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33ème Ghjurnate internaziunale di Corti : Le débat des certitudes


Nicole Mari le Dimanche 3 Août 2014 à 22:31

Aux Ghjurnate internaziunale di Corti, le 3ème débat organisé par Corsica Libera a permis de mesurer le chemin parcouru. Les élus de gauche et de droite invités, tous progressistes, ont fait preuve, malgré des divergences idéologiques, d’une assez belle unanimité tant sur les sujets abordés que sur les moyens d’actions pour les concrétiser. Tous les participants se sont accordés sur l’analyse de la déclaration du FLNC-UC, sur la situation en Corse, sur le processus de réforme et, même, sur les perspectives politiques et les alliances électorales à mettre en place pour le futur scrutin régional. Une certitude : seul, un large consensus insulaire peut faire plier Paris.



Le débat réunissant des élus de tous bords.
Le débat réunissant des élus de tous bords.
C’est pratiquement devenu le rendez-vous estival incontournable pour la classe politique progressiste et corsiste. Si en 2012, le 1er débat crée l’événement et symbolise l’ouverture, si en 2013, le 2nd débat ancre cette volonté partagée de dialogue et affirme des prises de positions, ce 3ème débat, dimanche soir, à Corte, est celui des certitudes. La certitude qu’en trois ans, beaucoup d’eau nouvelle a coulé sous les ponts insulaires surmontant les barrages et les préjugés. Le pari du dialogue a payé. Des avancées indiscutables ont été obtenues. Les lignes politiques ont fortement bougé dans l’île. Au-delà des divergences idéologiques, les élus progressistes de droite et de gauche brandissent un drapeau résolument régionaliste et autonomiste. Tous affichent la même certitude de l’urgence, de la nécessité et de l’efficacité du travail effectué à l’Assemblée territoriale (CTC) et de la spécificité des solutions à trouver au problème corse. La même certitude, également, sur les objectifs à atteindre à court-terme et les moyens d’actions à privilégier. La même certitude, enfin, que l’annonce du dépôt des armes par le FLNC-UC ouvre des perspectives d’alliances électorales inédites qui pourraient se concrétiser dès décembre 2015.

Des habitués
Autour de trois membres de l’exécutif de Corsica Libera, Jean-Guy Talamoni, François Sargentini et Petru Paoli, les personnalités politiques invitées ont, pour la plupart, déjà participé à l’un ou l’autre des débats précédents. Pierre Ghionga, conseiller exécutif délégué à la langue et à la culture corses, président de l’office de l’environnement et conseiller général de Corte, assistait à son 3ème débat. Emmanuelle de Gentili, conseillère exécutive en charge de la politique européenne et de l’enseignement supérieur, présidente de l’office hydraulique, 1ère adjointe à la mairie de Bastia, membre du bureau national du parti socialiste, Jean-Baptiste Luccioni, conseiller territorial et maire de Pietrosella, et Jean-Martin Mondoloni, leader du mouvement La Nouvelle Corse, étaient présents en 2012. Ce fut, par contre, une première pour Jean-Charles Orsucci, conseiller territorial, vice-président de la CTC, président du groupe socialiste à la CTC et maire de Bonifacio. Pierre Chaubon, conseiller territorial, président de la commission des compétences législatives et règlementaires et maire de Nonza, souffrant, a du déclarer forfait. Le débat, animé par Jean-Paul Lucciani, s’articule autour de trois points : l’analyse de la déclaration du FLNC, l’état d’avancement du processus de réforme et les perspectives politiques pour l’avenir.
 
Le geste du FLNC
Evènement oblige, c’est sur l’analyse de la déclaration du FLNC que débutent les prises de paroles. Tous les élus se rejoignent pour saluer, dans une belle unanimité, « un geste fort et courageux » qui « ouvre des perspectives nouvelles ». Emmanuelle de Gentili loue « un geste très courageux qui s’inscrit dans une démarche volontaire, sans préalable » et prouve « la grande maturité du FLNC ». Pour elle, ce geste « renforce la démocratie et fait tomber une barrière politique », estimant « dommage » qu’il ne soit pas intervenu plus tôt, avant les élections municipales de mars dernier. « On peut, enfin, travailler ensemble à construire un nouveau projet de développement pour la Corse ». Jean-Baptiste Luccioni confirme : « Le préalable est bien levé, sans compromis, ni compromission. Le FLNC a contribué à préserver l’équilibre de la Corse et lui a permis d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Il faut travailler, ensemble, sur le même chemin pour construire la Corse de demain. Nous ne devons pas décevoir les Corses ! ».
 
Construire la paix
Même appréciation de Pierre Ghionga qui s’exprime entièrement in lingua nustrale : « C’est une décision très importante qui ouvre des perspectives et un avenir pour notre pays ». Jean-Charles Orsucci enchaîne : « Je suis heureux, mais pas surpris, que cette décision courageuse, nécessaire et importante ait été prise. Pour une grande partie des progressistes, la violence était un point d’achoppement. Cette décision nous permet de mieux appréhender les échéances à-venir ». Jean-Martin Mondoloni va encore plus loin : « La paix ne se décrète pas, elle se construit. La 1ère vertu cardinale d’un processus de paix est de se construire avec des gens qui ne sont pas d’accord entre eux. La 2ème vertu est le courage ». Pour le représentant de la droite autonomiste et régionaliste, ce geste historique appelle une réponse de l’Etat. « Le courage politique ne peut fonctionner de façon unilatérale. Il doit trouver un écho. L’Etat doit faire un geste dans la problématique lourde des prisonniers ».

Un Etat frileux
Embrayant sur la position de Paris, Jean-Paul Luciani demande aux élus de commenter la récente visite de Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Pour la socialiste E. de Gentili, les propositions faites par la ministre témoignent de son écoute et de son ouverture et montrent une voie intéressante à suivre : « Quand elle dit qu’une solution pour la Corse doit avoir une récurrence nationale, cela peut nous aider à faire aboutir nos décisions. Elle a mesuré que travailler sur un nouveau projet pour la Corse, afin de passer d’une société perfusée à une société productive, était un fait majoritaire ». Elle admet que le président de la République est « assez frileux » et que la haute administration française n’est pas favorable à la Corse. Elle estime indispensable « un travail pédagogique » pour briser les postures étatiques. « La Corse ne peut plus accepter des décisions à la verticale venant de Paris. On a des particularités parce qu’on a des contraintes ! ».
 
Le temps des actes
Enfonçant le clou, Jean-Martin Mondoloni est, encore, plus critique : « La grille de lecture normative parisienne fonctionne-t-elle en Corse en matière d’agriculture, de transports, de fiscalité, de culture, de patrimoine… ? Non ! On n’est mal compris parce que cette grille ne fonctionne plus ! ». Il fustige, dans le même sac, le gouvernement, la haute administration qui « n’acceptent pas la diversité et la différence » et les partis nationaux qui débitent « le même discours électoral de Roubaix à Bonifacio ». Il qualifie l’argument anticonstitutionnel de « spécieux » et cite Claude Olivesi : « Le droit est au service de la souveraineté du peuple ».
Même constat de Pierre Ghionga : « Notre assemblée n’est pas reconnue par la haute administration jacobine. Il faut une union des progressistes et des Nationalistes la plus large possible pour obtenir un statut particulier qui ne soit pas calé sur celui des autres régions françaises ».
Pour François Sargentini, le temps du dialogue est clos, arrive celui de la concrétisation : « Les Corses ne vont pas se contenter de mots ! C’est à nous seuls d’enclencher et de renforcer le processus en cours en montrant toute notre détermination et en établissant un rapport de forces politique et populaire autour d’une majorité ».
 
La force de la démonstration
Abordant plus spécifiquement la question de la réforme constitutionnelle et des idées reçues parisiennes contrant la volonté insulaire, les participants oscillent entre pessimisme et détermination. « Je suis très réservé, en vertu du principe de réalité, sur les chances d’aboutissement de la réforme constitutionnelle. Le chemin est difficile et réclame une stratégie de rapports de forces et de diplomatie », avoue Jean-Martin Mondoloni. Pour Emmanuelle De Gentili, l’erreur est de vouloir tout, tout de suite face à une administration réticente : « La force du peuple et des élus corses est leur force d’analyse et de démonstration. L’Etat n’est pas habitué à ce qu’on lui donne des solutions techniques. Il faut prendre le temps de tout démontrer ». Elle exhorte à la patience : « On a mis 10 ans à obtenir, chaque fois, un nouveau statut particulier. La réforme constitutionnelle est un fait majoritaire, inexorable ». Jean-Charles Orsucci renchérit : « Ce sont sur les bancs de la gauche que se trouvent les plus farouches Jacobins. Il faut faire un travail de lobbying auprès des élus nationaux. Il faut un large consensus à la CTC pour faire reculer le pouvoir parisien ».
 
Une alliance pour 2015 ?
La question est, donc, clairement posée de l’intégration des Indépendantistes au pouvoir local et à la prise de décision. Pour Corsica Libera, le dépôt des armes par le FLNC annule toute velléité future de se réfugier derrière un préalable pour refuser une alliance électorale et politique. Emmanuelle De Gentili, qui a été l’une des premières à clairement l’exprimer, prend position : « Nous avons démontré à Bastia que le carcan parisien n’a pas de prise. J’aurais voulu que l’union se fasse dans d’autres conditions. Mais, il faut regarder devant, tordre le cou aux idées reçues, et tracer un chemin nouveau, initier ensemble, sans exclusive, un projet de société et un nouveau modèle de développement ». Jean-Charles Orsucci, qui l’a initié dans sa commune, approuve et appelle à une alliance de gouvernance aux prochaines élections territoriales : « Nous sommes favorables à l’ouverture avec les Nationalistes pour assurer, ensemble, la gestion de la Corse. L’idée d’autonomie est au cœur du combat politique à mener à Paris. En décembre 2015, chacun ira sous sa bannière au 1er tour pour défendre ses idées. Ensuite, on peut se réunir autour d’une table pour mettre en œuvre les projets et les idées et faire, ensemble, un bout de chemin ».
 
Un accord sous condition
Jean-Guy Talamoni rebondit sur la proposition et agrée sous condition « un accord politique qui doit être acté sur des idées et non sur une répartition de portefeuilles. Il faut montrer ce que nous pouvons faire, montrer nos ambitions, nos objectifs et nos moyens ». Il assène : « La Corse n’est pas la danseuse de la France. La Constitution française est contraire aux intérêts de la Corse. Nous avons un poids considérable sur nos épaules car nous ne devons pas nous tromper. Rien ne viendra d’une bienveillance parisienne qui n’a jamais existé ! ». Jean-Martin Mondoloni n’est pas opposé à l’idée, mais lui, aussi, pose des garde-fous. «  Les gens sont prêts à voir des élus de différente couleur politique aller aux affaires ensemble. La vraie question est : pourquoi faire ? L’alliance ne peut pas se faire autour d’une table de café au soir du 1er tour, mais doit s’opérer devant le peuple. Cette problématique doit être posée et préparée bien avant. Des passerelles existent et sont plus importantes que ce que l’on peut imaginer ».
 
Un geste de l’Etat
Abordant, en dernier lieu, la question des prisonniers politiques, Corsica Libera veut intégrer cette question aux futures négociations avec Paris. « Ceux, qui ont payé le prix fort et sont en prison, doivent être libérés. Le processus en cours doit être alimenté par des gestes concrets. Le FLNC a fait un pas essentiel. Notre mouvement fera une demande officielle au président de la CTC et au président de l’Exécutif pour intégrer cette question dans les discussions, mais sans que ce soit un préalable ou une pression nouvelle », annonce François Sargentini. Un geste de l’Etat qu’appelle aussi de ses vœux Jean Charles Orsucci : « Dans la situation actuelle, s’il y a bien un geste facile que peut faire notre gouvernement, c’est bien celui-ci ! Nous pesons et nous pèserons pour cela ». Pierre Ghionga, estimant l’éloignement des prisonniers « inacceptable », accepte de porter ce message « au plus haut niveau ».
 
Un hommage au Front
Dans son discours de clôture des Ghjurnate, Jean-Guy Talamoni revient sur le sujet et rend hommage aux clandestins, à « ceux qui ont donné leur vie pour que vive la Corse. Par leur combat, les militants clandestins ont permis à notre peuple de ne pas disparaître. La décision qui vient d’être prise… met un terme à un parcours de plusieurs décennies jalonné de nombreux sacrifices ». Il stigmatise leurs détracteurs : « Il y eu des erreurs, sans doute. Le Front le reconnait d’ailleurs dans son texte. Mais il n’existe aucune action humaine exempte d’erreur. Ceux qui ont assisté les bras croisés à la disparition de leur peuple sont en tout cas singulièrement mal placés pour donner des leçons. Et je ne parle pas de ceux qui ont trahi la Corse pour servir leurs ambitions et intérêts particuliers ». Il ajoute que sans le FLNC, « rien n’aurait été possible hors la voie, indigne, de la soumission ».
 
Le poids des symboles
Puis, le leader indépendantiste fustige l’attitude méprisante du pouvoir parisien, réaffirme ses fondamentaux : « Quelle que soit l’évolution que connaîtra la Corse sur le plan institutionnel dans les années à venir, nous ne reconnaitrons jamais le principe de la tutelle française sur notre pays. Nous n’accepterons jamais comme une fatalité la prééminence du bleu-blanc-rouge sur la tête de maure, ni même la présence concurrente de ces deux drapeaux entre Ersa et Bunifaziu  ». Et tacle au passage les modérés : « Certains vous diront : les symboles n’ont pas d’importance, il faut être pragmatique... Si l’on accepte d’entrer dans cette conception utilitariste de la politique, malheureusement fort répandue aujourd’hui, si les symboles n’incarnent plus la voie commune à suivre, si tout ce qui est immatériel est écarté au nom du pragmatisme, que reste-t-il de la politique : di sparte si a manghjatoghja cum’elli ferebbenu i porchi ? Une société humaine se construit dans l’équilibre entre le matériel et l’immatériel, entre le pragmatique et le poétique, entre le pratique et le symbolique… ».
 
Une plate-forme politique
Puis, Jean-Guy Talamoni pose les bases de l’action à-venir : « Nous nous sommes prononcés non pour un objectif figé d’obtention d’un nouveau statut institutionnel, mais pour un processus évolutif de dévolution des pouvoirs, du type de ceux qui se développent actuellement en Grande-Bretagne ». Il annonce la constitution d’une plate-forme politique associative et syndicale, réunissant l’ensemble des forces vives de l’île, « pour manifester publiquement la volonté des Corses de voir prendre en compte les décisions majoritaires de leur Assemblée ». Dans le même temps, Corsica Libera lancera une démarche visant à internationaliser la question corse. « Nous savons que l’Europe est attentive à l’évolution de la situation dans l’île et au-delà-même des frontières du continent, certains Etats s’étonnent de voir les Français, si prompts à donner des leçons de démocratie au reste du monde, demeurer sourds aux demandes démocratiquement formulées par les élus d’un peuple autrefois conquis par les armes et qui exige – dans un premier temps – de voir profondément changer des relations que, partout ailleurs, on qualifierait de coloniales ». Une initiative qui ne devrait pas contribuer à apaiser les relations avec Paris ! Affaire à suivre…

N.M.
 
A venir : Interviews des intervenants au débat.