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Elections Territoriales : Trois mariages de raison et un second tour à multiples inconnues


Nicole Mari le Lundi 7 Décembre 2015 à 22:08

Sept listes sur 12 sont, donc, qualifiées pour le second tour des élections territoriales, deux de droite, deux de gauche, deux nationalistes et une Front National. Après une journée d’intenses négociations, l’union est actée à droite et chez les Nationalistes, elle se précise à gauche. Seul, le Front national, qui est resté à l’écart de cette agitation, poursuit sa marche solitaire. Ces trois mariages de raisons et leur poids quasiment équivalent en termes électoraux engendrent un certain nombre de questions et d’incertitudes qui rendent tout pronostic pour le 2nd tour, impossible à formuler.



L'hémicycle de l'Assemblée de Corse.
L'hémicycle de l'Assemblée de Corse.
Le 1er tour des élections territoriales a laissé un peu tout le monde groggy ! Après le choc, plus ou moins heureux des résultats, et la nécessaire analyse qui les a suivis et occupé, une bonne partie de la nuit, les états-majors des différentes listes qualifiées pour le 2nd tour, est venu, dès lundi matin, le temps des tractations. Les grandes manœuvres attendues, que l’on pensait complexes, se sont avérées finalement assez simples. L’élimination des petites listes, notamment des trois de gauche, celle d’Emmanuelle De Gentili, de Jean-Charles Orsucci et de Jean Zuccarelli, a clarifié presque schématiquement la donne. Ne restant en course que deux listes de droite, deux listes de gauche, deux listes nationalistes et une liste Front national, qui fait cavalier seul, les rapprochements s’imposaient de facto à l’intérieur des mêmes familles politiques. La faiblesse des scores de chacun n’a guère laissé de choix : la droite a fusionné avec la droite, les Nationalistes avec les Nationalistes et la gauche avec la gauche. Mais cette équation, à priori simple et claire, n’aboutit que sur des mariages de raisons aux multiples inconnues.
 
Le Rassemblement à droite
L’accord à droite avait été signé et médiatisé, bien avant le premier tour grâce à un arbitrage parisien. Mais vu le contentieux, plus apprêté que sensé, qui s’éternisait et divisait le camp libéral, les petites phrases assassines négligemment décochées au cours de la campagne, les réticences et les rancœurs affichées, les divergences de vues et d’intérêts…, il semblait plus relever d’un vœu pieu que d’une certitude, d’un mariage forcé que d’un réel désir de s’unir. Et pourtant, c’est, en une poignée d’heures, avec une apparente facilité, que l’union s’est faite sous un nom qui est, en soi, tout un programme « Le Rassemblement » et sur un objectif : battre l’Exécutif sortant en dissuadant les électeurs de céder à la tentation nationaliste ! Les deux camps, étant arrivés quasiment ex-aequo, à un score bien trop bas pour poursuivre l’aventure séparément, les guerres intestines ont vite fait place à un pragmatisme de bon aloi.
 
L’union du mouvement national
Encore plus improbable apparaissait l’union entre les Nationalistes qui lui couraient après, en vain, depuis au moins trois décennies. Minés, eux aussi, par d’incessantes et douloureuses querelles, ils étaient, surtout, plombés par une vraie fracture idéologique entre autonomie et indépendance et irrémédiablement divisés sur le choix exclusif ou non de l’action démocratique. Adossée à des préalables que les uns jugent indispensables et les autres, inacceptables, l’union du mouvement national semblait aussi peu désirée qu’elle était fortement demandée. Même si après l’âpre épisode des municipales bastiaises, le dépôt des armes par le FLNC avait levé un tabou, le chemin semblait encore long et ardu. Mais, les Nationalistes ont pris aussi l’habitude des mariages de raison. Et, finalement, sous la pression de la base et des circonstances, celui-ci s’est conclu, lui aussi, plus vite que prévu.
 
Nouveau pacte à gauche
Si l’union de la gauche est une constante électorale qui ne se fait jamais sans heurts, mais toujours sur des intérêts diversement partagés, elle n’était pas du tout au programme du président de l’Exécutif sortant. Naviguant sans aucun état d’âme d’un bord à l’autre de l’échiquier politique insulaire, Paul Giacobbi rêvait à d’autres alliances que celles passées en 2010 avec des alliés, jugés désormais encombrants, parfois inutiles, voire obsolètes. Le conclave de Venaco semblait avoir définitivement vécu. Mais là aussi, les urnes en ont décidé autrement. Et le leader de la gauche corse, soudain bien esseulé, se voit forcé de repartir en tandem avec la seule autre liste de gauche qui survit au naufrage. Nécessité fait aussi loi pour le Front de gauche dont le score trop faible ne lui permet pas de se maintenir tout seul au 2nd tour. Il n’a d’autre recours que de fusionner, malgré les nombreuses trahisons qu’il reproche à Paul Giacobbi, et la présence honnie sur la liste de François Tatti, qu’il considère comme le fossoyeur de la gauche bastiaise.
 
De multiples inconnues
Trois mariages de raison, donc, pour les trois listes majeures qui, vont, avec le FN, s’affronter au 2nd tour, mais qui ne confèrent à aucun des trois blocs, ainsi formés, de véritable préséance. L’union des deux listes de droite totalise, sur le papier, 25,87% des suffrages exprimés, soit plus de 34 600 voix. Celle des deux listes nationalistes pèse 25,34%, soit 33 945 voix. Celle des deux listes de gauche est plus en retrait avec 23,98%, soit 32 135 voix. Il est totalement impossible de dire, en l’état, qui l’emportera tant les inconnues sont multiples.
La première est que nul ne peut savoir si la dynamique, censée être engendrée par ces alliances, fonctionnera et permettra le report des voix. A droite, comme à gauche, et encore plus chez les Nationalistes, le pari de l’union sera-t-il gagnant ? Comment les électeurs de Femu a Corsica, par exemple, dont beaucoup ne sont pas nationalistes, vont-ils apprécier la fusion ? Que feront, également, les 3451 électeurs d’U Rinnovu ? Paul-Félix Benedetti, amer d’avoir été laissé sur le bord de la route par ses coreligionnaires, n’est pas prêt de donner une consigne de vote.
 
Le choix des dissidents
Une autre inconnue porte sur les listes dissidentes de gauche, qui n’ont pas franchi le seuil des 5 %. Donneront-elles ou non des consignes de vote en l’absence d’enjeux immédiats ? Les Progressistes vont-ils appeler à voter les Nationalistes, dont ils sont proches, même en cas d’ukases parisiens ? Peuvent-ils, sans perdre la face, appuyer Paul Giaccobbi dont ils ont éreinté la gouvernance et dont ils se sont politiquement fortement éloignés ? Emmanuelle De Gentili, qui n’a pas cédé en 2014 lors des Municipales bastiaises, donnera sa position, mercredi. Jean-Charles Orsucci, qui revendique sa proximité avec les autonomistes, notamment dans son fief bonifacien, ne pourra pas s’en exonérer.
Même question chez les Conservateurs. Que feront Jean Zuccarelli et Aline Castellani qui, à longueur de campagne, ont fustigé la dérive nationaliste de Paul Giacobbi et ses trahisons vis-à-vis du pacte de Venaco ? Ils ont, avant le 1er tour, annoncé, de façon sibylline, leur ralliement à ceux qui présentaient une vraie garantie républicaine, ce qui semblerait exclure le président de l’Exécutif sortant, même si celui-ci a, en prévision, amorcé un nouveau virage à 180 degrés lors de son dernier meeting.
 
La nécessité de mobiliser
Une nouvelle inconnue porte sur l’évolution du vote Front national.
Avec 10,58 % des suffrages, le FN a engrangé 14 176 voix au 1er tour. Est-ce un vote de conviction, de protestation ou de peur liée à la brûlante actualité des attentats de Paris ? Même si le parti de Marine Le Pen capitalise un peu plus à chaque élection, le FN va-t-il conserver son électorat au 2nd tour, l’agrandir ou bien pâtira-t-il du vote utile ?
La dernière inconnue réside dans le taux de participation. Presqu’un électeur sur deux a boudé les urnes au 1er tour. Les candidats, qui sont au coude-à-coude, auront besoin de ratisser large pour creuser l’écart et emporter l’élection. Quelle sera leur capacité à mobiliser une partie des abstentionnistes ? Et à qui profitera cette mobilisation ?
Autant de questions qui plongent l’issue de ce 2nd scrutin dans une incertitude totale qui ne prendra fin que dimanche prochain.
 
N.M.