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Assises de la Haute-Corse : Deux pompiers et la fatalité


Nicole Mari le Mercredi 6 Février 2013 à 22:32

Trois affaires criminelles sont au menu de la première session d'assises 2013 de Haute-Corse qui a débuté, lundi matin, par un viol conjugal à huis clos et une condamnation avec sursis. Cette seconde affaire concerne deux pompiers de Ghisonaccia accusés, notamment, d'homicide involontaire pour une histoire de vol de portefeuille qui a mal tourné, le 29 janvier 2008. Un enchaînement de faits qui a conduit, par une fatalité malheureuse, à la mort d'un homme et à la mise en accusation de deux autres qui, en dehors de ce qui leur est reproché ce soir-là, jouissent d’une réputation exemplaire. Les débats dureront trois jours.



Assises de la Haute-Corse : Deux pompiers et la fatalité
On dirait une tragédie grecque tant la fatalité semble peser sur cette triste affaire où des hommes jugés vertueux se retrouvent pris au piège d'un fait qui aurait du rester banal, mais qui, par l’enchaînement imprévisible des causes, dégénère en tragédie. Comment un vol de 20 € a-t-il causé la mort d'un homme ? Pourquoi deux frères, Yann et Anthony Pini, deux pompiers de Ghisonaccia, considérés comme exemplaires et non violents, ont-ils fait irruption dans la maison de la victime ? Y-a-t-il eu ou non violences physiques après l'altercation qui a suivi ? Ces sauveteurs professionnels ont-ils, en toute conscience, quitté un homme en proie à un malaise mortel ? Ce sont les questions auxquelles devront répondre les six jurés de la Cour d'assises de Bastia, présidée par David Macouin, après trois jours de débats.
 
Retour sur les faits
Le 29 janvier 2008 à 20h05, Mickaël Tchepitchian décède, à son domicile, d'une crise cardiaque, suite à l'irruption dans son appartement de Yann et Anthony Pini, venus récupérer le portefeuille de leur mère qui aurait été volé, deux heures plus tôt, dans un supermarché de Travo. Ghislaine Jimenez-Tchepitchian, la femme de la victime, prétend avoir ramassé le portefeuille par terre devant le magasin et l'avoir ramené chez elle. Elle reconnaîtra, en garde à vue, avoir volé l'argent qu'il contenait. Elle sera, effectivement, condamnée, le 15 juillet suivant, en correctionnelle, à une amende de 100 € pour ce vol.
Alertés par leur mère, qui a identifié le voleur potentiel, les deux pompiers se rendent à son domicile, situé à Solaro. Selon Ghislaine Jimenez, ils seraient rentrés de force et auraient frappé les 3 personnes présentes : elle-même, son mari et son fils, Jean-Marc Molina. La dispute dégénère. Les pompiers découvrent, sur la table, la carte bleue de leur mère et deux photos des enfants de Yann Pini. Ils les récupèrent et quittent la maison, après qu’Anthony pousse Mickaël Tchepitchian qui s'effondre contre un mur. Ce dernier, handicapé moteur, épileptique et porteur d'une pile, âgé de 36 ans au moment des faits, succombera à une crise cardiaque, malgré les efforts de son épouse et de son beau-fils pour lui apporter les premiers secours et l'intervention des pompiers et des médecins urgentistes.
 
Un acte tragique
"Il n'y a pas de jour où on pense à ce qui s'est passé, ce soir-là. C'est une situation qui est très lourde à porter, compte tenu de la finalité et de l'entourage", explique, d'emblée, Yann Pini. Il dira, plus tard : « Un vol de portefeuille ne mérite pas ça ! ».
"Nous sommes dans un endroit où on n'a pas l'habitude d'être. C'est difficile. Tous les jours, on a une pensée pour la famille de la victime. C'est dur, aussi, pour nos familles", renchérit Anthony, aussi mal à l'aise que son frère ainé.
Tous deux sont accusés de violence volontaire ayant entraîné la mort sans intention de la donner et de 3 délits connexes : violence volontaire en réunion n'ayant pas entraîné d'incapacité supérieure à 10 jours, violation de domicile et non-assistance à personne en danger.
Ils risquent 15 ans de réclusion. N'ayant jamais été incarcérés pour cette affaire, ils se sont présentés libres à l'audience.
 
La violence en question
Représentés par Me Gilles Simeoni et Me Cynthia Sigrist-Costa, les deux pompiers contestent toute violence physique et affirment être rentrés dans la maison, avec autorité, mais sans donner de coups. Anthony reconnait avoir repoussé la victime qui s’avançait vers lui, mais sans relever de défaillance. Ils ont, selon eux, quitté le domicile, sans avoir eu conscience du danger que la victime courait, ignorant qu’elle était cardiaque et qu’elle portait un pacemaker. Craignant « une embrouille », ils ont, néanmoins, appelé leurs collègues pompiers et se sont rendus au Commissariat porter plainte et faire une déposition.
Ce n’est évidemment pas l’avis de la partie civile qui veut démontrer que les pompiers, ont, sous le coup de la colère, agressé la victime, sa femme et son beau-fils et qu’un de leurs coups a été mortel. L'enjeu principal du procès étant de déterminer s'il existe ou non un lien de causalité entre la mort de la victime et les actes des deux pompiers.
 
Des vies exemplaires
Cette première journée d'audience, qui s'est avérée, au final, favorable à la défense, a débuté avec l'examen des parcours de vie des deux prévenus qui trace le portrait de "gens honnêtes et travailleurs, bien sous tous rapports", selon le mot du président Macouin. Aucun témoignage ne viendra ternir cette image de "fils dévoués", s'occupant "admirablement" de leur père rendu infirme par un accident de voiture, celle de "pompiers exemplaires, dotés d'un grand sens moral, sérieux, compétents, très humains", capables d'actes de bravoure, d'hommes impliqués dans la vie sociale et associative de leur région. "Je suis surpris de voir mes deux personnels placés dans cette position. Je ne pense pas un seul instant qu'ils puissent faire ce dont on les accuse. C'est tout à fait inadmissible ! S'ils s'étaient rendus compte de quoi que ce soit, ils auraient fait ce qu'il fallait faire. D'ailleurs, ils ont repris immédiatement leur travail". L'hommage du Lieutenant Paul Andreani, Chef du Centre de secours de Ghisonaccia, résume le sentiment général de tous les témoins qui défileront à la barre. Et celui d'une fatalité malheureuse. "Ce n'est pas juste. Ils n'ont pas eu de chance, avec le malheur qu'il y avait dans la famille", commentera un autre témoin.
 
Des incidents daudience
Cette succession de louanges va fortement irriter la partie civile, notamment Me Victor Gioia, avocat du père et des frères de la victime, qui tentera, en vain, de casser cette trop belle image. La matinée sera émaillée d'incidents entre lui et Me Simeoni. Le président Macouin sera obligé d'intervenir à plusieurs reprises pour recadrer l'avocat marseillais qui voit, dans cette belle unanimité, une sorte d’union sacrée pour dédouaner les deux pompiers, enfants du cru, bien insérés dans la société locale.  
La journée va être d’autant moins facile pour la partie civile qu’elle va devoir entièrement remplir le rôle de l’accusation à la place d’un ministère public, peu offensif à l’égard des prévenus. Initialement, le Parquet n’avait pas souhaité poursuivre les prévenus pour homicide involontaire et voulait renvoyer l’affaire en correctionnelle. Le vice-procureur, Alain-Octuvon Basile, restera grandement silencieux pendant les débats, ses rares questions visant plutôt à souligner les fluctuations et les incohérences des deux témoins oculaires, dont l’audition va faire largement le jeu de la défense.
 
Une accusation débordée par elle-même
Les deux témoins directs du drame expliquent, longuement et de manière virulente, qu'il y a eu violences physiques, mais varient à qualifier son intensité. Seulement, les médecins urgentistes, comme l'expertise médico-légale, sont formels : il n'y a aucune trace de violence ni sur la victime, ni sur les témoins. Et les gendarmes ne notent pas de désordre particulier sur la scène du crime, qui témoignerait d'une scène de violence. 
Pressé par les interrogations fines et patientes du Président Macouin qui tente de débrouiller l’écheveau confus des faits, l’épouse de la victime va, également, s’enferrer en accusant les deux pompiers de n’avoir pas, comme leur métier leur commande, secouru son mari à terre, en train de convulser.
Une version des faits contredite par son propre fils, lui-même handicapé, qui certifie que les pompiers sont partis trop vite pour s’en rendre compte. « Ils nont pas vu. Ils nont pas fait gaffe. Ils nont même pas fait attention à ce qui sest passé. Ils nont même pas cherché à comprendre. Ils ont pris la carte bleue et sont partis ». Le Président Macouin lui fera répéter à 3 reprises sa déclaration.
Me Sébastien Sébastiani, conseil de la veuve et de son fils, aura fort à faire pour réparer l’impression désastreuse de cette double audition.
Pour sa part, la défense boit du petit lait. Me Simeoni aura beau jeu de demander au président de prendre acte des propos de Jean-Marc Molina qui, sans le vouloir, dédouane les prévenus du délit connexe de non-assistance à personne en danger.
 
Un étrange comportement
Le président Macouin va également tenter de comprendre le comportement étrange de l’épouse de la victime qui persiste à nier détenir le portefeuille en sa possession alors que la dispute dégénére. « Pourquoi ne prévenez-vous pas les pompiers que votre mari est cardiaque ?», enchaîne, perplexe, le procureur. La veuve répond après un long silence embarrassant : « Je nai pas pu leur dire » et fond, bien à propos, en larmes.
La partie civile va, un peu, reprendre la donne en début de soirée en tentant de pousser les deux frères dans leurs retranchements et de les faire trébucher sur leurs déclarations, sans y parvenir vraiment. Yann Pini reconnaît, néanmoins, que pénétrer dans le domicile de la victime pour récupérer le portefeuille était « une erreur. Notre intrusion a pu être vécu comme un moment difficile pour les gens, chez qui, nous sommes rentrés », mais récuse l’idée d’avoir voulu se faire justice eux-mêmes. Son frère va justifier cet acte par la nécessité de récupérer rapidement, avant qu’elle ne soit utilisée la carte bleue de son père infirme, qui était sous tutelle.
La journée se clôture sur un goût d’inachevé. Malgré l’endurance du président Macouin, nombre de points restent en suspens. L’audience se poursuit, ce mardi, avec notamment l’audition des experts médicaux.
N. M.