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Fermeture de Tallone : Prunelli bloque, Viggianellu accepte 5000 tonnes de déchets sur 4 mois. Pas plus !


Nicole Mari le Mercredi 24 Juin 2015 à 21:42

Le Centre d’enfouissement des déchets de Tallone a fermé ses portes le 23 juin comme prévu, sans qu’aucune solution pérenne n’ait été trouvée. En attendant que Paris examine la demande de l’Assemblée de Corse (CTC) d’une dérogation de la loi Littoral pour permettre, sur ce site, la construction d’une unité mécano-biologique, les préfets ont pris des arrêtés pour envoyer les déchets dans les trois autres centres de l’île : Prunelli-di-Fiumorbu, Vico et Viggianellu. Tous font de la résistance, élus et population soudés dans un même refus d’assumer, seuls, l’incurie générale de la politique des déchets. Prunelli campe sur son « Non » et poursuit le blocage. Viggianellu accepte le principe d’une solidarité provisoire, chiffrée à 5000 tonnes sur 4 mois maximum, mais dénonce le manque de courage politique qui a conduit à cette impasse. Les réunions se multiplient pour trouver une issue à la crise. Seul point positif : la prise de conscience de la nécessité de mettre en place une politique efficace de tri sélectif.



Le centre d'enfouissement des déchets de Prunelli fermé et bloqué depuis mercredi matin.
Le centre d'enfouissement des déchets de Prunelli fermé et bloqué depuis mercredi matin.
Il y a des chiffres : Tallone, plus de 80 000 tonnes de déchets enfouis par an, provenant du Grand Bastia, de Calvi et de 230 communes, soit près de la moitié des déchets produits dans toute l’île. La Corse, avec 600 tonnes par habitant et par an, détient, en la matière, un triste record européen, en augmentation constante.
Il y a un problème : Le site de Tallone est saturé. Le maire de la commune, Christian Orsucci, refuse d’ouvrir le casier supplémentaire qui lui a été accordé, s’il n’obtient pas la permission de construire une unité de tri mécano-biologique, bloquée pour une question d’urbanisme. Le permis de construire, attaqué par une association de défense de l’environnement, a été annulé par le Tribunal administratif au prétexte de la loi Littoral. La demande de dérogation, adressée à Paris, ne sera examinée que dans trois ou quatre mois.
Il y a une urgence : enfouir les 25 000 tonnes d’ordures qui seront générées pendant la saison estivale. Et, une seule solution alternative à court terme : les répartir sur les sites existants. Les préfets des deux départements, appliquant le principe d’urgence, ont pris des arrêtés en ce sens.
 
Des impasses et des questions
Mais, il y a des réalités : l’île ne possède, désormais, plus que trois centres d’enfouissement ! Vigianellu, 38 000 tonnes traitées par an, dont 7000 seulement provenant du Sartenais-Valincu, une capacité maximale de 45 000 tonnes et une durée de vie de six ans. Prunelli-di-Fiumorbu, capacité maximale de 40 000 tonnes pour une durée de vie de 10 ans, et Vico, une capacité de 30 000 tonnes, déjà en cours d’extension.
Et, il y a des impasses : Ces sites ne peuvent absorber, brutalement, une inflation de leur tonnage habituel, voire le doublement pour Prunelli, sans mettre en péril leur fonctionnement et faire peser une menace sur l’environnement. Compte tenu de la production exponentielle de déchets par les insulaires, ces trois centres devraient arrivés à saturation d’ici à sept ans, s’ils n’outrepassent pas leurs capacités. Dans le cas contraire, leur durée de vie sera diminuée d’autant ! En attendant, la politique de traitement de déchets étant au point mort, aucune création de centre n’est prévue. Or, il faut cinq ans pour installer un nouveau centre d’enfouissement.  
Il reste, donc, une question, à l’heure actuelle, insoluble, qui se pose à l’ensemble de la Corse : que faire des 25 000 tonnes estivales et des 80 000 tonnes annuelles jusqu’à présent enfouies à Tallone ? C’est toute la quadrature du cercle !
 
Le « Non » de Prunelli
Pour les communes et intercommunalités qui gèrent les trois centres existants, c’est le branle-bas de combat ! Prunelli-di-Fiumorbu dit : « Non ! Pas question ! ». Le maire de la commune, Pierre-Siméon de Buochberg, s’insurge : « Il a été décidé, par réquisition, de rapatrier une grande partie des déchets sur le site de la STOC (Société de traitement des ordures corses) à Prunelli. Ce n’est pas une solution acceptable ! Ce n’est parce qu’un site ferme que l’on doit rapatrier et répartir les déchets sur les autres sites ouverts ! ». Le refus est unanime chez tous les élus de l’Intercommunalité qui engagent un bras de fer avec le Préfet et son arrêté de réquisition. Presque 200 personnes ont monté la garde, mercredi matin, de 5h30 à 9 heures, devant les grilles du site pour empêcher l’accès de la STOC. Des camions de la mairie ont pris, ensuite, le relais. Les semi-remorques attendues de la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia) et de Haute-Corse ne sont pas venues. Celles de Corse-du-Sud ont été déroutées sur les sites de Vico et de Viggianellu. La rencontre, mercredi soir, à la mairie de Ghisonaccia, du président du Syvadec (Syndicat mixte pour la valorisation des déchets de Corse), François Tatti, et des élus de la microrégion, de Casinca et du Grand Bastia, n’a pas permis de dégager un consensus. Les élus du Fiumorbu campent sur leur position : pas une tonne de plus ! Le blocage continue ! La Communauté de communes barre la route avec des camions. Pour des raisons de sécurité, le site est, désormais, fermé pour tout le monde, y compris pour ses clients habituels.
 
Le « Oui mais » de Viggianellu
Même s’ils le comprennent, ce blocage inquiète au plus point les élus des autres sites qui craignent de récupérer les 8000 tonnes de la CAPA (Communauté d’agglomération du pays ajaccien), rejetées par Prunelli. Lors de la réunion du Syvadec, mardi soir, qui réunissait près de 45 maires, la commune de Viggianellu a clairement annoncé sa position. « Pour le moment, le centre enfouit 38 000 tonnes de déchets par an dont 31 000 proviennent de l’Extrême-Sud, de l’Alta-Rocca, du Taravo et du Sud d’Ajaccio. Nous avons joué, depuis 2008, notre rôle de solidarité citoyenne. Il nous reste une marge de 7000 tonnes pour atteindre notre capacité maximale autorisée de 45 000 tonnes. Comme le volume de déchets progresse tous les ans, nous avons pris l’engagement, auprès du préfet, d’accepter 5000 tonnes, mais pas plus ! Et uniquement pendant la durée des quatre mois ! Au-delà des quatre mois, nous n’accepterons plus une seule tonne provenant de Tallone ! », explique Jean Pereney, premier adjoint de Viggianellu et vice-président de la Communauté de communes du Sartenais-Valincu en charge du traitement des déchets. Il en a profité pour remettre les pendules à l’heure : « J’ai dit aux maires que si nous étions dans cette situation, c’est que beaucoup d’élus ont fait preuve d’attentisme et, peut-être aussi, de manque de courage politique. Il y a eu plusieurs projets de construction de centres d’enfouissement, mais, à chaque fois, les maires concernés ont reculé face à la pression, soit d’associations, soit de leurs concitoyens, et ont repoussé le problème. Aujourd’hui, le problème de Viggianellu est le problème de la Corse ! ».

Francis Guidici, Siméon de Buochberg et François Orsucci, maires de Ghisonaccia, Prunelli et Tallone.
Francis Guidici, Siméon de Buochberg et François Orsucci, maires de Ghisonaccia, Prunelli et Tallone.
La solution du tri sélectif
Que va-t-il se passer dans quatre mois si la demande de dérogation à la loi Littoral est refusée par Paris ? Personne, aujourd’hui, ne veut y songer ! Mais outre que ce n’est, ni une solution pérenne, ni une solution acceptable qui ouvrirait, de plus, la boite de Pandore de la spéculation foncière, que faire ? Il faudra bien répartir les 80 000 tonnes de Tallone sur les trois sites existants ! Ce surplus de volume limitant leur durée de vie, aucune des trois Intercommunalités concernées ne peut y souscrire : c’est le serpent qui se mord la queue ! « Nous ne voulons pas être le pis-aller de ce manque d’anticipation, de réaction et de courage politique auquel nous sommes confrontés ! La solution n’est pas de se reposer sur ces trois sites. Il faut prendre des décisions ! Chaque région doit créer son propre centre d’enfouissement de façon à limiter les déplacements des semi-remorques qui sillonnent la Corse, remplis de déchets. Il faut aller vers des circuits courts. Mais, l’enfouissement n’est pas la solution d’avenir. Tout le monde est conscient qu’il faut faire plus de tri sélectif en amont. La Corse ne trie que 10 % de ces déchets et en enfouit 90 %. Nous devons prendre exemple sur ce qui se passe en Toscane et en Sardaigne où ils sont passés de 10 % à 50% de tri. Chacun doit prendre ses responsabilités ! », assène Jean Pereney.
 
Au pied du mur !
La Corse est, donc, au pied du mur ! Impossible de ne pas se demander pourquoi, alors que tout le monde savait que Tallone allait fermer, rien n’a été fait pour anticiper cette fermeture ? « Nous avons travaillé pour mettre en place Tallone II comprenant, notamment, une unité de tri mécano-biologique en amont. Ce projet est bloqué pour une question d’urbanisme. Nous travaillons à le débloquer d’ici trois ou quatre mois. Nous n’avions pas anticipé le recours administratif sur la loi Littoral », riposte François Tatti. Pourquoi la Corse ne trie-t-elle pas ses déchets ? Les campagnes de sensibilisation du Syvadec ont échoué ! « Si nous avons progressé en matière de traitement, nous n’avons pas progressé en matière de tri sélectif. L’ensemble des citoyens doit s’impliquer. En triant les déchets, nous pouvons réduire le stockage de moitié dans les dix ans à-venir. Si nous réussissons, nous n’aurons plus ce genre de problèmes et nous diminuerons de 10 millions € nos coûts pour le territoire », expose-t-il à l’issue de la réunion de Ghisonaccia. Tous les élus présents se sont accordés sur la nécessité d’intensifier les actions pour encourager la population à faire du tri sélectif. La fermeture du site de Prunelli est, aussi, un moyen d’accélérer la prise de conscience.
 
Des signaux alarmes ignorés
Présent à la réunion, Gilles Simeoni, le maire de Bastia et conseiller territorial de Femu a Corsica, n’a pu que se réjouir de cette nouvelle orientation qu’avec son groupe politique, il défend, en vain, à la CTC, depuis le début de la mandature. « Cela fait cinq ans que nous disons qu’on va dans le mur ! Nous avons fait une conférence de presse le 2 juin 2010 où nous annoncions tout ce qui se passe aujourd’hui et où nous avions dit que la seule solution était le tri porte-à-porte généralisé dans le cadre du PIEDMA (Plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux) revisité. Nous l’avons répété avec constance depuis. Nous avons prévenu que le projet de Tallone aboutirait à une impasse juridique et qu’il fallait le réorienter. Malgré tous les signaux d’alarmes que nous avons lancés, on ne nous a pas écoutés ! Le choix, qui a été fait par la CTC et le Syvadec, de l’enfouissement est un choix ruineux, à la fois, au plan écologique, économique et financier pour les collectivités. Les seuls, qui ont gagné de l’argent, sont les exploitants privés et les transporteurs ! ». Il est, aussi, ruineux pour la population qui supporte la flambée des coûts. La hausse globale de 39% des impôts locaux en Corse est largement imputable à celle de la taxe sur les ordures ménagères.
 
La nécessité du porte à porte
Le maire de Bastia a pris les devants au niveau de sa ville, qui est le plus gros contributeur aux ordures ménagères de Haute-Corse : « J’ai hérité à Bastia d’une situation où le tri ne représente que 3% du tonnage total pour les particuliers et 12% en incluant les institutions. La CAB paye 4,5 millions € pour la collecte et 4,5 millions € pour le transport et le traitement des déchets. Trier ne serait que 30% des déchets ferait diminuer la facture d’environ 2 millions €, stopperait la spirale inflationniste et permettrait de dégager de la ressource à travers la valorisation des déchets. Les marges sont énormes. Je m’engage à aller, rapidement, vers un véritable tri à porte-à-porte en un ou deux ans, à la ville, comme à la CAB ». Une voie que compte, également, emprunter la commune de Viggianellu qui fera partie des trois sites pilote de mise en place du tri sélectif porte à porte que vient de décider le Syvadec, sous la pression des évènements ! Mais pour l’heure, il faut gérer la transition et les carences ! L’élu nationaliste estime qu’il « faut traiter ce problème majeur pour la Corse de façon globale, concertée et solidaire entre tous les Corses et tous les élus ».
 
Un nouveau plan à refonder ?
Singulièrement absent jusqu’à présent, l’Exécutif de la CTC devrait s’emparer du problème, en marge de la session de juin, une réunion entre toutes les parties étant prévue, ce jeudi en début d’après-midi. Mais c’est un peu tard ! Depuis le début de la mandature, il peine à régler une question qui, il est vrai, est en suspens depuis 20 ans ! A la session de juillet, doit être présenté, devant les élus territoriaux, le nouveau plan régional des déchets, le PGDND (Plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux), en remplacement de l’actuel PIEDMA, qui date de 2002. Mais ce nouveau plan, qui a déjà trois ans de retard, pourrait, bien, s’avérer obsolète au regard des récentes orientations et du nouvel enjeu du tri sélectif en amont. Au-delà de la problématique de la collecte, se pose celle du conditionnement qui n’a pas été prise en compte dans le nouveau plan. La Corse ne dispose, par exemple, ni de quais de transfert équipés, ni d’unités de compostage et de conditionnement de bio-déchets. La mise en place de ces structures exige du temps et de l’argent, mais surtout une réelle volonté politique qui, pour l’instant, a fait défaut. L’Exécutif sera, certainement, obligé de revoir sa copie ! Affaire à suivre…
 
N.M.