programmes que nous initions est de distinguer l’espace public de l’espace privé, de résidentialiser ce qui est privé et de laisser ouvert ce qui est public. Il est, à la fois, indispensable de rénover, mais aussi de réfléchir à l’entretien en mettant toutes les parties autour d’une table. Je sais que la nouvelle municipalité tente de faire avancer les choses.
 
- Est-ce pour cela que vous n’êtes pas favorable à la concentration de logements sociaux dans les Quartiers Sud ?
- Aujourd’hui, 80% des Français sont accessibles au logement social. La nouvelle philosophie du gouvernement est d’éviter les erreurs des années 50 et de ne plus construire du logement social là où il y en a déjà. La précédente municipalité bastiaise avait initié un programme de logements sociaux dans le bas des Quartiers Sud. La nouvelle municipalité a fait en sorte de le déplacer vers le haut. L’idée est de ne pas se précipiter pour construire quelque chose prévu depuis dix ans, mais de prendre le temps de repenser la globalité du quartier avec les architectes urbanistes et les habitants. Même s’il y a urgence, si les gens sont impatients, il faut, en rénovation urbaine, prendre le temps de la réflexion. Juste six mois ! Ce n’est pas bien long !
 
- Quand débutera le nouveau programme de l’ANRU ?
- Le programme est prévu sur la période 2015-2025. Les premières conventions seront signées en septembre-octobre 2015. La convention ANRU le sera en 2016. Les travaux commenceront, à Bastia, dans la foulée, en 2016-2017.
 
- Avez-vous une idée des sommes qui seront engagées ?
- Quelques dizaines de millions d’euros ! Nous allons chiffrer les sommes investies par la municipalité, celles investies par l’ANRU, par l’Etat, la CTC (Collectivité territoriale de Corse), le Conseil départemental, les bailleurs sociaux… L’intérêt du programme, que nous sommes en train d’élaborer, est de définir les besoins financiers de la ville de Bastia pour mettre en œuvre ce projet.
 
- Est-ce possible, vu la rapidité des mutations, de prévoir ce que sera une ville dans 10 ou 20 ans ?
- Oui ! Ce qui est intéressant à Bastia, c’est que ses élus ont une vision de son avenir et qu’ils imaginent la ville qu’ils voudraient avoir dans 20, 30 ou 40 ans. Dix ans pour commencer à la mettre en œuvre, ça peut paraître long, mais, en fait, c’est court ! Beaucoup de municipalités n’ont pas eu cette vision-là, elles construisaient un quartier sans l’intégrer dans une vision globale.
 
- Comment sera, selon vous, la ville de demain ?
- La ville de demain se fera à partir des villes existantes. Il faut arrêter l’étalement urbain qui éloigne les gens du centre-ville. De toute façon, on ne peut plus le faire ! L’erreur de la France des 50 dernières années a été de construire des villes nouvelles, d’agrandir et d’étaler l’urbanisme. D’autres pays en Europe ont fait un choix différent. Ils ont préféré travailler sur l’existant, reconstruire la ville sur la ville. Je suis convaincu que la ville de demain sera un bon mix entre le modernisme, le développement durable et la manière dont on construit et on vit la ville aujourd’hui. Il faut, à l’intérieur de ce qui existe, réfléchir à moderniser, rénover, reconstruire, utiliser les dents creuses, tout en préservant les espaces naturels autour des villes.
 
- Pourquoi dites-vous que la Corse n’est pas rurale, mais qu’elle est urbaine ?
- Je sais que mon propos choque beaucoup ou du moins interpelle beaucoup ! Les Corses pensent encore que la Corse est rurale, or plus de la moitié de la population vit dans des villes, pas dans des villages et pas dans le rural. C’est une évolution qu’on n’a pas forcément voulu voir, mais qui est réelle. Il faudra bien qu’à un moment, les Corses se pensent urbains ! Sans abandonner le rural, ni les villages, loin de là ! Je suis originaire d’un village (Santa Lucia di Tallano), il n’est pas question qu’on l’abandonne ! Ce phénomène d’urbanisation ne fait que s’aggraver. Soit on l’accompagne, soit on lutte contre, mais il faut en prendre conscience.
 
- Faut-il, pour vous, le mettre au centre de la réflexion sur le développement de l’île ?
- Oui ! J’en suis intimement convaincu ! Si on ne le met pas au centre de la réflexion, les villes corses connaîtront ce que les villes de banlieue du continent ont connu il y a dix ou quinze ans, c’est-à-dire des problèmes de ghettoïsation, d’émeutes urbaines, de revendication sociale... Il faut en être conscient et l’anticiper. Il est encore temps de régler le problème. Pour cela, il faut voir la Corse telle qu’elle est, plus urbaine que rurale.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.