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Entreprises : Anticiper les transmissions, un enjeu majeur pour éviter les échecs !


Nicole Mari le Mardi 30 Mai 2017 à 23:34

Un tiers des entreprises corses seront à transmettre dans les cinq prochaines années. Pour éviter que, faute de préparation, nombre d’entre elles disparaissent complètement du tissu économique insulaire, la Chambre de commerce et d’industrie de Haute-Corse (CCI2B), la Chambre des métiers et l'ADEC (Agence de développement économique de la Corse) multiplient les actions de sensibilisation à l’encontre des chefs d’entreprises à transmettre et des jeunes entrepreneurs potentiels. Dans ce cadre-là, elles ont organisé, mardi, à l'hôtel Consulaire à Bastia, la première édition des « Rencontres de le Transmission d'entreprises demain ». Des professionnels - avocats, notaires, experts-comptables -, ont animé des ateliers conférence et des rendez-vous individuels pour donner des conseils et faire le point sur les services, les aides et les financements disponibles. Explications croisées, pour Corse Net Infos, de Corinne Angeli, chef de service à la CCI2B, et de Jean-Pierre Fabiani, expert-comptable et commissaire aux comptes à Bastia, président de la Commission Transmission et Création d’entreprises de l’Ordre des experts-comptables.



Entreprises : Anticiper les transmissions, un enjeu majeur pour éviter les échecs !
- Pourquoi avoir organisé ces Rencontres?
- Corinne Angeli : D’abord, pour que les gens comprennent bien qu’il faut anticiper la transmission d’entreprises. Un tiers des entreprises seront à transmettre dans les prochaines années. C’est beaucoup dans le tissu économique local. A la Chambre de commerce, avec nos partenaires de la Chambre des métiers, nous sommes là pour sensibiliser nos ressortissants à cette action de transmission et à la préparation de cette action.
 
- Ces rencontres ont-elles eu le succès que vous espériez ?
- Corinne Angeli : Nous avons eu moins de monde que prévu. La transmission est toujours, psychologiquement, une opération difficile pour le chef d’entreprise qui, en même temps que son entreprise, cède une partie de sa vie. Mais, nous sommes, quand même, contents. Tous nos partenaires étaient là : notaires, avocats, experts-comptables. Je pense que l’information est passée. C’est l’essentiel !
 
- Quel est le pourcentage des entreprises corses qui sont transmises et celles qui disparaissent faute de transmission ?
- Corinne Angeli : C’est difficile à dire ! Nous n’avons pas de chiffres vraiment exacts. Sur les quelques 20 000 entreprises corses, un tiers, soit entre 6000 et 8 000 entreprises commerciales, industrielles et artisanales, seront à transmettre dans les cinq années à venir. C’est énorme ! Ce qu’on peut affirmer, c’est que, si elles ne sont pas préparées, toutes les transmissions finiront mal. C’est certain ! Une entreprise, qui n’est pas préparée en amont à être transmise, n’est pas cédée et disparaît.
- Jean-Pierre Fabiani : Plus de la moitié des entreprises sont dans ce cas ! Le mot-clef est : anticipation. Si le dirigeant anticipe, il pourra peut-être transmettre sa société. S’il n’anticipe pas, il aura du mal à vendre !
 
- Pourquoi « peut-être » ? Est-ce si compliqué de transmettre une entreprise ?
- Jean-Pierre Fabiani : Non ! Ce n’est pas une question de complexité. Parfois, le tissu économique empêche le repreneur d’avoir le financement ou la volonté de reprendre l’entreprise au moment voulu. Le dirigeant doit, déjà, pouvoir vendre son entreprise et, aussi, optimiser financièrement la transmission. L’acquéreur peut bénéficier d’exonérations ou d’abattements massifs qui existent, mais que souvent il ignore. C’est pourquoi il doit se tourner vers les professionnels que sont les experts-comptables, en complémentarité avec les notaires et les avocats, pour optimiser ces dispositifs. Avec la Chambre de commerce, nous voulons faire prendre conscience aux dirigeants corses que, du fait de l’insularité et de l’étroitesse de notre économie, une entreprise qui ferme sans pérenniser l’emploi peut être un drame pour certaines familles.
 
- Quel type d’entreprise est majoritairement transmis : des TPE (Très petites entreprises), des PME (Petites ou moyennes entreprises) ?
- Jean-Pierre Fabiani : Des petites ou des grandes entreprises ! C’est la même chose ! Tout dépend du tissu économique local, de l’âge des dirigeants, de la taille et de la valeur des entreprises. Parfois, les valeurs sont si élevées qu’elles rendent les financements très lourds.
- Corinne Angeli : Le tissu économique local étant principalement constitué de TPE et de PME, ce sont très majoritairement des TPE. Le volet Emploi est concerné par ces opérations puisqu’une entreprise qui n’est pas transmise, ce sont des emplois perdus : aussi bien celui du chef d’entreprise que ceux des salariés de l’entreprise. Des pans d’activité peuvent, également, disparaissent, et, dans les entreprises artisanales, le savoir-faire peut ne pas être transmis.
 
- Lequel, par exemple ?
- Corinne Angeli : Par exemple, le savoir-faire des couteliers, des menuisiers…, mais aussi des photographes. Le métier de photographe a été très impacté par les nouvelles technologies. Si l’entreprise n’a pas su anticiper sa mutation aux nouvelles technologies, son fonds artisanal de photographie est, malheureusement, perdu. Il n’est plus vendable parce qu’il n’a plus de valeur sur le marché.

- Les chefs d’entreprises ont-ils du mal à lâcher leur entreprise, à anticiper ?
- Corinne Angeli : Ah oui ! Le volet psychologique est très fort à ce niveau-là. Il y a aussi un volet assez secret, comme un voile épais qui pèse sur cet acte de transmission. Les dirigeants ne veulent pas dire qu’ils vendent leur entreprise, ne veulent pas donner le prix…
 
- Les transmissions s’opèrent-elles majoritairement dans le cadre familial ou à l’extérieur ?
- Jean-Pierre Fabiani : Quand on parle de transmission, on sort du cadre familial. La transmission familiale n’est pas compliquée pour la pérennité de l’entreprise, elle est compliquée au niveau financier, au niveau des plus-values, des abattements et des exonérations. La transmission hors cadre familial est plus complexe parce qu’il faut trouver un repreneur.
 
- Y-a-t-il en Corse un vivier suffisant de repreneurs par rapport au volume d’entreprises à transmettre ?
- Jean-Pierre Fabiani : Oui ! La jeunesse corse est dynamique. Beaucoup de jeunes ont la volonté d’entreprendre et de travailler. Le tissu entrepreneurial existe, là n’est pas le problème. Par contre, il est parfois difficile pour un dirigeant de prendre conscience qu’il doit, à un moment donné, anticiper l’arrêt de son activité personnelle.
- Corinne Angeli : La reprise peut être le fait de repreneurs qui viennent d’ailleurs, mais aussi des salariés qui veulent reprendre leur entreprise. Comme ils sont les premiers au courant, ils peuvent réaliser un montage qui est facilité par des arrangements fiscaux.
 
- Que faut-il pour reprendre une entreprise ?
- Jean-Pierre Fabiani : De la volonté ! De la compétence dans certains secteurs et le financement qui va avec, soit par des fonds propres, soit par des fonds externes en complément.
- Corinne Angeli : Il faut, aussi, pour le repreneur, trouver une entreprise à céder. Dans ce cadre-là, la CCI a mis en place une bourse Transentreprises, gratuite, pour que les futurs cédants puissent mettre en ligne leurs annonces de cession et que celles-ci soient visibles par les repreneurs potentiels. C’est très important parce que le plus difficile est cette mise en relation ! Le repreneur bénéficie d’un panel d’aides de l’ADEC, notamment des prêts à taux zéro et des subventions, dans le cadre du dispositif Impresa Si qui peut aider à la reprise d’activités, et donc à la création.
 
- Les banques jouent-elles le jeu ?
- Corinne Angeli : Si l’entreprise est viable, oui ! Il y a, aussi, les outils financiers mis à disposition par la Région, à travers l’ADEC qui peut faire du cautionnement bancaire sur les prêts et des avances remboursables en prêts à taux zéro. Il y a, quand même, des montages financiers intéressants qui permettent de racheter des entreprises.
 
-  Le taux d’échec dans les transmissions est-il important ?
- Jean-Pierre Fabiani : Oui ! Plus que cela, il y a d’abord un taux d’entreprises qui n’ont pas pu être vendues. C’est bien plus grave ! J’ai vu des dirigeants obligés d’arrêter une activité qui n’a pas trouvé de repreneur alors qu’elle était rentable. Les emplois ont été perdus. C’est un drame !
- Corinne Angeli : Les échecs sont, souvent dus, à des transmissions mal préparées, parfois à des prix de vente trop élevés, qui n’étaient pas justifiés et qui ont empêché de trouver un repreneur. C’est dommage !
 
-  Quel est le taux de casse des entreprises transmises ?
- Corinne Angeli : Il est surtout important sur la création d’entreprises. Si celle-ci n’a pas été bien préparée avec l’aide de bons professionnels, un prévisionnel de financement et un plan de trésorerie dignes de ce nom, le taux de casse peut atteindre 50% dans les trois ans !
- Jean-Pierre Fabiani : Le montage financier initial est souvent erroné. L’entrepreneur oublie de financer le décalage de trésorerie, c’est-à-dire le besoin en fonds de roulement. Parfois, les montages financiers sont faits uniquement en résultante des charges et des produits, sans tenir compte du décalage en décaissement ou en encaissement. Ce point-là peut être fatal et doit être discuté, notamment avec les banques, si le porteur de projet n’a pas un apport financier suffisant.
 
- Quels conseils donnez-vous aux deux parties?
- Jean-Pierre Fabiani : Je le répète, le maître-mot, pour le dirigeant, est : anticiper. Il ne doit pas hésiter à se confier, à partager les problématiques avec les experts, à travailler ensemble sur le projet. Il y a en permanence des évolutions fiscales, juridiques ou techniques qui rendent cette opération difficile. Faire appel à ces compétences est la seule façon d’optimiser les choses. Le dirigeant ne doit pas l’oublier ! De même, le repreneur doit optimiser le financement et l’exploitation par le biais d’aides éventuelles, et vérifier la faisabilité de son projet.
- Corinne Angeli : Le cédant doit impérativement préparer la cession bien des années avant et se poser les bonnes questions : a-t-il choisi la bonne formule juridique ? Ne va-t-il pas trop payer ? Les professionnels sont là pour l’aider.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Corinne Angeli, chef de service à la CCI2B, et de Jean-Pierre Fabiani, expert-comptable et commissaire aux comptes à Bastia, président de la Commission Transmission et Création d’entreprises de l’Ordre des experts-comptables.
Corinne Angeli, chef de service à la CCI2B, et de Jean-Pierre Fabiani, expert-comptable et commissaire aux comptes à Bastia, président de la Commission Transmission et Création d’entreprises de l’Ordre des experts-comptables.