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Ajaccio : Cérémonie en hommage à Pierre Griffi


Marilyne SANTI le Samedi 23 Août 2014 à 23:59

Une cérémonie en hommage à Pierre Griffi, alias « Deni s» s'est déroulée au début de la semaine, place de la gare ferroviaire, sur le square qui porte déjà son nom à Ajaccio. Cette cérémonie s’est déroulée à l’initiative des Résistants et des « Amis de la Résistance ». Charles Mariani (ANACR 2A) a rappelé lors de son intervention le parcours de ce héros de la résistance. Pierre Griffi résistant de la première heure, reste pour la mémoire collective le symbole de ce lien vital établi fin 1942 entre Résistance corse et les Forces françaises d’Alger. En honorant sa mémoire les pensées des « amis de la résistance » sont aussi allées au glorieux sous-marin Casabianca et à son valeureux équipage commandé par le Commandant l’Herminier. A Vero (Corse-du-Sud) sur la Place Commune, deux plaques commémorent la mémoire de Pierre Griffi A Alger, un Square porte son nom.



Ajaccio : Cérémonie en hommage à Pierre Griffi
C’est le 18 Août, au petit matin, que Pierre Griffi a été fusillé par les fascistes à Bastia. Ses dernières paroles ont été pour ses compagnons prisonniers : « Bonne chance dans la vie ! » leur avait-t-il lancé en passant devant les cellules du couloir qui le menait à la mort. Il est mort courageusement, sans avoir cédé, durant des semaines, aux tortures de ses geôliers. Condamné à mort par le tribunal du VIIème corps d’armée à l’issue de 3 journées de procès, Griffi meurt à quelques jours du 9 septembre 1943, début de la libération de la Corse par les hommes du bataillon de choc débarqués d’Alger et appuyés par l’insurrection armée des patriotes du Front National.

Bref rappel du contexte en Méditerranée en 1942

Pour les alliés, l’année 1942 fut difficile sur tous les fronts. En Méditerranée l’armée britannique recule face à Rommel en Egypte, Tobrouk tombe aux mains des allemands durant l’été, la route du Caire leur semble ouverte… L’ile de Malte est écrasée sous les bombes de la luftwaffe de Goering basée en Sicile - Malte ne peut être ni secourue, ni ravitaillée. La Crète est tombée aux mains des Allemands au printemps 1941 - laissant  12 000 prisonniers Britanniques. Les britanniques doivent faire face à une triple mission : ravitailler Malte, l’armée du Nil par les ports Libyens, intercepter les convois de l’Axe en route vers l’Afrique. La flotte britannique de l’Amiral Cunningham se trouve diminuée par les revers de 1941 (perte du porte avion Ark Royal) et par les transferts effectués vers l’Océan Indien  pour tenter de résister, en vain, à l’expansion Japonaise (Singapour est tombé le 15 fév. 1942).

Le tournant de novembre 1942 en Méditerranée

Le débarquement Américain en Afrique du Nord (opération « Torch ») qui se limitera au Maroc et à l’Algérie faute de moyens et de détermination politique, laissera les Allemands occuper la Tunisie et ainsi garder intactes leurs lignes de communication entre l’Italie et l’Afrika Korps… La conséquence immédiate du débarquement U.S en Afrique du Nord fut qu’en France, les Allemands ont envahi la Zone Sud (« la zone libre »). L’armée Française de l’armistice est dissoute, la flotte Française se saborde à Toulon à l’exception de quelques unités qui forçant le blocus avec une audace inouïe parviennent à gagner. Parmi ces unités se trouve le sous marin Casabianca qui parviendra à Alger le 30 septembre 1942, se plaçant ainsi aux cotés de l’Etat major interallié qui lui confiera des missions de reconnaissance et de ravitaillement de la Résistance en Provence et en Corse occupées.
La Corse est investie par les Italiens en novembre 1942. L’île se trouve désormais coupée de tout mouvement de résistance, sans liaison avec Alger…

Pierre Griffi et le Réseau « Pearl Harbor »

Dans la nuit du 13 au  14  décembre 1942 le sous-marin Casabianca débarque entre Cargèse et Piana. La mission Pearl Harbor organisée conjointement par les états majors Français et Américain est constituée de spécialistes du renseignement militaire : le commandant Roger De Saule (« Tournier ») l’officier radio Pierre Griffi (« Denis ») d’autres membres comme l’Officier Américain Brown, l’instituteur Laurent Preziosi l’adjudant Toussaint Griffi (militaire de carrière et cousin germain de Pierre GRIFFI) . Parti d’Alger le 11 décembre 1943, le groupe est doté d’un poste émetteur récepteur sur ondes courtes. Le sous marin débarque le groupe le 14 décembre à une heure du matin en baie de Chiuni (en fait, Topiti). Par les sentiers du maquis, évitant les patrouilles ennemies le groupe gagne Révinda, Marignana (17 décembre)  Evisa, Corte puis Ajaccio, organisant des réseaux de renseignement militaires, les contacts avec les patriotes et sympathisants prêts à entrer en résistance , les réunions clandestines pour définir les besoins en armes et munitions de toutes sortes sans oublier les émissions sur un poste émetteur qu’il faut déplacer sans cesse faute d’être détecté par les « véhicules Gonios » Italiens.
L’Île est alors occupée par 3 divisions de l’armée de Mussolini 80.000 hommes, par 10.000 allemands avec la Gestapo et l’OVRA particulièrement actives, et bien sur des administrations Pétainistes ou en tous cas « maréchalistes ». La Sardaigne toute proche sert de base aux sous marins Allemands, et abrite plusieurs formations de la Luftwaffe, et surtout une Division de blindés (« Panzer»).

Des aides précieuses

Ajaccio : Cérémonie en hommage à Pierre Griffi
Entre décembre 1942 et le 11 juin 1943 date de son arrestation, Pierre Griffi aura transmis de Corte, Ajaccio ou Vero via l’Etat Major interallié d’Alger, 286 précieux messages ayant trait aux positions ennemies, aux effectifs, aux équipements et logistique terrestre et aérienne, à l’état d’esprit des troupes ennemies occupant la Corse. Huit messages intéressent directement le service « Action » du capitaine Paul Colonna d’Istria pour des parachutages d’armes sur terrains de montagne. Deux messages ont permis aux alliés d’attaquer les transports « Tagliamento » et le « Francia ». Enfin un message permet à la R.A.F d’intercepter et couler le transport de troupes « Francesco Crispi » avec 600 soldats italiens à son bord.
On sait que Pierre Griffi fut hébergé a Revinda chez Dominique Antonini, à Marignana par les familles Nesa, Versini, Camilli, à Corte chez P. Loerch, à Ajaccio chez Mme Stefanaggi, Jacques Tavera…
Fin 1942 Pierre GRIFFI opère dans la région d’Ajaccio. Début février 1943 il est hébergé par François Mariani à la maison du chemin St Joseph, isolée aux portes d’Ajaccio.
Les deux missions présentes en Corse (« Pearl Harbor » dirigée par le Commandant De Saule, et « Sea Urchin » dirigée par Fred Scamaroni) demandent et obtiennent des livraisons d’armes. Celles réclamées par « Pearl Harbor » parviennent enfin le 7 février 1943 en baie d’Arone au sud de Porto par le SM Casabianca, une première livraison d’armes avec 450 mitraillettes « Sten » et 60 000 cartouches.

L'étau se resserre sur le réseau

Mars 1943 : Mariani installe Griffi dans sa maison de Véro (Corse du Sud) d’où reprennent les émissions dans la plus totale clandestinité. Le ravitaillement est assuré par la grand-mère qui habite la maison voisine, les liaisons sont assurés à vélo par le jeune Paul Orsoni, de même que le transport et le rechargement des batteries du poste émetteur (sur Ajaccio).
Mai 1943 le village de Véro est investi par une colonne de l’armée italienne, le poste émetteur a été « sorti » en toute hâte. Pierre Griffi n’a eu que quelques minutes pour gagner la forêt, puis, contournant Vero, il gagne à pied la gare de Mezzana  (à 18 km). Direction Ajaccio par le train jusqu’en gare de Caldaniccia ou l’attendait François Mariani…
Juin 1943 Les émissions ont repris,  au chemin St Joseph, a Ajaccio mais l’étau se resserre. Des véhicules de détection radio goniométrique ont été signalés en ville sans que le groupe Griffi en soit informé. Défaut de coordination entre le service « action » et le service « renseignement » ? Insuffisance de précautions ?
Toujours est-il que le poste émetteur est localisé le 11 juin 1943. La maison du chemin St Joseph est  cernée par deux compagnies de carabiniers et investie par la troupe. L’OVRA arrête Pierre Griffi, François Mariani qui seront soumis à de terribles interrogatoires, René Conter, Paul Orsoni et d’autres membres du réseau, qui sont conduits à la Caserne Battesti à Ajaccio
Les témoignages de Don Marc Sodini (arrêté en gare de Corte) de François Mariani et les actes du Tribunal militaire du VIIe corps d’armée nous renseignent sur le déroulement du procès et sur les dernières heures de Pierre GRIFFI .

Le Tribunal militaire siège à Bastia le 16 août 1943,

Présidé par un général il est composé de quatre officiers supérieurs. Le Procureur du Roi d’Italie requiert la peine de mort pour Griffi qui prend sur lui l’essentiel des responsabilités permettant à ses camarades de se défendre. De lourdes peines allant de 15 à 30 ans de prison seront prononcées à l’encontre des 15 co-accusés du procès pour « spionnaggio militare et favoreggiarmento bellico » (espionnage militaire et incitation à l’insurrection) selon les termes du jugement rendu. Le Procureur qui a requis  la peine de mort pour Pierre Griffi lui rendra hommage : Nous avons devant nous une belle figure de soldat français.  Il a lutté,  il a gagné la première manche, à présent qu’il a perdu la seconde, il est prêt à payer .

P. Griffi est exécuté à Bastia au matin du 18 août 1943

Une exécution qui arrive à quelques semaines du 9 septembre 1943 ou commencèrent les opérations pour la libération de l’île (totalement libérée le 4 octobre 1943), à quelques jours de l’armistice Badoglio Eisenhower (signé le 29 aout 1943) tandis qu’en Italie, les patriotes et le Front antifasciste, renforcé par les grandes grèves de mars 1943, multiplient les actions contre les Allemands (Rome ne sera libérée qu’en juin 1944). Plusieurs historiens ont souligné la qualité du travail effectué par « Pearl Harbor» et la précision des informations recueillies par ce Réseau et transmises à Alger sur les armées d’occupation,  leurs effectifs, leurs aéroports,  leurs défenses, leur capacité de réaction et leur état d’esprit.