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Conseil municipal de Bastia : Bataille électorale sur le Puntettu


Nicole Mari le Jeudi 7 Novembre 2013 à 00:10

Séance musclée au Conseil municipal de Bastia, mercredi soir, aux allures de campagne électorale en présence des 4 principaux candidats. Si la polémique a jailli sur la question des parkings, elle s’est, comme prévu, focalisée sur le rapport de l’enquête publique concernant le Puntettu où les passes d’armes se sont multipliées entre la majorité, l’opposition et même la dissidence. Réaction, pour Corse Net Infos, de Gilles Simeoni, leader d’Inseme per Bastia.



Conseil municipal de Bastia : Bataille électorale sur le Puntettu
On se serait cru en plein débat électoral. Avant même l’ouverture de la séance, la salle des délibérations de la mairie de Bastia bruissait de la fébrilité et de l’affluence propres aux grands soirs. Tout le monde savait que l’épineuse question du Puntettu, à l’ordre du jour, ne pouvait que nourrir la polémique en ces temps de début de campagne où elle cristallise un des principaux points de fracture entre majorité et opposition. Le candidat de droite, Jean-Louis Milani, ne s’y est pas trompé, il était présent sur les bancs du public pour affirmer son opposition au projet. Sur le fond, comme sur la forme, les passes d’armes et les prises de becs, qui ont émaillé toute la séance, ont prouvé, si besoin encore en était, à la fois, la rudesse de la bataille électorale et la nervosité de l’équipe sortante dont le fief n’a jamais été aussi menacé. Fragilisée par ses dissensions internes, la vieille garde Zuccarelliste a fait feu de tous bois contre tous ses adversaires, des nationalistes honnis aux amis d’hier entrés en dissidence.
 
Une question d’éthique
Pourtant, c’est sur un autre sujet, celui des parkings, qu’intervient le 1er vif incident de séance de la soirée. A l’occasion du vote sur une modification budgétaire concernant les parcs de stationnement, Gilles Simeoni, le leader d’Inseme per Bastia, s’étonne de la mise en œuvre d’un dispositif de gratuité de la première demi-heure de parking dont le financement par l’ADEC, pose, selon lui, un problème éthique. Ce dispositif qu’il avait proposé, il y a plus d’un an, à la requête des commerces de Place d’Armes étiolés par le manque de place de stationnement, Ange Rovere, le 1er adjoint délégué aux finances, l’avait, à l’époque, jugé illégal et infaisable. « Je m’étonne que ce qui était, il y a un an, jugé infaisable légalement et juridiquement, le devienne depuis 2 jours. Ce dispositif, financé par l’ADEC, n’a été mis en place qu’à  Bastia, pas à Porto-Vecchio, ni Ajaccio, ni ailleurs. D’un point de vue du droit électoral, est-il normal qu’un candidat aux élections municipales, président de l’ADEC, finance un dispositif qui bénéficie uniquement à la ville dont il est candidat ! ».
 
Le camp de Bastia
En clair, le leader nationaliste accuse son adversaire d’utiliser l’argent d’un organisme territorial, « de façon opportune, voire curieuse en début de campagne électorale ». La critique attire immédiatement l’ire des Zucarelli père et fils. Le premier juge « l’amalgame tout  à fait insupportable ». Le second trouve « malvenu » que l’on puisse « mettre en cause la sincérité de notre action ». Il justifie cette mesure par « la volonté politique » de promouvoir un plan de redynamisation du commerce de centre-ville et « de chercher les voies et moyens pour y parvenir ». Il la replace dans « un plan de mesures très importantes pour Bastia » prises à l’initiative de l’ADEC et des élus locaux. Et apostrophe son adversaire : « Vous êtes dans quel camp ? Nous nous sommes dans le camp de Bastia ! ». L’opposition hue. Le public se moque. Emile Zuccarelli refuse le droit à Gilles Simeoni de répondre. Ce qu’il fera à plusieurs reprises tout au long de la soirée. La tension monte d’un cran.
 
Le Puntettu en suspens
Dans cette atmosphère déjà surchauffée, le débat sur les conclusions de l’enquête publique du Puntettu ne pouvait que dégénérer. Dès le préambule, le 1er édile ne fait pas dans la dentelle et, nonobstant la forte opposition au projet qu’il défend, salue « la volonté que je qualifierai d’héroïque » et « l’opération spectaculaire » de rénovation du centre ancien. « Il faut faire en sorte que ce quartier mort, sans vie, sans commerce, revive. Il faut intervenir rapidement. Allez vous balader au Puntettu, si vous voyez un enfant, appelez-moi ! ». La provocation fait bondir le public. Sans s’émouvoir, le maire entreprend de résumer le rapport du commissaire enquêteur qui donne un avis favorable au projet, mais en émettant deux conditions suspensives. La première est d’attester la faisabilité du parking, notamment par une étude géologique. Emile Zuccarelli estime que cette condition est levée par la remise d’un rapport de sondages géotechniques réalisés en octobre par le maître d’ouvrage. Ce que réfute Gilles Simeoni qui affirme que la société en question n’a pas la compétence technique pour effectuer une analyse sérieuse du sol. Le maire botte en touche en renvoyant la décision dans les mains du Préfet.
 
Un plan B
La polémique se noue autour de la 2ème condition qui concerne la demande de classement aux Monuments historiques de la Casa Montesoro, située 2, rue du Bastion. Celle-ci suspend la réalisation du projet à l’avis de la Commission régionale des sites qui devrait statuer en décembre. La 1ère attaque n’arrive pas du côté attendu. A la surprise générale, c’est François Tatti, l’ex-adjoint aux travaux et candidat dissident à la Mairie, qui ouvre l’offensive. « Le risque existe pour le projet d’avoir un tel classement avec les problèmes financiers en cascade que cela peut entrainer. Avez-vous un plan B ? », interroge-t-il.
La question n’est pas du goût de son ancien mentor qui ironise sur « ce fameux plan B sorti de derrière les fagots » et fustige « un blocage très antipathique d’une opération nécessaire d’un point de vue social, urbain et même patrimonial ». Une méprisante fin de non-recevoir qui provoque une prise de bec entre les deux ex-alliés. François Tatti fait remarquer qu’en tant qu'ex-responsable des travaux de la ville, il sait de quoi il parle et rappelle le projet du cimetière qui a été bloqué pendant 20 ans.
 
Un projet contre l’autre
Sur sa lancée combattante, Emile Zuccarelli s’en prend à Gilles Simeoni et descend en flèche, à l’appui du rapport du commissaire enquêteur, le projet alternatif sur le Puntettu proposé par Inseme per Bastia. « Le commissaire enquêteur fait un sort à votre projet alternatif qui veut ménager la chèvre et le chou. Le plan que nous proposons est le meilleur pour la sauvegarde du patrimoine que nous sauvons de la ruine. Le bâti ancien, c’est nous qui le conservons car, si nous n’intervenons pas, il va nous tomber dessus ».
Des propos qui provoquent l’hilarité générale du public et de l’opposition.
La tension s’envenime avec Ange Rovere qui enfonce le clou avec une évidente jubilation en lisant des extraits du rapport d’enquête démontant le projet d’Inseme : « Ce rapport oppose deux projets politiques : le nôtre et le vôtre qui est un projet global, basé sur la spéculation privée. Votre projet a voulu se présenter comme une alternative crédible. Or, dans tous les domaines, ce dossier et cette démarche sont taillés en pièces par l’enquête publique. Votre projet manque de compétence et tire Bastia vers le bas. En face, notre projet sérieux prouve qu’on sait gérer et sauve le Puntettu ». Le 1er adjoint conclut sa diatribe dans le brouhaha général, sous les applaudissements des élus de sa majorité et l’hostilité du public.
 
Un rapport lacunaire
L’accusation réitérée de spéculation fait bondir Gilles Simeoni, partagé entre l’incrédulité et la dérision : « Vous dites n’importe quoi ! Allez demander aux habitants du Puntettu s’ils sont des spéculateurs ! Venir nous traiter de spéculateurs est dérisoire et insultant, même si on a tous bien compris les intentions derrière ». Le leader d’Inseme per Bastia, à qui le maire, malgré son évidente envie d’en rester là, est bien obligé de concéder un droit de réponse, déplore, encore une fois, la stratégie municipale « d’avancer à marche forcée en faisant semblant de ne rien entendre de ce que disent les habitants du Puntettu, les élus d’Inseme per Bastia et les historiens ». Puis il se demande comment avec seulement 25 contributions favorables au projet contre 91 défavorables et 1636 signatures sur Internet, soit 2321 avis contre, l’enquêtrice a pu ne pas tenir compte de cette contestation sérieuse. Il dénonce « un rapport lacunaire, voire partiel. Quand il y a un rapport de 1 contre 100, n’y-a-t-il pas matière à se poser des questions ? ».
 
Des carottes et des poireaux
Gilles Simeoni riposte, ensuite, aux attaques, d’abord en s’étonnant que l’enquêtrice, censée vérifier la validité du projet municipal, « consacre les ¾ de son rapport à l’analyse de notre projet que nous avons proposé à titre superfétatoire ». Lui aussi se montre caustique : « Vous comparez des carottes et des poireaux ! Encore heureux que votre projet, qui vous a pris des dizaines d’années et sur lequel vous avez engagé des centaines de milliers d’euros pour réaliser des études, offre une analyse un peu plus complète que le notre qui résulte d’un travail militant et qui n’est qu’une esquisse dont la seule prétention est de démontrer que d’autres pistes existent ! Quand à vous, vous allez détruire un patrimoine inestimable et vous proposez de reconstruire un bâtiment dont on ne voit même pas l’esquisse sur votre projet ».

Un dérapage verbal
Ange Rovere réplique avec virulence. L’échange devient de plus en plus vif avant de déraper. A Gilles Simeoni qui lui rétorque : « Moi, je ne vais pas détruire la place de l’huile et la casa Montesoro ! », le 1er adjoint lâche : « Vous avez détruit autre chose ? ». Réaction ahurie du leader nationaliste « Qu’est-ce que j’ai pu détruire ? ». L’élu communiste persiste sous les huées du public. La séance vire dans le chaos. Le maire affiche sa solidarité avec son 1er adjoint, mais, débordé, finit par clôturer le débat.
Le Conseil municipal se poursuit tant bien que mal. Triste illustration d’une campagne qui se durcit chaque jour avec l’arrivée de nouveaux prétendants et dont l’issue plus qu’incertaine semble favoriser tous les coups bas ! On ne voit pas comment, dans ces conditions, un vrai débat d’idées pourrait s’instaurer.
 
N.M.

Gilles Simeoni, conseiller municipal, leader d'Inseme per Bastia.
Gilles Simeoni, conseiller municipal, leader d'Inseme per Bastia.
Gilles Simeoni : « Il n’y a jamais de véritable débat démocratique ! »
 
- Encore une fois, votre point de vue et celui des habitants du Puntettu ont été balayés. Etes-vous déçu de la teneur des débats ?
- Oui. Déçu mais certainement pas surpris. Nous savons que cette majorité municipale est autiste. Dans le cas du Puntettu, comme dans bien d’autres domaines, elle veut imposer à marche forcée ses vues sans jamais laisser aucune place au débat démocratique ou à l’inflexion de ses propositions. Nous sommes déterminés à continuer le combat. Toutes les villes d’Europe préservent leur patrimoine historique, Bastia serait la seule à détruire un bâtiment et une place historiques !
 
- Le débat devient-il électoral ?
- Au-delà du débat technique, ce sont les urnes qui nous départageront. Si la majorité actuelle l’emporte, ce que je ne pense pas, son projet passera et entrainera la disparition irréversible de ce patrimoine historique et culturel de Bastia. Si nous gagnons, nous proposerons un projet alternatif pour réhabiliter le Puntettu en sauvegardant son âme.
 
- N’est-ce pas étonnant que l’enquête publique se soit focalisée sur votre projet et non sur celui de la mairie qu’elle était censée évaluer ?
- C’est un paradoxe ! L’objet principal d’une enquête publique consiste normalement à recueillir les avis favorables ou défavorables et à synthétiser les avantages et les inconvénients du projet de la Mairie. Je trouve effectivement très curieux que le commissaire enquêteur consacre l’essentiel de son rapport à poser des questions sur notre projet alternatif.
Les ¾ de son rapport pointent les éventuelles faiblesses ou insuffisances de ce projet que nous avons produit à titre superfétatoire pour montrer qu’existe une solution de rénovation du Puntettu. Si demain, nous sommes en situation d’exercer des responsabilités, ce que j’espère et ce que je pense, nous creuserons cette solution alternative au plan technique et nous mettrons en œuvre un projet de réhabilitation qui préserve les éléments les plus remarquables.
 
- Ange Rovere taxe votre projet alternatif de spéculatif. Que répondez-vous !
- C’est tellement excessif que ça devient insignifiant ! Les gens que nous défendons dans le cadre du Puntettu sont des gens souvent modestes, qui habitent dans ces maisons depuis des années, qui y vivent bien, y sont attachés et ne comprennent pas pourquoi on veut les faire partir. Dire de ces gens qu’ils sont des spéculateurs est totalement dérisoire ! Par contre, la vraie question, qui se pose, est pourquoi, contre l’avis des architectes, des urbanistes et des historiens, la municipalité actuelle veut à tous prix détruire la casa Montesoro et la place de l’huile, une des 1ères places cadastrées, pour reconstruire un immeuble confié à un entrepreneur privé ?
 
- La virulence de ce conseil municipal augure-t-elle de l’évolution de la campagne électorale ?
- On sent bien que les choses se tendent. On sent surtout que l’actuelle majorité municipale est aux abois, qu’elle perd pied et qu’elle devient vite excessive, virulente, voire même insultante. Chaque fois qu’elle est contredite par des arguments développés de façon sereine, argumentée et techniquement incontestable, elle tombe dans l’excès, dans l’outrance et dans la caricature ! Chaque fois que nous émettons une voix dissonante, nous sommes stigmatisés et muselés. Cette majorité joue, en permanence, sur la diabolisation et cherche à disqualifier son interlocuteur. Il n’y a jamais avec elle de véritable débat démocratique !
 
Propos recueillis par Nicole MARI