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Festival d'automne de la ruralité : Cap au Sud sur les traces de San Martinu et de la féodalité corse


Nicole Mari le Vendredi 20 Octobre 2017 à 21:41

Ouverture au Sud pour la 9éme édition du festivale d'autunnu di a ruralità qui se tient du 21 octobre au 11 novembre. Devenu en Haute-Corse le rendez-vous incontournable de l'automne, il a su tracer, au fil des ans, - en préfiguration d’A Via San Martinu, l'itinéraire culturel du Conseil de l'Europe, - une mosaïque de chemins sur un territoire rural de plus en plus étendu, allant de l'extrême pointe du Cap Corse à l'Oriente, en passant par la Conca d'Oru, Bastia, le Golu et la Casinca. Séduisant toujours plus de communes, il prend pied, désormais, dans le Sud à Sotta, Santa Lucia di Tallà et Tocchisu (Tox). Axé sur la valorisation des patrimoines matériels et immatériels en lien avec la figure tutélaire de San Martinu, il balaye les champs de la connaissance en proposant sur 202 kilomètres toute une série d'animations, de conférences, de visites guidées, d'itinéraires de découverte, de stages et concerts de musique du monde... Avec, cette année, un éclairage particulier sur l’art roman et les seigneurs Cortinchi. Explications, pour Corse Net Infos, de Christian Andreani, président d'u Centru Culturale San Martinu Corsica, qui prendra, en 2019, la tête du réseau européen des Centres culturels Saint-Martin.



L'Oriu di i canni, patrimoine rural remarquable situé dans la commarque de San Martino à Sotta, témoin d'un passé agraire et d'un territoire sous la protection de San Martinu.
L'Oriu di i canni, patrimoine rural remarquable situé dans la commarque de San Martino à Sotta, témoin d'un passé agraire et d'un territoire sous la protection de San Martinu.
- Qu’a de spécial cette 9ème édition ?
- Le festival s’étend, cette année, aux territoires du Sud de la Corse. Il débute, ce samedi, à Sotta qui est un lieu martinien avec un patrimoine exceptionnel : du bâti, des vestiges d’église romane, notamment la première chapelle San Martinu. La plaine de Sotta se nomme : « A piana di San Martinu » et est mentionnée, au 18ème siècle, dans le plan Terrier, comme « la commarque de San Martino ». Le festival se déplace, dimanche, à Santa Lucia di Tallà, village médiéval, fief des Seigneurs de la Rocca, qui possède une église et un vieux site San Martinu au hameau de Bisè. Le 24 octobre, nous serons pour la première fois à Tocchisu (Tox) qui est, aussi, un très vieux site médiéval, notamment, du 13ème siècle, et où il existe un lieu qui se nomme « A Tozza di San Martinu », un patrimoine lié aux seigneurs Cortinchi. Il y aura, durant toute la durée du festival, un éclairage sur cette seigneurie féodale qui impacte le territoire de la Corse jusqu’à Patrimoniu et Ville-di-Pietrabugnu.
 
- Quel est le lien entre les Seigneurs Cortinchi et San Martinu ?
- L’énorme fief des Cortinchi s’étendait de la région d’Aleria jusqu’à Bastia et même à Patrimoniu. Ces seigneurs féodaux très puissants, venus de Cortone en Toscane, dominent la Corse du Moyen âge, commandent des œuvres d’art et se font élire le jour di a San Martinu, le 11 novembre, parce que San Martinu est une figure emblématique du monde chrétien et le saint choisi par Charlemagne. Quoi qu’on fasse, on retombe toujours sur lui ! Nous poursuivons notre inventaire de la présence martinienne sur l’ensemble de l’île de la pointe du Cap Corse jusqu’à la pointe de l’Extrême-Sud. Nous serons, encore cette année, à Centuri pour mettre en valeur le patrimoine maritime. Le port de Centuri, qui est le plus ancien de la navigation antique, relie la Corse à la Ligurie. San Martinu a séjourné trois ou quatre ans à partir de l’an 357 sur l’île Gallinaria près d’Albenga, qui n’est qu’à quelques miles nautiques de Centuri. Toutes ces constantes historiques prouvent que les territoires étaient liés entre eux.
 
- En Haute-Corse, quels autres lieux investissez-vous ?
- Nous intervenons, encore plus cette année, par exemple, au Poghju d’Oletta et à San Fiurenzu. Ce sont des lieux qui, dans leur histoire, portent la marque de ces patrimoines parallèles à San Martinu. En tout, nous serons présents dans seize communes : celles déjà citées, ainsi que Bastia, Barbaghju, Barretali, Morsiglia, Siscu, Biguglia, Lucciana, U Viscuvatu, Linguizetta, … et, bien sûr, Patrimoniu. Chaque année, nous investissons d’autres lieux pour faire découvrir des pans de ce patrimoine martinien qui est énorme sur toute l’île et unique en Europe. Nous amplifions la connaissance par les communications, notamment un éclairage particulier au niveau historique sur la mémoire et les enjeux de ces territoires depuis des siècles et même sur l’histoire de la Corse en Europe. L’idée est de faire bien comprendre le territoire, comment il s’articule, et de redonner aux gens la mémoire de ce qu’il était parce que sans mémoire, on ne peut pas faire de développement !
 
- Quelles nouvelles conférences proposez-vous ?
- Nous proposons, notamment, un cycle de conférences avec la FAGEC sur l’art roman, très présent dans le patrimoine de San Martinu et le patrimoine voisin. Cela impacte toute notre île qui recèle un nombre impressionnant d’édifices romans, il ne faut pas oublier qu’il y avait 60 Pieve médiévales San Martinu en Corse ! Dans un autre cycle de conférences, nous essayons d’expliquer, avec des historiens, les contextes historiques autour de ce bâti : la féodalité corse avec la seigneurie des Cortinchi… et toujours San Martinu en toile de fond. Notre patrimoine historique est d’une complexité absolue ! A partir de ce bâti, Antoine-Marie Graziani parlera, par exemple, des enjeux et des pouvoirs sur notre territoire. Un autre volet de conférence porte sur l’immatériel : des anthropologues et des gens qui étudient les mythes comme Tony Fogacci, Jean-Jacques Andreani ou Ghjuvan Ghjaseppu Franchi évoqueront les pétrifications, les personnages mythologiques, notamment le bestiaire fantastique avec le personnage de l’ogre, et le domaine du conte… qui constituent un triptyque important du patrimoine martinien en Corse. Cela donne des lieux comme U Capu Tafunatu, les calanques de Piana, le lac de Crenu, l’étang de Tangicchia…
 
- Une journée est prévue pour la valorisation agricole. De quoi s’agit-il exactement ?
- La valorisation du produit agricole à forte identité, comme la vigne, mais aussi l’élevage. Avec le groupement de producteurs corses, nous nous battons pour faire reconnaître le terme de « Martinu » pour désigner l’agneau de lait corse. C’est un terme unique en Europe ! Tous les lieux de production agraire étaient, en Corse, placés sous la protection tutélaire de San Martinu qui est le saint des dominantes agraires. A travers le projet en cours de l’itinéraire San Martinu, nous construisons la vision d’un territoire qui avait, jusqu’au 19ème siècle, une énorme production agraire, par exemple, plusieurs milliers d’hectares de blé.
 
- Tout cela, toujours dans l’optique de la mise en place d’A Via San Martinu ?
- Oui ! Ce festival propose une succession de journées thématiques qui sont la préfiguration de l’itinéraire culturel européen, certifié jusqu’en 2020, A Via Sancti Martini qui, en Corse, s’appellera A Via San Martinu. L’idée, pendant toutes ces journées, est de se réapproprier la mémoire et la connaissance du territoire en disant le territoire sur une amplitude de 1700 ans depuis le paléochrétien. Donc, un travail sur la toponymie, le nomastique, le patrimoine matériel et immatériel. A partir de ces traces architecturales, on peut faire du développement et de la valorisation, y compris touristique, puisqu’on peut emmener des gens voir des choses étonnantes qui n’existent nulle part ailleurs ! Plus nous avançons dans la connaissance du territoire, plus nous avançons dans la mise en place de l’itinéraire, plus nous réussirons à valoriser nos territoires à partir de leurs ressources propres.
 
- Votre travail en Corse a été souvent mis à l’honneur par le réseau des centres culturels européens, notamment à Paris et à Tours. On parle d’une nouvelle reconnaissance ?
- Oui ! Tout le travail d’inventaire, réalisé depuis 10 ans par u Centru Culturale San Martinu Corsica, fera que, le 11 novembre 2018, je prendrai, pour un an, la présidence du réseau européen des centres culturels Saint-Martin. C’est la consécration d’un long travail accompli, mais il reste beaucoup à faire. Depuis l’inauguration de la Via sancti Martini à Tours en juillet 2016, des portions de cet itinéraire sont ouvertes dans les différents pays que traverse ce long chemin de 2500 kms. Notre objectif est, maintenant, d’ouvrir une portion de l’itinéraire en Corse avant 2019. La dynamique est bel et bien enclenchée dans les communes qui participent à ce festival depuis plusieurs années. Les actions se capitalisent. Une nouvelle réflexion émerge autour de la valorisation d’un patrimoine, en miroir avec un réseau européen qui offre un réservoir potentiel de gens intéressés par l’itinéraire. Au moment où se tiennent les assises du développement durable, il serait temps que la collectivité territoriale se prononce, enfin, sur ce projet.
 
Propos recueillis par Nicole Mari.