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CTC : Une séance historique pour une mandature placée sous le signe de la paix et de l’espoir


Nicole Mari le Vendredi 18 Décembre 2015 à 00:25

C’est avec juste quelques minutes de retard qu’a débuté la séance d’installation de la nouvelle Assemblée de Corse, issue des urnes dimanche dernier. Une installation sans surprise avec l’élection, au 3ème tour de scrutin, à la majorité relative, de Jean-Guy Talamoni à la présidence de l’Assemblée et celle de Gilles Simeoni à la tête du Conseil exécutif. Les huit membres de ce Conseil sont, tous, issus des rangs nationalistes : six appartiennent à Femu a Corsica et deux à Corsica Libera. Ils ont, comme l’avait promis leur président pendant la campagne électorale, prêté serment de servir l’intérêt collectif du peuple corse. La séance s’est close sur un moment d’intense émotion avec le Dio Vi Salvi Regina entonnée par le public et repris par toute l’assemblée debout.



Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée de Corse et Gilles Simeoni, nouveau président du Conseil exécutif de l'Assemblée de Corse.
Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée de Corse et Gilles Simeoni, nouveau président du Conseil exécutif de l'Assemblée de Corse.
Beaucoup de monde pour l’installation de cette première assemblée gouvernée par les Nationalistes et la présence en nombre de la presse nationale qui, dimanche soir, avait, pourtant, complètement zappé le cataclysme du vote corse. Alors que les élus nationalistes ont commencé à envahir les couloirs et l’hémicycle dès 14 heures, ceux de l’opposition, calfeutrés dans les bureaux des deux groupes, ont attendu le dernier moment, pour apparaître. L’entrée du futur patron de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, s’est faite sous les applaudissements. Après une brève et pratiquement inaudible allocution d’ouverture de René Cordoliani, éphémère président de séance au bénéfice de l’âge, l’élection du président de l’Assemblée de Corse s’est jouée, comme attendu, en trois tours avec trois listes en lice : Gilles Simeoni, pour la majorité nationaliste, a présenté la candidature de Jean Guy Talamoni, José Rossi, pour le camp libéral, celle de Camille de Rocca Serra et Pierre Chaubon, pour le camp Giacobbiste, celle de Paul Marie Bartoli. Aux deux premiers tours de scrutin, aucun des trois candidats n’a obtenu la majorité absolue requise, chaque candidat n’ayant reçu que les voix de son groupe : 24 pour le candidat indépendantiste, 12 pour le candidat giacobbiste et 11 pour le candidat libéral. Le Front national a, chaque fois, voté blanc. C’est, donc, à la majorité relative qu’au 3ème tour de scrutin, Jean Guy Talamoni a été élu.
 
Un lieu de démocratie
Cette ascension historique d’un nationaliste au perchoir de l’Assemblée a été saluée par une ovation sur les bancs de l’hémicycle et dans les tribunes où s’entassaient les militants de Corsica Libera et de Femu a Corsica. C’est, comme il l’avait annoncé, entièrement in lingua nustrale, que Jean Guy Talamoni a prononcé son discours d’investiture où il a rappelé d’où venaient les Nationalistes et où ils comptaient aller. « Oghje, più chè mai, ci tocca à fà di st’Assemblea un locu di demucrazia induve ognunu puderà dì ciò ch’ellu criderà esse u megliu per u bè cumunu. È u nostru duvere serà di permette à ognunu d’esse ascultatu, circandu, ogni volta ch’ella serà pussibule, di fà parlà a Corsica d’una voce sola. U rispettu di l’altru, a brama di cunvince è di serve l’interessi suprani di a Corsica guideranu, ne sò cunvintu, i nostri passi à tutti ». (« Aujourd’hui, plus que jamais, il nous faudra faire de cette Assemblée un lieu de démocratie où chacun pourra dire ce qu’il estimera être le plus favorable au bien commun. Et notre devoir sera de permettre à chacun d’être écouté, en cherchant, chaque fois que ce sera possible, à faire parler la Corse d’une seule voix. Le respect de l’autre, la volonté de convaincre et de servir les intérêts supérieurs de la Corse guideront nos pas à tous, j’en suis convaincu »).
 
Une main tendue
Puis, le leader indépendantiste d’égrener la longue liste de tous ceux qui les accompagnent dans cette enceinte : « tous ceux qui ont toujours combattu les autorités françaises sur la terre de Corse… les fusiliers de Paoli, tombés à u Borgu et à Pontenovu… les militants du Front morts pour la Corse,… Marcu Maria Albertini et Ghjuvan Battista Acquaviva…la foule immense et muette de tous ceux qui ont donné leur vie pour que vive le peuple corse…nos prisonniers, nos recherchés… le souvenir de nos souffrances, de nos erreurs aussi, mais avec notre foi, avec notre sincérité, les larmes des mères désespérées, des épouses affligées… le rire de nos enfants, l’espoir immense qui nous transporte, l’amour de notre terre et de notre peuple. Nous sommes arrivés ici avec tous les nôtres, et nous sommes venus pour tendre la main ». Une main tendue, propose-t-il, à tous ceux qui ne sont pas nationalistes, ceux qui « ont appris notre victoire avec tristesse et inquiétude. Nous leur disons : vous n’avez rien à craindre. Abandonnez donc cette peur, vous qui entrez, avec nous, sur la voie de l’avenir. L’heure est venue de la réconciliation de notre communauté avec elle-même. La Corse appartient à tous les Corses, et le gouvernement national, le premier depuis le XVIIIe siècle, sera celui de tous ».
 
Ouvrir les portes des prisons
Jean-Guy Talamoni évoque, enfin, les grandes lignes du projet de société que les Nationalistes comptent mettre en œuvre au service de la langue, la terre, la justice sociale. « Nous irons à Paris et à Bruxelles, avec la force que nous ont donné les Corses dimanche, et nous négocierons les moyens de droit nécessaires pour faire que le peuple corse vive bien et qu’il soit maître sur sa terre. Nous obtiendrons l’amnistie des prisonniers et des recherchés. Les portes des prisons s’ouvriront car les Corses le veulent et que personne ne pourra s’opposer à cette volonté populaire. Dimanche, en votant pour les nationalistes, le peuple corse a dit que la Corse n’était pas un morceau d’un autre pays mais une nation, avec sa langue, sa culture, sa tradition politique, sa manière d’être au monde ».
Après une longue suspension de séance de plus d’une heure, une seule liste paritaire de 11 élus, a été constituée, à la représentation proportionnelle des groupes politiques, pour la Commission permanente et adoptée, sans vote, dans la foulée. L’élection des deux vice-présidents, malgré une seule liste en lice, a nécessité trois tours de scrutin. C’est, à la majorité relative de 24 voix, que deux conseillers issus de Femu a Corsica, Vanina Borromeï et Hyacinthe Vanni ont été élus vice-présidents, toujours sous les acclamations.
 
Deux listes
Nouvelle longue suspension de séance avant le vote des neuf membres du Conseil exécutif. Gilles Simeoni a présenté sa liste comportant six élus de Femu a Corsica : Nanette Maupertuis, Jean-Christophe Angelini, Agnès Simonpietri, François Sargentini, Fabienne Giovannini, Jean-Félix Acquaviva, Josepha Giacometti et Saveriu Luciani. Seul, le camp Giacobbiste a décidé de présenter une liste contre, conduite par Maria Gudicelli et composée de Paul-Marie Bartoli, Marie-Thérèse Olivesi, Antoine Ottavi, Josette Risterrucci, François Tatti, Delphine Orsoni, Pierre Chaubon et Marie-France Bartoli. Il faudra, là aussi, trois tours de scrutin, et un vote à la majorité relative, pour que Gilles Simeoni soit élu président de l’Exécutif. La droite s’est, à chaque fois, abstenue et le FN, fidèle à sa stratégie de départ, a continué à voter blanc. Sous les acclamations de la foule massée aux tribunes, bandere en mains, aux cris de « Simeoni. Simeoni » et « Liberta. Liberta », le nouveau président de l’Exécutif et son Conseil ont rejoint, après maintes embrassades, les bancs qui leur sont consacrés.
 
Un chemin nouveau
C’est avec beaucoup d’émotion, la voix enrouée de fatigue, passant d’une langue à l’autre, que le nouveau patron de la Corse entame un long discours politique solennel et fort. Revenant sur le scrutin de dimanche, il estime que les Corses ont choisi, « de rompre avec le système politique ancien, d’ouvrir un chemin nouveau : celui de la démocratie et de l’espoir, celui de la paix et du développement, celui d’un peuple corse reconnu dans ses droits et maître de ses choix essentiels, celui d’une société corse émancipée, ouverte et généreuse ».
Il martèle que « la victoire ne peut pas être celle d’un camp sur un autre. Elle est et doit devenir la victoire de la Corse et de l’ensemble des Corses.. Nous combattons, de façon démocratique mais sans faiblesse, un système archaïque, ses travers, ses dérives, ses excès, parce que nous pensons qu’il a fait et continue de faire beaucoup de mal à la Corse ». Et réaffirme sa volonté d’ouverture et de travailler avec l’opposition pour « refuser les logiques d’assistance, de clientélisme, de collusions, et nous engager ensemble pour la démocratie, la transparence, et la construction d’une société corse développée, juste, et solidaire. C’est à cette condition que nous serons, les uns et les autres, à la hauteur des espérances et des enjeux ».
 
Priorité à la paix
Il estime que cette élection marque un moment charnière qui est, à la fois, « l’aboutissement d’une longue route » et « le point de départ d’une nouvelle ère ». Avouant : « Nous savons désormais que ce combat, dont tout laissait penser qu’il ne pouvait être que perdu, est gagné… Qu’il sera gagné dans la démocratie, dans l’allégresse, dans la joie… grâce à l’expérience des anciens, grâce aux sacrifices des militants, grâce à l’enthousiasme et la créativité de la jeunesse, grâce à l’implication des forces vives ». Il revient, lui aussi, sur le souvenir des souffrances et des épreuves pour instaurer le temps de la paix : « pierre fondatrice » de l’émancipation politique, économique, sociale, et culturelle. « C’est le premier engagement que nous avons pris devant notre peuple, la première mission que nous nous sommes fixés ».
 
Un enjeu majeur
Conscient de la brièveté de la mandature, il s’engage à tenir rapidement ses promesses en matière de démocratie, de transparence, et d’équité, dans tous les actes de la vie publique : accès à l’emploi public, marchés publics, subventions… « Il s’agit d’un enjeu majeur, non seulement pour redonner confiance aux citoyens en la politique et écarter tout risque de dérive ou de collusion, notamment en matière d’argent public ».
S’engageant également à respecter les prérogatives de chacun et à impliquer l’ensemble des forces vives dans la définition et la mise en œuvre du projet collectif, il entend utiliser ce mandat écourté pour « traiter et régler des problèmes pendants depuis des décennies : transports, déchets, désertification de l’intérieur, sous-développement économique et social » et construire la collectivité unique, dans le respect des personnels, des équilibres territoriaux et historiques de l’île « aujourd’hui menacés, comme l’Alta Rocca, par une réforme de l’intercommunalité inadaptée ».
 
Un dialogue plus constructif
L’autre enjeu majeur, considérée comme une « nécessité vitale et absolue », est la concrétisation des délibérations de l’Assemblée de Corse, « restées à ce jour sans suite, ni effets » : coofficialité de la langue corse, transfert de la compétence fiscale et arrêté Miot, politique foncière et statut de résident, pouvoir législatif, inscription de la Corse dans la Constitution. Il en profite pour s’adresser solennellement au Gouvernement et à l’Etat afin qu’il prenne la mesure du bouleversement en cours : « Un Etat qui ne peut plus être le seul à vouloir échapper à l’évidence : le peuple corse existe et il sera reconnu, parce que cela est conforme à l’Histoire et au Droit. La Corse, territoire insulaire, bénéficiera d’un statut lui conférant pouvoir législatif, parce que cela s’imposera de façon naturelle comme une évolution politique et institutionnelle inéluctable, y compris au plan européen ». Il fustige un silence de l’Etat, compris comme « la prolongation d’un rapport de force conflictuel », qui « tourne le dos à l’Histoire, tant sur le terrain des idées que sur celui des faits » et plaide pour l’ouverture d’un nouveau dialogue serein et constructif. « Cinquant’anni fà, avemu fattu un sonniu. A rombu di lotte, di strapazzi, di sacrifizii, avemu suminatu speranza è fiaccula di vita. A causgiula di a cuscenza naziunale, sguasi spinta, hà infiaratu pieve è paesi. Simu un populu. Simu vivi. E simu arritti…. Nous allons, avec tous les Corses, faire que le rêve devienne réalité ».
 
Le serment aux Corses
Dans le public et dans les travées, l’émotion est telle que des gens pleurent. La salle est en liesse et quand une voix féminine entonne, d’un des balcons, le Dio vi Salvi Regina, l’assemblée entière, tous groupes politiques confondus, se lève pour chanter à l’unisson.
Symbolique, cette séance historique veut l’être à plus titre. Non seulement au niveau des mots et des engagements, mais aussi des actes. Pour bien marquer la rupture avec des pratiques tant dénoncées, Jean-Guy Talamoni lit la charte de l’élu local en précisant : « La seule difficulté, qui n’est pas prévu par ce texte, est que nous ne sommes pas des élus locaux, mais des élus nationaux ». Puis, de façon toute aussi solennelle, le Conseil exécutif se regroupe en arc de cercle et, comme son président l’avait annoncé, lors de sa campagne électorale, prête serment d’intégrité, d’équité, de transparence et de respect des droits démocratiques, de d’intérêt général au service du peuple corse. Un serment, lu en corse par Petru Anto Tomasi, et effectué sur « la Giustificazione », le livre mythique de la pensée paolienne tenu par Jean-Guy Talamoni. Et c’est, emportés par la liesse populaire dans les rues de la ville jusque sur les marches de l’église Saint Roch que les nouveaux patrons de la Corse commencent leur mandature.
 
N.M.